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Sous la conduite de Boupou, ils se remirent en route. Après avoir contourné nombres de ruines plus ou moins grandioses, ils arrivèrent sur une grande place dallée où se dressaient des colonnes de marbre surmontées d’un toit de pierre.

— Regarde ! dit Lunedor en s’approchant de Tanis.

La brume se déchira, et le demi-elfe aperçut derrière les colonnes les contours sombres de hautes coupoles. Bien que décati, ce bâtiment d’une noble architecture avait dû être en son temps le plus beau monument de Xak Tsaroth.

— Le palais royal, commenta Raistlin, pris d’une nouvelle quinte de toux.

— Chut ! dit Lunedor en posant sa main sur le bras de Tanis. Tu ne vois rien ?... Attends, tu vas voir.

La brume envahit les colonnes, et on ne vit plus rien. Puis la brise déplaça la brume ; les nains reculèrent précipitamment et se cachèrent derrière Raistlin.

Par-dessous la manche du mage, Boupou leva les yeux vers Tanis.

— C’est le dragon. Tu le veux ?

C’était vraiment le dragon.

Noir et luisant, Khisanth émergea, les ailes repliées, tête baissée pour ne pas se cogner contre le toit. Ses pattes griffues crissèrent sur le marbre de l’escalier, puis il s’arrêta, scrutant la brume de ses yeux rouges phosphorescents. Il occupait la place sur trente bons pieds et on ne voyait pas encore ses pattes de derrière ni sa longue queue de reptile.

Le dragon semblait en grande conversation avec un draconien qui marchait craintivement à son côté.

Khisanth était en colère. Le draconien lui apportait de fâcheuses nouvelles. Il était impossible qu’un seul de ces étrangers ait pu survivre à son attaque ! Mais le capitaine de la garde rapportait que des intrus erraient dans la ville ! Qu’ils avaient eu l’audace d’attaquer ses troupes, et qu’ils possédaient un bâton dont tous les draconiens d’Ansalonie connaissaient le signalement !

— Je ne peux croire à ce que tu rapportes ! Aucun d’eux n’a pu m’échapper ! dit le dragon d’une voix douce, presque susurrante, qui fit trembler le draconien. Le bâton n’est pas en leur possession, je l’aurais senti… Tu dis qu’ils seraient encore dans les bâtiments du haut ? En es-tu bien sûr ?

— Il n’y a pas de chemin qui mène en bas, mon roi, sauf le monte-charge.

— Il y a d’autres voies, espèce de batracien, siffla Khisanth. Ces misérables nains des ravins pullulent partout comme des parasites. Les intrus ont le bâton, et tentent de gagner la ville basse. À cela il n’y a qu’une explication : ils sont à la recherche des Anneaux ! Comment ont-ils appris leur existence ?

« Ce fichu bâton ! Verminaar aurait pu prévoir ce qui arrive, avec tous les pouvoirs dont il se vante ! Nous aurions alors pu le détruire. Mais non, le seigneur est trop occupé avec sa guerre, et pendant ce temps, je moisis dans un tombeau rongé d’humidité. »

— Tu pourrais détruire les Anneaux, suggéra le draconien avec témérité.

— Imbécile, tu crois que je n’ai pas essayé ? marmonna Khisanth. Non, rester ici plus longtemps devient trop dangereux. Si les intrus connaissent ce secret, d’autres doivent le connaître aussi. Il faut mettre les Anneaux en lieu sûr. Tu vas informer Verminaar que je quitte Xak Tsaroth. Je vais le rejoindre à Pax Tharkas et j’emmènerai les étrangers avec moi pour les interroger.

— Informer le seigneur Verminaar ? demanda le draconien, outré.

— Très bien, répondit Khisanth sur un ton sarcastique, puisque tu tiens aux formes, c’est toi qui demandera la permission pour moi à mon seigneur… J’ose espérer que tu as envoyé le gros des troupes là-haut ?

— Oui, mon roi, dit le draconien en s’inclinant.

— Tu n’es peut-être pas si bête que ça, concéda le dragon. Je m’occupe de ce qui se passe en bas. Toi, concentre-toi sur le haut de la ville. Dès que tu auras mis la main sur nos visiteurs, amène-les-moi. Maîtrisez-les sans leur faire trop de mal, et prenez soin du bâton !

Le draconien mit un genou en terre devant le dragon, qui fronça dédaigneusement les narines et s’en retourna d’où il était venu.

Boupou insista pour que la troupe se remette en route. Ils laissèrent la rivière derrière eux et pénétrèrent dans un nouveau quartier en ruine. Cette partie de la ville avait sans doute toujours été la plus pauvre ; ses bâtiments en étaient au dernier stade de la décrépitude. Là, saisis d’une soudaine allégresse, les nains des ravins dévalèrent la rue en braillant à tue-tête.

Trouvant ce tapage alarmant, Sturm fit part de ses craintes à Tanis.

— Ne crois-tu pas qu’ils devraient faire moins de bruit ? demanda le demi-elfe à Boupou. Les draconiens…, les patrons risquent de nous repérer…

Boupou haussa les épaules.

— Les patrons viennent jamais… Peur du Grand Bulp.

Dans les rues jonchées de détritus, des Aghars de tous âges sortaient des maisons délabrées pour observer avec curiosité les nouveaux venus. Visiblement, les draconiens ne s’aventuraient pas dans ces quartiers où vivaient les nains, beaucoup plus nombreux qu’eux.

Les draconiens ont subtilement raisonné, en laissant leurs esclaves vivre tranquillement dans leurs taudis… tant qu’ils ne font pas d’histoires, songea Tanis.

Mais les nains des ravins, bien que couards, devenaient de redoutables combattants quand on les poussait dans leurs derniers retranchements.

Boupou fit arrêter le groupe devant la ruelle la plus sordide que Tanis eût jamais vue. Soudain, des petites bêtes noirâtres s’égaillèrent dans la ruelle, poursuivies par des enfants.

— Miam-miam ! cria un gosse, les yeux brillants de convoitise.

— Mais ce sont des rats ! s’exclama Lunedor, horrifiée.

— Faut-il vraiment que nous entrions dans ce cloaque ? interrogea Sturm.

— L’odeur seule suffirait à tuer un troll, ajouta Caramon. Plutôt mourir entre les griffes du dragon que recevoir ces baraques sur la tête.

— Le Grand Bulp, dit Boupou en montrant la maison la plus délabrée de la rue.

La ruelle faisait un coude et se terminait en cul-de-sac. Ils se trouvèrent devant un mur de briques, cernés par les nains des ravins qui sautillaient autour d’eux.

— C’est un traquenard ! cria Sturm en brandissant son épée.

Caramon manifesta sa désapprobation par des grognements rauques. Les nains des ravins, terrifiés par la lame qui étincelait devant eux, reculèrent en se bousculant et prirent la fuite.

Boupou toisa Caramon et Sturm d’un air écœuré, puis s’adressa à Raistlin.

— Dis-leur d’arrêter, dit-elle en désignant les guerriers, sinon je ne vous présenterai pas au Grand Bulp !

— Rengaine ton épée, chevalier, siffla Raistlin, à moins que tu aies trouvé un ennemi à ta hauteur ?

Sturm fusilla le mage du regard, mais rangea son arme.

— J’aimerais savoir quel jeu tu joues, magicien, dit-il froidement. Tu étais bien pressé de venir dans cette ville, alors que nous ignorions encore l’existence des Anneaux. Pour quelle raison ? Que cherches-tu, au juste ?

Raistlin s’abstint de répondre, se contentant de darder avec hostilité ses étranges yeux dorés sur le chevalier.

— Ils ne t’embêteront plus, petite, dit-il à Boupou.

La naine s’assura qu’ils étaient bien calmés, et se tourna vers le mur, où elle frappa deux fois du poing.

— Entrée secrète, dit-elle, gonflée d’importance.

Deux coups lui répondirent.

— C’est le signal. Trois coups. Ils vont ouvrir.

— Mais elle n’a frappé que deux fois, dit Tass en gloussant de rire.

Boupou lui jeta un regard noir.

— Chut ! ordonna Tanis au kender.

Il ne se passa rien. Boupou, perplexe, frappa de nouveau deux fois. Deux coups lui répondirent. Caramon, les yeux fixés sur le bout de la ruelle, commençait à danser d’un pied sur l’autre.