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— C’est un imbécile, dit froidement Kitiara. Il a voulu monter un dragon, alors qu’il était blessé.

— Je sais. Que lui était-il arrivé ?

— La femme elfe lui a tiré une flèche dans le bras. Tout cela est sa faute, il n’a que ce qu’il mérite. Je l’avais relevé de son commandement pour en faire mon garde du corps. Mais il a exigé que je lui donne une chance…

— Tu ne sembles pas très affectée par sa perte…

— Non, répondit-elle en souriant. Garibanus… fait très bien l’affaire. J’espère que tu ne l’as pas tué. J’aurais des difficultés à trouver quelqu’un d’autre pour aller demain à Kalaman.

— Que vas-tu donc faire à Kalaman ? Tu te prépares à te rendre à la femme elfe et à ses chevaliers ?

— Non. Je me prépare à accepter sa reddition.

— Ah ! ricana Akarias. Ils ne sont pas fous. Ils savent qu’ils tiennent la victoire. Et ils ont raison ! tonna-t-il en se servant une autre coupe de vin. Tu dois la vie à ce fantôme de chevalier, Kitiara. Du moins pour ce soir. Mais il ne t’accompagnera pas partout !

— Mes projets se réalisent beaucoup plus facilement que je m’y attendais, répliqua Kitiara sans se laisser déconcerter. Si j’ai réussi à te vaincre, nul doute que je réussirai à vaincre l’ennemi.

— Tu m’aurais vaincu, Kitiara ? Oublierais-tu que tu as perdu sur tous les fronts ? N’as-tu pas été chassée de Solamnie ? Les bons dragons et les Lancedragons ne t’ont-ils pas valu une cuisante défaite ?

— Il n’en est rien ! fit Kitiara d’une voix cinglante.

L’œil fulgurant, elle se pencha et saisit la main d’Akarias.

— Quant aux bons dragons, mes espions m’ont rapporté qu’un seigneur elfe et un dragon d’argent s’étaient introduits dans un temple à Sanxion. Ils ont découvert ce qu’étaient devenus les œufs. À qui la faute ? Qui les a laissés entrer ? C’est toi qui étais responsable de la sécurité du temple !

Furieux, Akarias se dégagea de l’étreinte de Kitiara.

Il lança sa coupe à travers la pièce et se campa devant elle.

— Par les dieux, tu vas trop loin ! cria-t-il à perdre haleine.

— Quel cirque tu fais ! dit Kitiara en traversant la pièce. Suis-moi dans la salle des cartes, je t’expliquerai mes plans.

Akarias examinait la carte du nord de l’Ansalonie.

— Cela peut marcher, admit-il.

— Bien sûr que ça va marcher, dit Kitiara en s’étirant. Mes troupes ont détalé comme des lapins. Hélas pour eux, les chevaliers ne sont pas assez astucieux pour remarquer que nos armées se retiraient toujours vers le sud. Ils ne se sont jamais demandé pourquoi elles fuyaient, fondant comme neige au soleil. Au moment où nous parlons, mes armées se rassemblent dans une vallée abritée, au sud de ces montagnes. Dans une semaine, plusieurs milliers d’hommes seront prêts à marcher sur Kalaman. La perte de leur « Général Doré » mettra le moral des défenseurs au plus bas. La ville capitulera probablement sans combat. De là, je reconquerrai le territoire que nous avons apparemment perdu. Donne-moi le commandement de l’armée de ce crétin de Toede, envoie-moi la citadelle volante que je réclame, et la Solamnie croira qu’un nouveau Cataclysme s’est déclenché !

— Mais la femme elfe…

— … N’est pas un problème.

— C’est le point faible de ton plan, dit Akarias en hochant la tête. Et Demi-Elfe ? Es-tu sûre qu’il ne se mettra pas en travers de tes plans ?

— Ne nous préoccupons pas de lui. C’est elle qui compte, et elle est amoureuse. Elle me fait confiance, Akarias. Tu te moques, mais c’est la vérité. Elle a trop confiance en moi, et pas assez en Tanis Demi-Elfe. Mais il en va toujours ainsi avec les amoureux.

C’est en ceux que nous aimons que nous avons le moins de foi. Par chance, Bakaris se trouve entre leurs mains.

Akarias la regarda. Elle avait détourné la tête et sa voix s’était altérée : elle n’était pas aussi sûre d’elle que ça. Il comprit qu’elle mentait. Le demi-elfe ! Quel rôle jouait-il dans cette histoire ? Akarias en avait beaucoup entendu parler, mais il ne l’avait jamais rencontré. Le seigneur draconien caressa l’idée de la pousser dans ses derniers retranchements, puis changea brusquement d’avis. Il savait qu’elle mentait ; cela lui donnait un pouvoir sur cette femme redoutable. Mieux valait la laisser dans l’ignorance de ses soupçons.

Akarias feignit l’indifférence en bâillant ostensiblement.

— Que vas-tu faire de la femme elfe ? lui demanda-t-il comme elle s’y attendait.

La passion d’Akarias pour les blondes n’était un secret pour personne. Kitiara haussa les épaules et le regarda d’un air moqueur.

— Désolée, mon seigneur, mais Sa Majesté la Reine des Ténèbres la réclame. Tu l’auras peut-être après.

Akarias tressaillit.

— Bah ! Elle ne sera plus bonne à rien. Tu la donneras à notre ami, le seigneur Sobert. Jadis, il aimait les elfes, si mes souvenirs sont exacts.

— Ils le sont. Écoute, dit-elle doucement.

Akarias se tint tranquille. D’abord, il n’entendit rien de particulier. Puis il perçut un son étrange, comme les gémissements d’une foule de femmes pleurant leurs morts, qui devint de plus en plus fort, perçant le silence de la nuit.

Le seigneur posa sa coupe de vin, étonné de voir sa main trembler. Kitiara était devenue pâle sous son hâle. Elle sentit sur elle le regard d’Akarias.

— Horrible, non ? dit-elle d’une voix brisée.

— J’ai été confronté à de terribles choses à la Tour des Sorciers. Mais ce n’était rien comparé à cela. Qu’est-ce donc ?

— Viens, si tu as les nerfs solides, je te montrerai.

Kitiara le conduisit à travers les corridors du château jusqu’à la galerie où était sa chambre.

— Reste dans l’ombre, recommanda-t-elle.

Une recommandation superflue, pensa Akarias en pénétrant dans la galerie surplombant la salle circulaire. Penché par-dessus la balustrade, il vit un spectacle qui le plongea dans le désarroi et se retira vivement.

— Comment peux-tu supporter une chose pareille ? demanda-t-il en rentrant dans la chambre. Est-ce toutes les nuits comme ça ?

— Oui, dit-elle en tremblant. Parfois je me persuade que j’y suis habituée, puis je commets l’erreur de regarder en bas. La mélopée n’est pas le pire…

— Elle est épouvantable ! fit Akarias en s’épongeant le front. Ainsi le seigneur Sobert occupe son trône chaque nuit, entouré de ses squelettes de guerriers, et ces sorcières noires murmurent une horrible complainte !

— C’est toujours la même, murmura Kitiara. Bien que le passé soit une torture pour lui, il ne peut y échapper. Il rumine ses pensées, se demandant ce qu’il pourrait faire pour échapper au destin qui le condamne à errer sans repos. Les femmes elfes, qui ont contribué à sa chute, sont contraintes de revivre cette histoire à ses côtés. Toutes les nuits, elles la répètent. Et toutes les nuits, il est obligé de l’entendre.

— Quelles sont les paroles ?

— Je les connais presque aussi bien que lui, à présent. Fais-nous servir une autre carafe de vin, et je te raconterai cette histoire, si tu as le temps.

— J’ai le temps, dit Akarias en se calant dans un fauteuil. Mais je dois partir dès demain matin, si je veux t’envoyer la citadelle volante.

Kitiara lui fit l’un de ses sourires en coin qui charmaient tant les hommes.

— Merci, mon seigneur. Je ne te décevrai plus.

— J’espère bien, Kitiara. Tu connaîtrais sinon un destin pire que le sien, dit-il en faisant un geste vers la salle circulaire, d’où montait des sons de plus en plus aigus.

— Comme tu le sais, commença Kitiara, le seigneur Sobert était un noble Chevalier de Solamnie. Mais c’était également un homme passionné et indiscipliné, ce qui le mena à sa perte.