— Pardonne-moi si je te fais de la peine, mais tu dois savoir, finit-il par dire. Kitiara riait de Tanis avec le seigneur Akarias et elle a même… Je ne peux le répéter, fit-il en rougissant. Tout ce que je puis dire, c’est qu’ils sont amants, Laurana, elle l’a exprimé clairement. Elle a demandé à Akarias de promouvoir Tanis au rang de général… en récompense d’informations qu’il allait lui fournir sur l’Homme à la Gemme Verte…
— Arrête, dit Laurana d’une voix blanche.
— Je suis désolé, Laurana. Je sais à quel point tu l’aimes. Je comprends à présent ce que cela veut dire d’adorer quelqu’un et d’être trahi…
— Laisse-moi seule, Gilthanas.
Il sortit sans bruit de la pièce et ferma la porte derrière lui.
Laurana resta un long moment prostrée. Puis elle reprit la rédaction de son texte là où elle l’avait arrêtée.
9
La victoire
— Laisse-moi te donner un coup de main, dit Tass, coopératif.
— Je… Non, attends ! glapit Flint. L’énergique kender prit le nain par les bottes et le souleva de terre. Le nain s’envola vers le dragon de bronze. Les bras battant frénétiquement dans le vide, il réussit à attraper les rênes et s’y accrocha désespérément, puis retomba en se balançant comme un sac pendu à un clou.
— Mais à quoi joues-tu ? s’écria Tass, agacé. Ce n’est pas le moment de s’amuser ! Allons, laisse-moi te…
— Arrête ! Pas touche ! gronda Flint en flanquant des coups de pied aux mains du kender. Recule ! Mais recule donc, je te dis !
— Bon, débrouille-toi tout seul, souffla Tass, vexé. Écarlate, au bord de l’apoplexie, le nain s’écrasa sur le sol.
— Je monterai par mes propres moyens, lança-t-il avec fureur. Je n’ai pas besoin de toi !
— Dans ce cas, tu ferais bien de t’y mettre de suite, les autres sont déjà tous en selle !
Le nain croisa les bras sur sa poitrine d’un air buté.
— Je vais y réfléchir…
— Oh ! écoute Flint ! Tu ne vas pas rester tout le temps à terre. Je voudrais voler, moi ! Dépêche-toi un peu, s’il te plaît ! Tu sais, je peux y aller seul…
— Tu ne ferais pas une chose pareille ! tonna Flint. La guerre tourne en notre faveur, mais il suffirait de laisser un kender enfourcher un dragon, et ce serait la fin de tout. Autant remettre tout de suite les clés de la ville au seigneur draconien ! Laurana a dit que tu ne pourrais voler qu’avec moi…
— Alors monte ! glapit Tass. J’ai le temps de devenir grand-père avant que tu bouges d’un pouce !
— Grand-père, toi ! grommela Flint en jetant coup d’œil circonspect au dragon qui le regardait d’un drôle d’air. Le jour où tu seras grand-père, les poules auront des dents…
Khirsah, le dragon, considérait le kender et le nain avec une impatience amusée. Comme il était juvénile – autant que peut l’être un dragon sur Krynn –, il approuvait le kender : il était temps de s’envoler pour aller se battre. Khirsah avait été parmi les premiers à répondre à l’appel lancé à tous les dragons d’or, d’argent et de bronze. Il brûlait de se jeter dans la bataille.
Comme c’était un jeune dragon, il affichait le plus grand respect pour les anciens. Bien qu’il fût sensiblement plus âgé que Flint par les années, Khirsah voyait en lui un personnage à la vie riche et remplie d’expériences qui méritait la déférence. Malheureusement, si je ne fais rien pour eux, pensa-t-il, le kender aura raison : nous serons encore là après la bataille !
— Pardon, honoré messire, dit-il, usant de la plus suave formule de politesse en cours chez les nains, puis-je t’être d’une quelconque utilité ?
Surpris, Flint se retourna. Le dragon dodelina de la tête.
— Honoré et respectable messire, répéta-t-il au nain éberlué.
Flint recula précipitamment, renversant le kender. Tous deux roulèrent sur le sol.
Le dragon pencha son énorme tête, saisit délicatement le nain entre ses mâchoires et le remit sur ses pieds.
— Eh bien, j…je ne sais pas, balbutia Flint, confus de tant d’égards. Tu pourrais peut-être m’aider, mais c’est à voir ! Tu comprends, j’ai fait ça toute ma vie. Chevaucher un dragon n’a rien de sorcier pour moi, il suffirait simplement que je…, argumenta-t-il, décidé à ne pas perdre la face.
— Tu n’es jamais monté sur un dragon de ta vie ! s’exclama Tass. Allez, ouste !
— J’avais des choses plus importantes en tête, rétorqua Flint en envoyant son poing dans les côtes du kender, et j’ai l’impression qu’il me faudra du temps pour me mettre au point.
— Certainement, messire, dit Khirsah. Puis-je t’appeler Flint ?
— Tu peux, grogna le nain.
— Moi, c’est Tasslehoff Racle-Pieds, dit le kender en tendant la main au dragon. Flint ne me quitte pas d’une semelle. Oh, excuse-moi, tu n’as pas de quoi me serrer la main. Cela ne fait rien. Quel est ton nom ?
— Les mortels m’appellent Éclair, répondit le dragon, inclinant la tête avec grâce. Maintenant, messire Flint, si tu veux bien suivre les instructions de ton écuyer, le kender,…
— Écuyer ! répéta Tass, sous le choc.
— Demande à ton écuyer de se mettre en selle, continua le dragon. Je l’aiderai à t’installer et à positionner la lance.
Flint réfléchit en caressant sa barbe, puis déclara avec un grand geste :
— Toi, l’écuyer, monte là-dessus et fais ce qu’on te dit.
— Je… tu… nous…, bégaya Tass.
Le kender ne put finir ; le dragon le souleva du sol par son gilet de fourrure et le déposa sur la selle.
Enchanté à l’idée d’être à cheval sur un dragon, Tass se tut. Exactement ce que voulait Khirsah.
— Bien, Tasslehoff Racle-Pieds, dit le dragon. Pour aider ton maître, tu t’y es pris à l’envers. La position correcte est celle que tu occupes maintenant. La lance doit se trouver à droite du cavalier, former un angle perpendiculaire avec mon aile et passer au-dessus de mon épaule. Comprends-tu la position ?
— Je vois ! fit Tass, excité.
— Pendant le vol, le bouclier vous protégera des effluves…
— Eh ho ! cria le nain, l’air buté. Quels effluves ? Je ne vais quand même pas m’envoler en tenant une lance et un bouclier en même temps ? En plus, ce bestiau est deux fois plus grand que le kender et moi réunis !
— Je croyais que tu avais fait ça toute ta vie, messire Flint ! railla Tass.
Le nain s’empourpra et poussa un rugissement, mais Khirsah négocia les choses avec tact :
— Messire Flint ne connaît pas encore ce nouveau modèle, écuyer Racle-Pieds. Le bouclier repose sur la selle où il prend appui. La lance passe à travers le bouclier par un trou et pivote. Quand on est attaqué, il suffit de se cacher derrière le bouclier.
— Passe-moi l’engin, messire Flint ! cria le kender.
Le nain ramassa en grommelant le lourd disque de métal et le hissa tant bien que mal sur le dos du dragon. Il retourna chercher la Lancedragon et la tendit au kender. Tass l’introduisit dans l’orifice du bouclier et poussa. Calée sur son pivot, elle devint facilement maniable, même pour le kender, qui la fit aller et venir avec enthousiasme.
— Génial ! lança Tass, tout à sa manœuvre. Voilà un dragon ! Encore un ! Je… Oh ! fit-il en se redressant. Flint, dépêche-toi ! Ils sont prêts à décoller. Je vois Laurana ! Elle est montée sur un grand dragon d’argent ! Elle passe les troupes en revue ! Ils donneront le signal dans une minute ! Vite, Flint !
— D’abord, messire Flint, dit Khirsah, enfile la veste fourrée. Voilà…, c’est bien. Mets la courroie dans cette boucle. Non, pas celle-ci, l’autre… Bon, ça y est.
— Tu me fais penser au mammouth à poils de laine que j’ai vu un jour…, s’esclaffa Tass. Je ne t’ai jamais raconté l’histoire ? Je…