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— Certainement. Allez dans le hall, mangez, parlez. J’envoie la carte. Vous direz peut-être vos plans à Phulge ?

Tanis remarqua une petite lueur rusée au fond des yeux du Grand Bulp. À la pensée que le nain n’était peut-être pas qu’un simple bouffon, il eut froid dans le dos. Il regretta de n’avoir pas discuté avant avec Flint.

— Nos projets sont loin d’être fixés, Majesté, répondit le demi-elfe.

Le Grand Bulp avait d’autres moyens de les connaître. Un trou dans la cloison du hall lui permettait de surprendre les conversations. Mais pour l’instant, il avait d’autres soucis, et décida qu’il ne les espionnerait pas. S’entendre appeler « Majesté » entrait sans doute pour beaucoup dans cette décision. Le Grand Bulp n’avait jamais ouï de titre qui lui convînt si bien.

D’un geste affable, il prit congé de ses visiteurs avec un sourire qu’il voulait charmant. Puis son expression changea, le sourire devint sournois.

Il lui fallait des héros. Eh bien ! la racaille qui se présentait ferait l’affaire ! Si ce ramassis d’étrangers était tué, ce ne serait pas une grande perte. S’ils parvenaient à trucider le dragon, tant mieux. Les nains des ravins récupéreraient ce qu’il y avait de plus précieux à leurs yeux : le retour aux jours bénis de la liberté ! C’en serait fini de cette stupide condition d’esclaves.

Phulge se pencha à l’oreille du garde.

— Va trouver le dragon. Présente lui les hommages de Sa Majesté Bulp Phulge 1er, dit le Grand, et dis-lui…

20

La carte du Grand Bulp. Le grimoire de Fistandantibus.

— Je ne fais pas confiance à ce bâtard court sur pattes, et je ne peux pas le sentir, grogna Caramon.

— Je ne pense pas autrement, répondit calmement Tanis, mais que veux-tu faire d’autre ? Nous lui avons promis le trésor. Il n’a rien à gagner, et tout à perdre s’il nous trahit.

Assis sur le sol du hall contigu à la salle du trône, les compagnons étaient tendus. Raistlin, retiré dans un coin, concoctait sa mixture contre la toux. Rivebise se tenait lui aussi à l’écart. Les yeux dans le vague, il ne leva même pas la tête lorsque Lunedor s’approcha de lui. Elle voulut dire quelque chose, mais les mots ne vinrent pas. Elle s’éclaircit la voix.

— Il faut que nous parlions, dit-elle d’un ton ferme.

— C’est un ordre ? répondit Rivebise.

— Oui.

Rivebise se leva, le visage douloureusement contracté, et sans accorder un regard à sa belle, se dirigea vers un coin de la salle. Lunedor mesura à quel point il souffrait.

— Je te demande pardon, dit-elle avec douceur.

Surpris, Rivebise releva la tête. Elle était debout devant lui, les yeux baissés comme une enfant prise en faute. Il tendit la main et caressa les cheveux d’or et d’argent de l’être qu’il aimait plus que lui-même. Il la sentit tressaillir ; son cœur fondit. Il l’attira contre lui et pressa tendrement son visage contre sa poitrine.

— Je ne t’ai jamais entendu parler ainsi, dit-il en souriant, sachant qu’elle ne voyait pas son visage.

— Je n’ai jamais parlé ainsi, Rivebise. Ô mon bien-aimé, je regrette tant que ce soit la fille de chef qui t’ai accueilli à ton retour, et non Lunedor. Mais j’avais si peur !

— Non, c’est moi qui devrais te demander pardon. Je n’avais pas réalisé ce que tu avais enduré. J’étais habité par les terribles épreuves que moi, j’avais affrontées. J’aurais aimé que tu me parles des tiennes, mon adorée…

— J’aurais aimé que tu me le demandes, répliqua-t-elle en cherchant son regard. J’ai été si longtemps fille de chef que je ne puis plus être autrement. C’est là que réside ma force. Cela me donne du courage face à la peur. Je crois que je ne peux plus me comporter autrement.

— Ce n’est pas non plus ce que je désire, dit-il en lui souriant. Je suis tombé amoureux de la fille du chef dès l’instant où je t’ai vue. Te souviens-tu ? On donnait des jeux en ton honneur.

— Et tu as refusé de t’agenouiller pour recevoir ma bénédiction, acheva-t-elle. Tu t’es soumis à l’autorité de mon père, mais tu n’as pas daigné me révérer comme une déesse. Tu disais que les hommes n’ont pas le pouvoir de déifier les hommes. Comme tu étais beau et fier quand tu parlais des anciens dieux que tout le monde avait oubliés !

— Et comme tu étais belle dans ta fureur, rappela-t-il. Ta beauté était un cadeau du ciel. Je ne désirais plus rien d’autre que toi. Et toi, tu as voulu m’exclure des jeux.

Lunedor eut un sourire mélancolique.

— Tu me croyais fâchée parce que tu m’avais humiliée devant le peuple, mais ce n’était pas cela.

— Alors pour quelle raison, fille de chef ?

Elle rougit et leva sur lui ses yeux immenses.

— J’étais en colère parce que je compris, quand tu refusas de t’agenouiller devant moi, que j’avais perdu une part de mon être, et que, jusqu’à ce que tu la réclames, je ne serais plus que la moitié de moi-même.

Rivebise la serra dans ses bras.

— Rivebise, je suis fille de chef, et princesse je resterai. Mais n’oublie pas que Lunedor se cache derrière. Si ce voyage finit un jour, nous apportant la paix, Lunedor sera tienne à jamais, et la princesse s’envolera, emportée par l’oubli.

Un coup dans la porte fit sursauter les compagnons. Un nain apportait la carte de la part du Grand Bulp.

Tanis l’étendit par terre, et se mit à rire.

— Nous aurions dû nous y attendre. Je me demande si le Grand Bulp se souvient seulement de l’emplacement de la « grande chambre secrète » ?

— Bien sûr que non, répondit Raistlin. C’est pourquoi il n’y est jamais retourné. En tout cas, il y en a un parmi nous qui sait où est l’antre du dragon.

Les compagnons suivirent le regard du mage.

Boupou, méfiante, fit une moue.

— C’est vrai, je connais l’endroit secret. J’ai vu les jolis cailloux. Mais rien dire au Grand Bulp !

— Tu nous le diras, à nous ? demanda Tanis.

Boupou consulta des yeux Raistlin. Il opina du chef.

— Je dirai, marmonna-t-elle. Donne la carte.

Voyant que les autres étaient tous penchés sur le croquis, Raistlin fit signe à son frère.

— Dis-moi, le plan n’a pas changé ? chuchota le mage.

— Non, mais il ne me plaît pas. Je devrais t’accompagner.

— C’est idiot, répliqua Raistlin, tu me gênerais ! Je t’assure que je ne cours aucun risque, ajouta-t-il affectueusement.

Il prit son frère par le cou et murmura :

— Je voudrais que là-bas tu fasses quelque chose pour moi.

Raistlin était brûlant, ses yeux luisaient comme la braise. Caramon essaya de se dégager de son étreinte, mais son jumeau le retint fermement.

— De quoi s’agit-il ? demanda Caramon à contrecœur.

— D’un grimoire de magie.

— Ah ! voilà pourquoi tu voulais venir à Xak Tsaroth ! dit Caramon. Tu savais que ce grimoire s’y trouvait.

— J’ai lu quelque chose à ce sujet, il y a des années. Tous ceux de mon ordre savaient qu’il était à Xak Tsaroth, mais nous le supposions perdu en même temps que la cité. Quand j’ai appris que la ville avait échappé à la destruction, j’ai pensé qu’il subsistait une chance de le retrouver. Pour un magicien, ce grimoire est un trésor fabuleux. Tu peux être sûr que si le dragon l’a trouvé, il s’en est servi !

— Et tu veux que je te le rapporte… À quoi ressemble-t-il ?

— À n’importe quel grimoire, si ce n’est que son parchemin blanc comme neige est relié de cuir bleu nuit et gravé de runes d’argent. Au toucher, il est glacial comme la mort…

— Que dit l’inscription ?

— Inutile que tu le saches…

— À qui appartenait-il ?