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Ils avaient perdu la notion du temps.

Tanis et Rivebise avaient exploré le bâtiment sans trouver de sortie, ni trace de vie humaine. Tanis se demandait s’ils n’étaient pas sous l’emprise d’un charme. Chaque fois qu’ils s’aventuraient dans un des corridors, c’était pour revenir dans la même pièce.

Ils n’avaient qu’un vague souvenir du moment où ils avaient été engloutis par le maelström. Tanis se rappelait le craquement des planches, la chute du mât et les voiles arrachées. Il revoyait Caramon emporté par une énorme vague et les boucles rousses de Tika flottant dans le courant. Il avait vu le dragon… et Kitiara… Les serres du monstre avaient laissé des traces sur son bras. Une autre vague avait déferlé… Il avait retenu son souffle, certain que la douleur allait lui faire éclater les poumons. Longtemps il avait attendu la mort, accroché à une planche ; puis il avait refait surface dans l’eau mugissante, qui l’avait de nouveau aspiré vers une fin inéluctable…

Il s’était réveillé dans cet endroit étrange. Rivebise, Lunedor et Berem étaient avec lui, les vêtements encore trempés.

Au début, Berem était resté terré dans un coin, effrayé par leur présence. Lunedor l’avait rassuré, lui parlant avec douceur et lui apportant de la nourriture. Il n’avait qu’une seule idée : quitter cet endroit.

Tanis avait d’abord supposé que Berem les avait entraînés à dessein dans le maelström, parce qu’il connaissait l’existence de cette pièce.

Mais il commençait à en douter. Berem paraissait troublé et inquiet. Sans doute ne savait-il rien. Qu’il se décide à leur parler prouvait qu’il disait la vérité. Il était au désespoir. Pour quelle raison ?

— Berem, commença Tanis, marchant de long en large. Si tu tiens tant à échapper à la Reine des Ténèbres, il semble que nous soyons dans l’endroit idéal…

— Non ! s’écria Berem.

— Pourquoi ? Pourquoi tiens-tu tellement à partir ? Pourquoi veux-tu te jeter dans la gueule du loup ?

Berem se recroquevilla sur son siège.

— Je n’ai aucune idée d’où nous sommes ! Je dois rentrer… Il faut que j’aille quelque part… Je suis à la recherche de quelque chose… Et je ne serai pas en paix tant que je n’aurai pas trouvé.

— Eh bien, cherche ! Que veux-tu donc trouver ? s’énerva Tanis.

Sentant la main de Lunedor se poser sur la sienne, il réalisa qu’il se conduisait comme un fou. Mais il était décourageant d’avoir devant soi la clé de la victoire pour la Reine des Ténèbres et ne pas savoir pourquoi !

— Je ne peux pas te le dire !

Tanis respira un bon coup et ferma les yeux. Il fallait se calmer. Il avait l’impression que sa tête allait éclater d’une seconde à l’autre. Lunedor se leva. Les deux mains sur ses épaules, elle lui murmura des paroles apaisantes où il était question de Mishakal. Il se sentait vidé, mais son malaise était passé :

— C’est bon, Berem, ne t’inquiète pas. Je m’excuse. Oublions ça. Parlons de toi. D’où viens-tu ?

Berem hésita. Il semblait aux abois. Tanis, frappé par l’étrangeté de son attitude, fit le premier pas.

— Moi, je suis de Solace. Et toi ?

Berem le regarda d’un air méfiant.

— Tu ne connais sûrement pas. Je viens d’un petit village près de… de… Neraka.

— Neraka ? répéta Tanis en interrogeant Rivebise des yeux.

— Il a raison, je n’en ai jamais entendu parler, dit Rivebise.

— Moi non plus, marmonna Tanis. Dommage que Tass ne soit pas là avec ses cartes… Berem, pourquoi…

— Tanis ! cria Lunedor.

Au ton de sa voix, le demi-elfe se leva d’un bond, la main sur le pommeau de son épée. Un homme en robe rouge se tenait sur le seuil de la porte.

— Bonjour ! dit-il en langue commune.

La vision de la robe ramena l’image de Raistlin à l’esprit de Tanis. Un instant, il crut vraiment que c’était lui. Mais ce mage-là était plus âgé et son visage était très doux.

— Où sommes-nous ? demanda Tanis. Qui es-tu ? Comment avons-nous atterri ici ?

— KreeQuekh, fit l’homme d’un air dégoûté.

Il tourna les talons et s’éloigna.

— Enfer et damnation ! jura Tanis en se précipitant derrière lui.

— Attends un peu, fit Rivebise en le retenant par le bras. Calme-toi, Tanis, c’est un magicien. Tu ne peux rien contre lui, même avec ton épée. Nous allons le suivre pour voir où il va. S’il a ensorcelé cet endroit, il devra probablement lever le charme pour en sortir.

— Tu as raison. Pardonne-moi. Je ne sais pas ce que j’ai, je me sens plus tendu qu’une corde de violon. Nous allons le suivre. Lunedor, tu restes ici avec Berem…

— Non ! cria Berem.

Il bondit de son siège et empoigna Tanis avec une telle force qu’ils faillirent tomber.

— Non ! Ne me laissez pas seul ici ! Ne me laissez pas…

— Nous n’avons pas l’intention de te laisser ! dit Tanis en se dégageant de son étreinte. Bon, eh bien d’accord ! Il vaut peut-être mieux rester ensemble.

Ils s’engagèrent dans un étroit corridor qui les conduisit à une salle vide et déserte.

— Il est parti par là ! indiqua Rivebise.

Ils aperçurent un pan de robe rouge au détour d’un couloir. Ils coururent et arrivèrent dans une nouvelle salle, qui donnait sur plusieurs portes.

— Ce n’était pas agencé comme ça avant ! s’écria Rivebise. Cette salle avait des murs pleins !

— Pleins d’illusions, oui ! marmonna Tanis.

Ils firent le tour des pièces, toutes vides et délabrées. Suivant à la trace le mage en robe rouge, ils traversèrent plusieurs corridors. Deux fois, ils crurent l’avoir perdu, mais ils le retrouvaient bientôt au détour d’un couloir ou à l’autre bout de la prochaine salle.

Ils atteignirent l’intersection de deux corridors.

— Séparons-nous, dit Tanis. Mais nous n’irons pas loin, et nous nous retrouverons ici. Rivebise, si tu vois le mage, tu siffles. Je ferai de même.

Le barbare et Lunedor partirent d’un côté, Tanis et Berem de l’autre.

Le corridor aboutissait sur une grande salle aussi singulièrement éclairée que les autres. Rien d’intéressant, à première vue. Tanis décida cependant d’y jeter un coup d’œil avant de s’en aller. À l’exception d’une grande table ronde, l’endroit était vide. Tanis remarqua qu’une carte était gravée sur son plateau.

Peut-être pourrait-il déterminer où ils se trouvaient ? La carte reproduisait avec minutie le plan en relief d’une ville ! Il n’y manquait pas un détail. Sa représentation semblait plus réelle que la salle qui l’abritait.

— Vraiment dommage que Tass ne soit pas là, se dit Tanis, imaginant le ravissement du kender devant cette merveille.

Il fut interrompu par Berem qui le tirait par la manche, l’incitant du geste à quitter les lieux.

— Juste un instant, fit Tanis, Rivebise n’a pas encore sifflé ; je voudrais examiner cette carte d’un peu plus près.

Au centre de la ville se dressaient d’élégantes maisons et un palais à colonnade. Des fleurs printanières grimpaient jusqu’aux dômes de cristal. Au cœur même de la cité trônait un édifice qui devait être un temple. Bien que Tanis fût certain de n’y avoir jamais mis les pieds, ce bâtiment lui rappelait quelque chose.

C’était le plus beau qu’il ait jamais vu, surpassant même les Tours du Soleil et des Étoiles des royaumes elfes. Ses sept tours pointaient vers le ciel comme une offrande aux dieux.

Ce que ses maîtres elfes avaient enseigné à Tanis sur le Cataclysme et le Prêtre-Roi lui revint à la mémoire. Il détacha les yeux de la carte et releva la tête, la gorge serrée. Berem, livide, le regardait avec inquiétude.

— Qu’y a-t-il ? balbutia-t-il en s’agrippant à Tanis.

Le demi-elfe hocha la tête. Les mots se dérobaient à lui. Les compagnons se trouvaient dans une situation impliquant des choses si terribles qu’il eut l’impression d’être englouti une seconde fois par les flots rouges de la Mer de Sang.