— Ils avancent dans notre direction, dit Tass.
— D’où vient l’information ? demanda Flint d’un air soupçonneux.
— Des griffons. Allons, ne fais pas cette tête, sourit Laurana devant l’expression dégoûtée de Flint. Les griffons ont été de précieux auxiliaires. Si les contributions de guerre des elfes ne se bornaient qu’à les fournir, ce serait déjà très bien.
— Les griffons sont des bêtes stupides, déclara Flint. Et je leur fais autant confiance qu’aux kenders. D’ailleurs, poursuivit-il au mépris de la mimique indignée de Tass, tout cela n’a aucun sens. Les seigneurs draconiens n’enverront jamais les dragons à l’assaut sans armée pour les soutenir.
— Leurs armées ne sont peut-être pas aussi dispersées que nous le pensons, soupira Laurana. Ou les dragons auront été envoyés pour dévaster la ville, démoraliser les habitants et laisser le pays en ruine. Je ne sais pas. Regardez, la nouvelle se répand comme une traînée de poudre.
Flint vit des soldats qui auraient dû être relevés encore à leur poste, les yeux fixés sur l’est, où les cimes enneigées de la montagne rosissaient sous le soleil levant. Ils parlaient à voix basse avec leurs camarades pour avoir des informations.
— C’est ce que je craignais, soupira Laurana. La nouvelle va déclencher une panique ! J’ai recommandé au seigneur Amothus de ne pas la divulguer, mais les Palanthiens sont incapables de tenir leur langue ! Voilà ! Je vous l’avais bien dit !
Du haut des remparts, les trois amis virent les rues s’emplir de monde. Apercevant des gens mal réveillés et à moitié habillés courir d’une porte à l’autre, Laurana comprit que la nouvelle se répandrait à toute vitesse.
Ses yeux verts s’enflammèrent de colère.
— Maintenant, il va falloir dégarnir les remparts pour envoyer les hommes rétablir l’ordre dans la ville ! Je n’ai aucune envie que les soldats soient dans les rues quand les dragons attaqueront. Vous, venez avec moi !
D’un geste, elle rassembla les soldats et les emmena avec elle. Flint et Tass la virent disparaître dans l’escalier, puis marcher vers le palais du seigneur. Bientôt les rues fourmillèrent de patrouilles qui s’efforçaient de faire rentrer les habitants dans leurs maisons.
— Quel beau travail ! ricana Flint.
Les rues étaient bondées. Penché au-dessus des remparts, Tass secoua la tête.
— Aucune importance, dit-il d’un ton las. Regarde donc, Flint…
Le nain grimpa sur le mur et prit place à côté du kender. Déjà les hommes avaient saisi leurs arcs et leurs javelots, qu’ils brandissaient en criant. Ici et là, apparaissait la pointe d’une Lancedragon étincelant à la lumière des torches.
— Combien sont-ils ? demanda Flint.
— Dix, répondit Tass. Sur deux rangs. Des gros. Il y a peut-être même le rouge qu’on a vu à Tarsis. Je n’arrive pas à discerner les couleurs dans la lumière de l’aube, mais je vois les cavaliers. Il y a peut-être un seigneur. Kitiara…, qui sait ? Ouah ! fit Tass, assailli par une idée subite. J’espère que cette fois je pourrai lui parler. Cela doit être intéressant d’être un seigneur…
Ses paroles se perdirent dans le bruit des cloches qui sonnaient le tocsin dans toutes les tours de la ville. Dans les rues, les gens levèrent le nez vers les soldats qui bandaient leurs arcs sur les remparts. Au loin, Tass vit Laurana sortir du palais, suivie du seigneur et de ses généraux. Visiblement, elle était furieuse. Elle fit de grands gestes vers les cloches, sans doute pour qu’elles s’arrêtent. Mais il était trop tard.
La terreur s’était emparée du peuple de Palanthas. Les soldats inexpérimentés ne montraient pas plus de sang-froid que les civils. Cris, gémissements et vociférations produisaient un vacarme épouvantable. Le sinistre souvenir de Tarsis revint à l’esprit de Tass. Il se rappela les gens piétinés à mort, les maisons en flammes.
Le kender se tourna vers Flint.
— Finalement, je crois que je ne vais pas parler à Kitiara, dit-il en mettant une main en visière pour regarder venir les dragons. Je n’ai plus envie de savoir ce qu’est un Seigneur des Dragons, parce que ça doit être affreux… Attends…
Tass avait les yeux fixés sur l’est. Penché pour voir le plus loin possible, il faillit basculer dans le vide.
— Flint ! cria-t-il en agitant les bras.
— Qu’est-ce qu’il y a ? grinça le nain.
Il attrapa le kender par son pantalon bleu et le fit descendre du mur.
— C’est comme à Pax Tharkas ! lança Tass, survolté. Comme dans la tombe de Huma ! Comme l’a dit Fizban ! Ils sont venus ! Ils sont venus !
— Mais de qui diable parles-tu ? hurla Flint, exaspéré.
Sautant sur place d’excitation, ses sacoches dansant autour de lui, Tass volta sur ses talons sans répondre et fila comme une flèche, laissant sur place le nain écumant de rage.
— « Ils sont là ! » Mais qui est là, tête de linotte ? brailla-t-il à qui mieux.
— Laurana ! trompeta le kender de sa voix suraiguë. Laurana, ils sont venus ! Ils sont là ! Comme Fizban l’avait dit ! Laurana !
À bout de souffle, Flint abandonna sa course au kender et se retourna vers l’est. Il glissa la main dans sa poche et en sortit une paire de lunettes. S’assurant que personne ne le voyait, il les chaussa.
Il distinguait ce qui n’était auparavant qu’une vapeur rose sur la barre sombre des montagnes. Le nain sentit un sanglot lui nouer la gorge. Vite, il rangea les lunettes dans sa poche. Il les avait mises assez longtemps pour voir dans la lumière de l’aube scintiller des écailles d’argent sur les ailes des dragons.
— Baissez vos armes, les gars, dit Flint aux soldats, s’essuyant les yeux avec son mouchoir. Rendons grâce à Reorx. À présent, il nous reste une chance !
8
Le serment des dragons
Dans les battements de leurs ailes argentées qui illuminaient l’aube, les dragons se posèrent aux abords de la cité de Palanthas. La ville entière se précipita sur les remparts pour admirer les magnifiques créatures.
La population avait d’abord protesté contre ces immenses animaux qui lui faisaient peur. Laurana avait assuré, en vain, qu’ils n’étaient pas méchants. Alors Astinus en personne avait quitté sa bibliothèque pour informer le seigneur Amothus que ces dragons-là ne feraient aucun mal. Non sans réticence, les gens avaient fini par baisser leurs armes.
Jusque-là, le peuple ne croyait pas aux dragons. Très vite, Laurana comprit qu’il acceptait tout ce que disait Astinus, quoi qu’il raconte.
Les habitants de Palanthas commencèrent à apprécier les dragons quand ils virent Laurana franchir les portes pour aller à leur rencontre, puis tomber dans les bras d’un de leurs cavaliers.
— Qui est cet homme ? Qui nous a envoyé les dragons ? Pourquoi se sont-ils dérangés ?
Penchés sur les remparts, les gens se bousculaient en s’interrogeant mutuellement.
Tandis que Laurana accueillait le premier cavalier, une femme aux cheveux d’argent descendit de son dragon. Laurana l’embrassa aussi. Ensuite, à la stupéfaction générale, Astinus les emmena tous trois dans la bibliothèque. Les Esthètes refermèrent aussitôt les portes sur eux.
Jetant des coups d’œil méfiants aux dragons postés devant les remparts, le peuple continua à se poser des questions.
Soudain les cloches se remirent à carillonner. Le seigneur Amothus convoquait la population. Tout le monde quitta les remparts pour s’entasser sur la grand-place du palais.
Amothus apparut au balcon pour répondre aux questions.
— Ce sont des dragons d’argent, cria-t-il, qui viennent de se joindre à nous pour combattre les mauvais dragons, comme dans la légende de Huma. Ils ont été conduits jusqu’ici par…