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« Un jour, il tomba amoureux d’une belle elfe, disciple du Prêtre-roi d’Istar. Il était marié, mais la vue de la jeune fille lui fit oublier sa femme. Violant les préceptes du mariage et ceux de la chevalerie, Sobert laissa libre cours à sa passion. Il séduisit sa belle et l’emmena vivre au Donjon de Dargaard, lui promettant de l’épouser. Quant à sa femme, elle disparut dans de sinistres circonstances.

« D’après ce que dit la chanson, bien que l’elfe eût découvert les méfaits du chevalier, elle lui resta fidèle et obtint son pardon auprès des dieux. Sobert fut même doté du pouvoir d’empêcher le Cataclysme, mais au prix du sacrifice de sa vie.

« Fort de l’amour de la femme qu’il avait abusée, il partit pour Istar avec l’intention d’empêcher le Prêtre-Roi de commettre le pire, et de restaurer son honneur déchu.

« Au cours de son voyage, il fut arrêté par des femmes elfes disciples du Prêtre-Roi, qui connaissaient ses crimes et qui avaient juré sa perte. Pour miner l’amour qu’il portait à la jeune elfe, elles prétendirent que celle-ci lui avait été infidèle pendant son absence.

« Succombant à ses passions destructrices, Sobert perdit la raison. Dans un accès de rage, il repartit au galop pour le Donjon de Dargaard. À peine entré, il accusa l’innocente de l’avoir trompé. Alors le Cataclysme se déclencha. Le grand chandelier du vestibule tomba sur le sol, brûlant la jeune elfe et son enfant. En mourant, elle maudit le chevalier et lui jeta un sort qui le condamnait à une effroyable vie éternelle. Sobert et sa suite périrent par le feu pour renaître sous cette forme hideuse. »

— Par les dieux, Kitiara, quel terrible destin de devoir entendre raconter cette histoire tous les jours, murmura Akarias.

3

Le piège

Étendu sur le grabat de son cachot, Bakaris dormait d’un sommeil agité. Lui qui se montrait arrogant et insolent le jour, était assailli la nuit par des rêves où il était question de Kitiara et de son exécution prochaine. Pendant ses longues heures d’insomnie, il maudissait la femme elfe qui avait été la cause de sa chute et ne cessait de ruminer sa vengeance, au cas où elle tomberait entre ses mains.

Bakaris oscillait entre le sommeil et la veille lorsqu’il entendit une clé tourner dans la serrure. En un bond, il fut debout. C’était bientôt l’aube, l’heure des exécutions. Les chevaliers venaient le chercher !

— Qui est-ce ? appela-t-il d’une voix rauque.

— Chut ! Tu ne cours aucun danger si tu te tiens tranquille et si tu fais ce que je te dis.

Bakaris était éberlué. Il connaissait cette voix. Nuit après nuit, il l’avait entendue dans ses rêves de vengeance. La femme elfe ! Il vit deux autres silhouettes se profiler dans l’ombre. Le nain et le kender, probablement. Ils étaient toujours pendus aux basques de la maudite.

La porte de la cellule s’ouvrit en grand et la femme entra, une cape à la main.

— Mets ça, dépêche-toi, ordonna-t-elle rudement.

— Pas avant de savoir de quoi il retourne, répondit Bakaris, bien qu’il fût fou de joie.

— Tu vas être échangé contre un autre prisonnier, répondit Laurana.

Bakaris fronça les sourcils. Inutile de paraître trop empressé.

— Je ne te crois pas, dit-il, s’étendant sur son grabat, c’est un piège…

— Je me moque de ce que tu crois ! Tu viendras, dussé-je t’assommer pour t’emmener ! Peu m’importe que tu sois conscient ou non, l’essentiel est que je te livre à Kit… ceux qui te réclament !

Kitiara ! C’était donc ça ! À quoi jouait-elle ? Mijotait-elle quelque chose ? Bakaris hésita. Ni l’un ni l’autre ne se faisait confiance. L’elfe était capable de se servir de lui à des fins personnelles. Mais il pourrait retourner les choses à son avantage.

Voyant le visage tendu de Laurana, Bakaris comprit qu’elle mettrait sa menace à exécution. Il faudrait qu’il patiente.

— Il me semble que je n’ai pas le choix, dit-il.

Le clair de lune éclaira la cellule où il avait croupi pendant plusieurs semaines – il ne savait plus très bien combien. Prenant la cape des mains de Laurana, il rencontra son regard plein de dégoût.

— Pardon, noble dame, dit-il d’un ton sarcastique, mais les serviteurs de ton établissement n’ont pas songé à me fournir un rasoir. Je sais que la vue de quelques poils sur le menton donne la nausée aux elfes !

À la surprise de Bakaris, Laurana devint pâle comme une morte. Elle fit un effort surhumain pour se contrôler.

— Avance ! dit-elle d’une voix étranglée.

Le nain entra dans la cellule, sa hache de guerre à la main.

— Tu as entendu le général ! aboya Flint. Par Reorx, comment cette misérable carcasse peut-elle être une monnaie d’échange pour Tanis…

— Flint ! s’exclama Laurana, en colère.

Soudain, Bakaris comprit. Le plan de Kitiara commença à lui apparaître.

— Ainsi, on va m’échanger contre Tanis, dit-il en regardant Laurana avec attention.

Elle ne broncha pas. Il aurait aussi bien pu parler de quelqu’un d’autre que de l’homme dont Kitiara le disait amoureuse. Il récidiva pour éprouver sa théorie.

— Tanis n’est pas vraiment prisonnier, à moins que ce soit de l’amour. Kitiara a dû s’en lasser. Le pauvre ! Il me manquera. Lui et moi, nous avons beaucoup en commun…

La réaction ne tarda pas. Il vit les mâchoires de Laurana se serrer et ses épaules trembler sous sa cape. Elle se tourna et sortit de la cellule. Il avait touché juste. Il se servirait de cette information pour prendre sa revanche. Poussé par le nain, il franchit le seuil de la cellule.

Le soleil n’était pas encore levé mais une lueur annonçait l’aube. La ville était encore plongée dans un profond sommeil. Les sentinelles bâillaient ou ronflaient. Les quatre silhouettes encapuchonnées arrivèrent sans encombre devant une petite porte, sur le chemin de ronde.

— Elle mène à un escalier de ce côté du mur, et on descendra de l’autre côté par un second escalier, dit Tass, fouillant dans ses poches à la recherche de son passe-partout.

— Comment le sais-tu ? murmura Flint, nerveux.

— Je suis venu à Kalaman quand j’étais petit, avec mes parents. Nous passions par ici, répondit-il en glissant un fil de fer dans la serrure.

— Pourquoi pas par la porte principale, ç’aurait été trop simple ? maugréa Flint.

— Dépêchez-vous ! ordonna Laurana, qui s’impatientait.

— Nous aurions pu emprunter la porte principale, répondit Tass en introduisant le fil de fer dans le trou. Ah ! voilà, fit-il, le remettant soigneusement dans sa poche. Où en étais-je ? s’exclama-t-il en ouvrant la porte. Oui, nous aurions pu passer par la grande entrée, mais les kenders n’étaient pas admis dans la ville.

— Ça n’a pas empêché tes parents d’y venir ! grogna Flint en le suivant dans l’escalier.

Le nain gardait l’œil sur Bakaris, qui, lui semblait-il, se conduisait un peu trop bien. Laurana était fermée comme une huître, n’ouvrant la bouche que pour donner des ordres.

— Oui, bien sûr, babillait Tass avec entrain. Ils ont toujours considéré que cette interdiction de séjour était une erreur. Pourquoi devrions-nous être sur la même liste que les gobelins ? Quelqu’un a dû inscrire les kenders par accident. Mais mes parents pensaient qu’il n’était pas poli de discutailler, alors nous entrâmes par la petite porte… Voilà, nous y sommes ! Normalement, ce n’est pas verrouillé. Attention, il y a un garde. Attendons qu’il soit passé.

En bas de l’escalier, ils se retrouvèrent de l’autre côté des remparts.

Il n’y avait personne. Pas le moindre signe de vie. Flint sentit une vague appréhension le gagner. Et si Kitiara disait la vérité ? Si Tanis était vraiment avec elle ? Et s’il était mourant ?