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Avec une remarquable agilité, l’officier sauta d’un dragon à l’autre. Attrapant Khirsah par le cou, il se hissa sur son dos.

D’un coup d’œil, il s’assura que ni le kender ni le nain ne le menaçaient. Il dégaina son épée et commença à frapper sur les lanières du harnais qui enserraient le poitrail de Khirsah.

— Flint ! implora Tass. Lâche la lance ! Tu ne vois pas ce qui se passe ! Si l’officier coupe le harnais, la selle se détachera et elle tombera dans le vide ! La lance aussi ! Et nous avec !

Flint tourna lentement la tête. Il semblait avoir compris. Avec une lenteur désespérante, sa main actionna le pivot qui maintenait la lance. N’était-ce pas déjà trop tard ?

L’épée de l’officier fendit l’air. Une lanière céda. Ce n’était plus le moment des supputations. Pendant que Flint libérait la lance, Tass prit les rênes et les enroula autour de sa taille. Puis il contourna le nain et se posta devant lui. Étendu de tout son long sur l’encolure du dragon, les jambes refermées sur son cou, il rampa jusqu’à l’officier.

L’homme ne s’occupait pas des deux cavaliers qu’il savait attachés par leurs harnais. Il avait presque achevé de cisailler les lanières. Absorbé par sa tâche, il ne se rendit compte de rien.

Tass se dressa et lui sauta sur le dos. Surpris, celui-ci laissa échapper son épée et se cramponna au cou du dragon.

Écumant de rage, il tentait de savoir qui l’avait agressé quand l’obscurité tomba sur lui. Les mains du kender s’étaient refermées sur ses yeux. L’officier desserra son étreinte. Il fallait se débarrasser de la créature qui semblait pourvue d’une douzaine de pieds et de bras et qui le harcelait avec la ténacité d’un moustique. Glissant de plus en plus, il se rattrapa à la crinière.

— Flint ! Lâche la lance ! Flint !…

Tass ne sut plus que dire. Le sol se rapprochait des deux dragons. Son cerveau s’arrêta de fonctionner. Accroché comme une sangsue à l’officier qui se débattait, il ne vit plus que des éclairs lui passer devant les yeux.

Un grand bruit de métal se fit entendre.

Les dragons s’étaient détachés l’un de l’autre. Dans un battement d’ailes frénétiques, Khirsah exécuta un rétablissement spectaculaire et gagna progressivement de la hauteur. Le sol et le ciel reprirent leurs positions respectives.

Des larmes roulèrent sur les joues de Tass. Il n’avait pas eu peur. Mais jamais il n’avait rien vu d’aussi beau que ce ciel bleu retrouvant sa place naturelle !

— Tout va bien, Éclair ? cria-t-il.

Le dragon de bronze hocha la tête.

J’ai fait un prisonnier, réalisa-t-il soudain, étonné de cette découverte.

Il lâcha la tête de l’officier, à présent complètement groggy.

— Je ne crois pas que tu puisses aller bien loin, marmonna Tass.

Il retourna vers la selle. L’officier se tourna vers le ciel. Ses poings se serrèrent : les dragons avaient été expulsés des nues par les troupes de Laurana. Tass se souvint alors d’où il avait vu cet homme.

— Tu ferais bien de nous ramener sur la terre ferme, Éclair ! Dépêche-toi !

Le dragon avait un œil au beurre noir, des écorchures et des brûlures sur le poitrail et du sang coulait de ses naseaux. Tass chercha des yeux le dragon bleu. Il n’était nulle part.

Son regard se posa sur l’officier ; il se sentit soudain transporté d’aise par ce qu’il avait accompli.

— Hé ! cria-t-il à Flint. Nous l’avons eu ! Nous nous sommes battus contre un dragon et j’ai fait un prisonnier ! De mes mains !

Flint acquiesça mollement. Tass voyait le sol se rapprocher avec un sentiment de bonheur fou. Khirsah atterrit. Les soldats se rassemblèrent autour d’eux avec enthousiasme.

Tass ne fut pas fâché de voir partir l’officier, emmené par un soldat. Le cavalier bleu lui adressa un féroce regard d’adieu.

Le nain restait avachi sur la selle, la mine défaite. Il avait vieilli de cent ans.

— Qu’est-ce qui ne va pas, Flint ? demanda Tass.

— Rien.

— Mais pourquoi te tiens-tu la poitrine ? Es-tu blessé ?

— Non.

— Eh bien alors, pourquoi te tenir la poitrine ?

Flint fronça les sourcils.

— Je n’ai aucune chance que tu me laisses tranquille tant que je n’aurai pas répondu. Bien. Si tu veux le savoir, c’est cette satanée lance ! Celui qui a conçu ce gilet est encore plus idiot que toi. La hampe m’a démoli la clavicule ! Quant à ton prisonnier, le miracle, c’est que vous vous en soyez sortis tous les deux, imbécile ! Capturé, tu parles ! C’est arrivé par accident ! Moi, je vais te dire une chose : jamais de ma vie je ne remonterai sur ces grosses bêtes !

Flint fusilla le kender du regard. Tass préféra prendre la fuite. Quand le nain était de cette humeur, le plus simple était de le laisser jusqu’à ce que ça passe. Il se sentirait mieux après le déjeuner.

À la nuit tombée, Tass se reposait, confortablement installé contre le flanc du dragon de bronze, quand il lui revint à l’esprit que Flint s’était tenu le côté gauche de la poitrine.

La lance était calée contre son flanc droit.

LIVRE II

1

L’Aube du Printemps

L’aube se levait, illuminant la campagne, lorsque les cloches de Kalaman réveillèrent les habitants. Les enfants se précipitèrent auprès de leurs parents, leur demandant si c’était un matin exceptionnel. Les adultes se hâtèrent de quitter leurs lits.

C’était un jour mémorable de l’histoire de Kalaman. Non seulement on fêtait l’Aube du Printemps, mais aussi la victoire des Chevaliers de Solamnie. Stationnée devant les murs de la ville, leur armée, conduite par un général qui appartenait désormais à la légende, une jeune femme elfe, entrerait triomphalement dans la ville à midi.

Le soleil s’élevait au-dessus des remparts en même temps que la fumée des rôtis et des pains qu’on faisait cuire pour la fête. Les marchands ambulants envahirent les rues, proposant des sucreries et babioles multicolores. Les enfants regardaient les montreurs d’ours et les illusionnistes faire leurs numéros.

À midi, les cloches se remirent à sonner. Les portes de la ville s’ouvrirent sur les Chevaliers de Solamnie.

Un murmure d’admiration monta de la populace qui se pressait le long des avenues. Les gens se bousculaient pour ne pas manquer les chevaliers, et surtout la femme elfe dont ils avaient tant entendu parler. Montée sur un magnifique étalon blanc, elle avançait en tête du cortège. La foule, qui se préparait à l’acclamer, resta bouche bée devant sa beauté et sa majesté.

La présence des deux personnages qui marchaient derrière elle surprit le public. Il s’agissait d’un nain et d’un kender juchés sur le dos d’un poney à poils longs aussi large qu’un tonneau. Le kender semblait goûter la situation à l’extrême et saluait la foule. Secoué par des éternuements, le nain, assis en croupe, s’agrippait à son compagnon comme si sa vie était menacée.

Un jeune seigneur elfe qui ressemblait au Général Doré les suivait avec une jeune compatriote à la chevelure argentée et aux yeux bleu nuit. Venaient ensuite soixante-quinze chevaliers solamniques d’imposante carrure, resplendissants dans leurs armures d’apparat.

La foule applaudit et agita des drapeaux. Les chevaliers échangèrent des regards complices. Quelques mois auparavant, ce n’est pas ainsi qu’on les aurait reçus. Aujourd’hui, ils étaient des héros. Trois cents ans de haine et de calomnies semblaient oubliés, maintenant que l’Ordre avait délivré ces gens des armées draconiennes.

Derrière les chevaliers venaient plusieurs milliers de fantassins. Ensuite, à la grande joie de la population, le ciel se remplit de dragons. Pas les terribles monstres bleus et rouges qu’elle avait redoutés tout l’hiver, mais des créatures d’or, d’argent et de bronze, évoluant sous le soleil avec virtuosité.