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— D’où vient cette odeur bizarre ? demanda Tanis en fronçant le nez.

— Le mage se mijote une de ces mixtures dont il a le secret, répondit le nain. Il a versé une poudre dans une marmite, a ajouté de l’eau et l’a fait bouillir. Quand cette infection a commencé à puer, il l’a bue. Je préfère ne pas savoir ce qu’il y a dedans.

Inlassablement, Raistlin répétait ses formules magiques pour les graver dans sa mémoire. D’après ce que Tanis avait appris, de la bouche même du barde elfe Quivalen Soth, seuls des mages extrêmement puissants avaient une chance de tenir en échec les dragons, qui employaient des tours de magie de leur cru, comme les compagnons avaient pu en faire l’amère expérience.

Raistlin possédait de très grands pouvoirs pour son âge. Il était intelligent et retors. Mais les dragons existaient depuis la nuit des temps. Ils habitaient Krynn bien avant que les elfes, la plus ancienne des races, y fassent leur apparition.

D’ailleurs, si leur plan se déroulait comme prévu, ils n’auraient pas à affronter le dragon. Ils espéraient repérer son antre et lui ravir les Anneaux. Le plan est parfait, pensa Tanis, et probablement aussi solide qu’un filet de fumée dans un ouragan.

— Je suis prêt ! annonça joyeusement Caramon.

À l’écart de ses compagnons, Sturm, habillé de pied en cap, se livrait à un rituel traditionnel pour se préparer mentalement au combat.

Les elfes ne faisaient rien avant une bataille, si ce n’est demander pardon pour les vies qu’ils allaient sacrifier.

— Nous aussi, nous sommes prêts, annonça Lunedor.

— Alors, allons-y.

Le demi-elfe prit son arc et son carquois. Sturm avait son épée à deux mains, Caramon son bouclier, une épée longue et deux poignards récupérés par Rivebise. Flint était armé d’une hache trouvée chez les draconiens. Outre sa fronde, Tass portait un petit poignard qu’il avait ramassé, et dont il était très fier. Il fut profondément peiné quand Caramon lui déclara que la lame serait très utile au cas où ils tomberaient sur une bande de lapins féroces. Rivebise portait son épée longue suspendue dans le dos, et conservait le couteau de Tanis. Lunedor n’avait que son bâton.

Nous sommes bien armés, se dit le demi-elfe, mais à quoi cela va-t-il nous servir…

Les compagnons quittèrent le sanctuaire de Mishakal.

Tass ouvrait la marche, tout guilleret à l’idée de ce qui l’attendait. Il allait voir un dragon, un vrai !

Suivant les indications de Caramon, ils franchirent d’autres portes d’or qui débouchaient sur une vaste salle ronde. Tanis avisa un escalier en colimaçon, rongé par la mousse et les champignons.

— « Les Chemins de la Mort », dit brusquement Raistlin.

— Qu’est-ce que tu racontes ? interrogea Tanis, surpris.

— Je te parle des Chemins de la Mort, Tanis, répéta le mage. C’est ainsi qu’on appelle cet escalier.

— Par Reorx, comment le sais-tu ? grogna Flint.

— J’ai lu quelque chose là-dessus…

— C’est la première fois que nous en entendons parler. Y a-t-il autre chose que tu te serais gardé de nous dire ? demanda Sturm d’un ton rogue.

— Une quantité de choses, chevalier. Tu jouais encore avec une épée de bois que je passais le plus clair de mon temps dans les livres.

— Des grimoires mystérieux et porteurs de maléfices ! siffla Sturm. Que s’est-il vraiment passé dans la Tour des Sorciers, Raistlin ? Tu n’as pas acquis tous ces pouvoirs sans rien donner en échange. Qu’as-tu donc sacrifié ? Ta santé, ou ton âme ?

— J’étais avec mon frère dans la tour, intervint Caramon, le visage décomposé. Je l’ai vu se battre avec de simples sorts contre des magiciens chevronnés. Ils ont réussi à abîmer son corps, mais il les a vaincus. C’est moi qui l’ai sorti de cet horrible endroit. Et je…

— Fais attention à ce que tu vas dire, siffla Raistlin.

— Je sais quel sacrifice il a dû faire, dit Caramon d’une voix altérée. Nous n’avons pas le droit d’en parler. Mais tu me connais depuis des années, Sturm Clairelame, et je te donne ma parole d’honneur que tu peux te fier à mon frère autant qu’à moi. Si jamais l’avenir me donnait tort, que je sois puni de mort, et lui aussi !

Raistlin considéra son jumeau d’un air grave et attentif. La courbe de ses lèvres s’adoucit, balayant son habituel rictus cynique. Le changement était saisissant. Un instant, les deux hommes se ressemblèrent vraiment ; très vite, ils redevinrent aussi différents que les deux faces d’une pièce de monnaie.

Sturm s’avança vers Caramon et lui serra la main avec chaleur. Puis il se tourna vers le mage d’un air écœuré.

— Raistlin, je te prie de m’excuser, dit-il en faisant un effort sur lui-même. Tu peux être fier d’avoir un frère aussi loyal.

— Oh, je le suis, murmura le mage.

— Raistlin, es-tu capable de nous guider dans ces lieux ? intervint Tanis.

— Avant le Cataclysme, j’aurais pu. Mais les livres que j’ai étudiés dataient de plusieurs siècles. Pendant le Cataclysme, quand la montagne en éruption s’est déversée sur Krynn, la cité de Xak Tsaroth s’est effondrée au bas de la falaise. J’ai reconnu l’escalier parce qu’il est resté intact. Pour le reste…, conclut-il en haussant les épaules.

— Où mène cet escalier ?

— À la crypte des Anciens. Les prêtres et les rois de Xak Tsaroth y sont ensevelis.

— Inutile de s’éterniser ici pour nous y angoisser davantage, dit Caramon.

— C’est vrai, répondit Raistlin, il faut agir rapidement. Nous avons jusqu’à la tombée de la nuit. Demain, les armées venues du nord envahiront la ville.

Sturm fronça les sourcils.

— Écoute, mage, tu es sans doute très savant, mais il y a des choses que tu ne peux pas savoir ! Caramon a raison, nous avons perdu assez de temps… Je passe devant.

Il descendit prudemment les premières marches de l’escalier couvertes de lichen.

— Raistlin, accompagne-le et éclaire le chemin, ordonna Tanis, ignorant le regard furieux que lui lança le chevalier. Caramon, tu iras avec Lunedor. Rivebise et moi fermerons la marche.

— Et nous ? grommela Flint au kender. N’importe où, comme d’habitude. On nous prend pour la cinquième roue du carrosse !

Quand les deux compères eurent disparu dans l’escalier, Tanis se tourna vers le barbare.

— As-tu le souvenir d’avoir été ici, Rivebise ? Où la déesse t’a-t-elle remis le bâton ? Es-tu déjà passé par là ?

— Je ne sais pas, répondit Rivebise, le visage anxieux. Je ne me souviens de rien. Sauf du dragon…

Le dragon, songea Tanis. Tout tournait autour du dragon. Il hantait les esprits. Comme leur petit groupe était fragile face à ce monstre, ancestrale figure des légendes les plus sombres de Krynn !

Pourquoi cela nous arrive-t-il, à nous ? se demanda Tanis avec amertume. A-t-on jamais vu une troupe aussi hétéroclite, composée de « héros » râleurs, susceptibles, querelleurs, dont la moitié ne fait même pas confiance à l’autre ? « Nous avons été choisis », paraît-il. Maigre consolation ! « Qui nous a choisis, et pourquoi ? » avait déclaré Raistlin. Le demi-elfe commençait vraiment à se le demander.

En silence, ils atteignirent le bas de l’escalier. Ils se trouvaient face à un petit couloir qui donnait sur une vaste salle rongée d’humidité. Ils tendirent l’oreille. Le grondement d’une cascade escamotait les autres bruits. Tanis crut percevoir un grincement et des martèlements sur le sol. Puis, plus rien. Un bizarre raclement se fit entendre, ponctué de petits cris perçants. Tanis interrogea Tass du regard. Le kender haussa les épaules.

— Pas la moindre idée de que ça peut être ! Tu veux que j’aille voir ?