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— Ce n’était pas la peine de te dépêcher pour m’ouvrir ta boutique.

— Lui ouvrir ma boutique ! Voleur ! Je suis arrivé juste à temps pour…

— Merci quand même, dit Tass en posant le cadenas dans la main du marchand. Je m’en vais. Je ne me sens pas très bien. Ah ! au fait, tu sais que cette serrure est de la camelote ? Elle ne vaut pas un clou. Tu devrais faire plus attention. On ne sait jamais qui peut entrer. Inutile de me remercier, je n’ai pas le temps. Au revoir !

Tasslehoff s’éloigna. « Au voleur ! Au voleur ! » entendit-il derrière lui. Un garde déboula au bout de la rue. Le kender l’esquiva en entrant dans l’échoppe d’un boucher. Ne voyant pas de voleur, il hocha la tête, et poursuivit son chemin, maudissant Flint qui l’avait encore laissé tomber.

Laurana ferma la porte à clé et poussa un soupir de soulagement. Se délectant du calme de la chambre où elle était enfin seule, elle s’assit sur le lit sans même prendre la peine d’allumer la chandelle. Le clair de lune entrait par la fenêtre, inondant la pièce de sa lumière blafarde.

Les bruits de la fête qu’elle venait de quitter montaient du rez-de-chaussée. Il était minuit passé. Elle avait mis deux heures pour s’éclipser. Finalement, elle avait profité d’une intervention du seigneur Mikael qui avait convaincu les notables de Kalaman qu’elle était épuisée.

Laurana avait mal à la tête, mais elle se sentait surtout le cœur lourd. Sans fermer les rideaux, car elle avait horreur d’être dans le noir, elle s’étendit sur le lit.

Quelqu’un frappait à la porte.

Laurana se réveilla en sursaut. Ils croiront que je suis endormie et ils s’en iront, se dit-elle en refermant les yeux.

On frappa à nouveau, de façon plus insistante.

— Laurana…

— Tu me diras ça demain matin, répondit la jeune elfe en essayant de rester calme.

— C’est important, Laurana, dit Tass. Flint est avec moi.

Laurana les entendit se disputer derrière la porte :

— Vas-y, dis-lui…

— Pas question, c’est à toi de le faire…

— Mais il a dit que c’était important et je…

— D’accord, j’arrive ! soupira Laurana.

Elle se leva et ouvrit.

— Salut, Laurana ! fit Tass en entrant. Quelle belle soirée c’était, n’est-ce pas ? Je n’avais jamais mangé de paon rôti…

— Que veux-tu, Tass ? demanda Laurana en fermant la porte.

Voyant la mine défaite de Laurana, Flint flanqua un grand coup de coude dans le dos du kender. Tass fouilla la poche de son gilet et en sortit un parchemin noué d’un ruban bleu.

— Un… une espèce de prêtre m’a demandé de te remettre ça, Laurana.

— C’est tout ? fit-elle en lui arrachant le parchemin. C’est sans doute une demande en mariage. J’en ai eu vingt la semaine dernière. Sans parler des autres propositions.

— Oh non ! répondit Tass, soudain sérieux. Ce n’est pas ça du tout. Le message vient de…

— Comment sais-tu d’où il vient ? demanda Laurana.

— Euh… je… en quelque sorte, j’ai jeté un œil dessus, avoua Tass. Mais seulement parce que je ne voulais pas te déranger pour rien.

Flint ricana.

— Merci, dit Laurana en s’approchant de la fenêtre pour lire le parchemin.

— Nous allons te laisser, fit Flint en tirant le kender vers la porte.

— Non, attendez !

— Tout va bien ? demanda le nain, inquiet. Tass, va chercher Silvara ! dit-il en voyant Laurana s’effondrer sur une chaise.

— Non, non, je n’ai besoin de personne ! Je vais… très bien. Savez-vous ce qu’il y a là-dedans ? dit-elle en agitant le parchemin.

— J’ai voulu le lui dire, fit Tass d’un air offensé, mais il ne m’a pas laissé parler.

Laurana tendit le parchemin à Flint. Il le déroula et le lut à haute voix :

— « Tanis Demi-Elfe a été blessé à la bataille de Vingaard. La blessure, d’abord bénigne, a empiré. Les prêtres noirs eux-mêmes n’y peuvent rien. J’ai donné l’ordre de le transporter au Donjon de Dargaard, où je pourrai m’occuper de lui. Tanis connaît la gravité de son état. Il a demandé à te voir, car il veut te parler avant de mourir.

« Je te fais une proposition. Mon officier Bakaris, que tu as capturé près du Donjon de Vingaard, est ton prisonnier. Je te propose d’échanger Tanis Demi-Elfe contre lui. L’affaire aura lieu demain à l’aube dans le petit bois, derrière les remparts. Que Bakaris soit avec toi. Si tu n’as pas confiance, tu peux amener les amis de Tanis, Flint Forgefeu et Tass Racle-Pieds. Mais personne d’autre. Le porteur de ce message attendra devant les portes de la ville. Tu le rencontreras demain à l’aube. Si tu ne viens pas, tu ne reverras jamais Tanis. »

« Si j’agis ainsi, c’est que nous sommes deux femmes et que nous pouvons nous comprendre. Kitiara. »

Il y eut un silence gêné. Flint se racla la gorge et roula le parchemin.

— Comment peux-tu rester calme ! dit Laurana en le lui arrachant des mains. Et toi, pourquoi ne m’as-tu rien dit plus tôt ? cria-t-elle à Tass. Depuis quand le sais-tu ? Tu as lu ce parchemin et tu…

Elle se prit la tête entre les mains. Tass la regarda, interloqué.

— Laurana, finit-il par dire, tu ne crois pas sérieusement que Tanis…

Laurana leva la tête. Ses yeux verts allèrent du kender au nain et du nain au kender.

— Vous ne croyez pas ce que dit le message ?

— Bien sûr que non ! C’est un piège ! Un draconien me l’a donné ! Kitiara est devenue un Seigneur des Dragons. Que veux-tu que Tanis ait à faire avec elle ?

Laurana se détourna. Tass se tut et regarda Flint, dont le visage s’était assombri.

— Alors c’était ça, fit doucement le nain. Nous t’avons vue parler avec Kitiara sur le rempart de la Tour du Grand Prêtre. Vous n’avez pas évoqué la mort de Sturm, n’est-ce pas ?

Laurana hocha la tête.

— Je ne vous l’ai jamais dit, murmura-t-elle, parce que je ne pouvais pas. Je gardais espoir… Kitiara disait qu’elle avait laissé Tanis dans un endroit appelé Flotsam… pour s’occuper de ses affaires durant son absence.

— Elle a menti !

— Non. Elle a raison quand elle dit que nous sommes deux femmes et que nous nous comprenons. Elle n’a pas menti. Je sais qu’elle disait la vérité. Elle a même parlé de notre cauchemar. Vous vous en souvenez ?

Flint acquiesça d’un air gêné. Tass racla ses semelles sur le plancher.

— Seul Tanis peut lui avoir parlé du rêve que nous avons tous fait, poursuivit Laurana d’une voix nouée. Dans ce songe, je l’ai vu avec elle, exactement comme j’ai vu la mort de Sturm. Le rêve devient réalité…

— Attends un peu ! fit rudement Flint. Tu as dit aussi que tu avais vu ta propre mort, après celle de Sturm. Et tu n’es pas morte. Personne n’a découpé Sturm en morceaux non plus.

— Et moi non plus, je ne suis pas mort comme dans le rêve ! Pourtant, j’ai touché pas mal de serrures, enfin, quelques-unes, mais aucune n’était empoisonnée. D’ailleurs, Tanis ne ferait jamais…

Flint foudroya Tass du regard. Le kender se tut. Mais Laurana avait compris.

— Si ! Il pourrait. Vous le savez tous les deux. Il l’aime. Bien ! Je vais y aller. J’échangerai Bakaris…

Flint poussa un soupir. C’est ce qu’il avait craint.

— Laurana…

— Flint, coupa-t-elle, si Tanis recevait un message disant que tu es à l’agonie, que ferait-il ?

— Là n’est pas la question, marmonna le nain.

— Quand bien même il devrait traverser les Abysses, affronter des centaines de dragons, il viendrait…

— Peut-être bien que oui, peut-être bien que non. Non, s’il est à la tête d’une armée, qu’il assume des responsabilités, et que d’autres dépendent de lui. Il saurait que je comprendrais…

— Je n’ai jamais demandé à avoir de pareilles responsabilités. Je ne les ai pas choisies. Nous pourrions laisser croire que Bakaris s’est échappé…