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— Ben, Kalaman, pour sûr ! répliqua le pêcheur en les toisant d’un air soupçonneux. Vous m’avez l’air de drôles de gaillards. Non seulement vous ne savez pas comment vous avez sombré, mais vous ignorez où vous êtes ! Vous étiez ivres ? Bon, cela ne me regarde pas. Fils, va chercher la charrette !

Après leur avoir jeté un regard désabusé, il retourna à ses occupations.

Restés seuls, les compagnons se dévisagèrent.

— L’un de vous peut-il dire comment nous sommes arrivés là ? Et dans cet accoutrement ! demanda Tanis.

— Je me rappelle la Mer de Sang et le maelström, répondit Lunedor. Pour le reste, j’ai l’impression d’avoir rêvé.

— Je me souviens de Raistlin…, fit gravement Caramon. Et je me souviens aussi…

— Chut ! Cela n’avait rien d’un rêve, coupa Tika.

— J’ai le souvenir confus de deux ou trois choses, dit Tanis, les yeux posés sur Berem. Mais j’ai du mal à mettre de l’ordre dans ma tête. Inutile de revenir en arrière. Allons à Kalaman et nous saurons où nous en sommes. Ensuite…

— Palanthas ! dit Caramon. Nous irons à Palanthas.

— Nous verrons, dit Tanis. Veux-tu vraiment revoir l’individu qui te sert de frère ?

Caramon ne répondit pas.

Les compagnons arrivèrent à Kalaman dans la matinée.

— Que se passe-t-il ? demanda Tanis au jeune pêcheur qui conduisait la charrette. C’est jour de fête ?

Dans les rues pleines de monde, les boutiques avaient tiré leurs volets. De petits groupes s’étaient rassemblés sur les places et discutaient avec animation.

— On dirait plutôt un enterrement, fit remarquer Caramon. Quelqu’un d’important doit être mort.

— Ou alors c’est la guerre…, dit Tanis.

— Ce ne peut pas être la guerre, messire ! répliqua le jeune pêcheur d’un air consterné. Par les dieux, vous deviez être drôlement ivres si vous ne vous souvenez pas. Le Général Doré et les bons dragons…

— Ah oui ! s’empressa de dire Tanis.

Le jeune garçon interpella en passant un groupe d’hommes aux visages graves.

— Quelles sont les nouvelles ? demanda-t-il.

Ils se retournèrent, parlant tous à la fois. Tanis saisit quelques phrases au vol. « Général Doré enlevé…», « La ville est perdue…», « Les mauvais dragons…»

Tous regardaient d’un air méfiant ces étrangers richement vêtus.

Les compagnons prirent congé du jeune pêcheur et décidèrent de se rendre sur la place du marché pour en savoir plus long. Dans les rues, la foule devenait dense. Les gens couraient dans tous les sens, certains prenaient la direction des portes de la ville, leur baluchon sur l’épaule.

— Nous ferions bien d’acheter des armes, dit Caramon, l’atmosphère n’a rien de réjouissant. Qui est ce « Général Doré » ? Sa disparition a l’air de mettre les gens au désespoir !

— Probablement un chevalier solamnique, répondit Tanis. Tu as raison, nous devrions acheter des armes. Sacrebleu ! J’avais une bourse de jolies pièces d’or anciennes… Volatilisée ! Comme si nous n’avions pas assez d’ennuis…

— Attends, j’ai la mienne, grommela Caramon en tâtant son ceinturon. Non, ce n’est pas possible ! Elle était là il y a une seconde !

Il scruta la foule et aperçut une petite silhouette qui se faufilait comme une anguille entre les passants.

— Hé ! Toi là-bas ! cria Caramon, bousculant tout sur son passage pour rattraper le voleur.

Sa main l’agrippa par son gilet de fourrure.

— Maintenant, rends ce que tu m’as pris ! cria Caramon en le soulevant de terre. Ça alors ! Tasslehoff !

— Caramon ! s’écria Tass. Tanis !

Le kender se précipita dans les bras de son ami et éclata en sanglots.

Les remparts étaient noirs de monde. Quelques jours auparavant, au même endroit, les habitants de Kalaman acclamaient le défilé des chevaliers et des bons dragons. Aujourd’hui, l’œil rivé sur la plaine, ils attendaient midi dans l’angoisse.

Tanis restait au côté de Flint. Le vieux nain s’était presque évanoui d’émotion en voyant son ami devant lui, sain et sauf. Mais leurs retrouvailles étaient teintées de tristesse. Tass et Flint s’étaient relayés pour raconter ce qu’il leur était arrivé depuis qu’ils s’étaient séparés à Tarsis, quelques mois auparavant.

Les compagnons apprirent coup sur coup la découverte des Lancedragons, la destruction de l’orbe draconien, et la mort de Sturm.

Tanis fut accablé par la nouvelle. Sans son ami, le monde lui semblait inconcevable. Flint essaya de le détourner de son chagrin en insistant sur le combat victorieux qu’avait livré le chevalier, et sur la sérénité qu’il avait retrouvée à ses derniers instants.

— Il est devenu un héros de la Solamnie, dit Flint. Comme Huma, il est entré dans la légende. Son sacrifice a sauvé la chevalerie, du moins c’est ce qu’on dit. C’est surtout ce qu’il voulait…

— Continue, dit Tanis en ravalant ses larmes. Dis-moi ce qu’a fait Laurana en arrivant à Palanthas. Si elle encore là, nous pourrions…

Flint et Tass échangèrent un regard gêné. Le nain baissa les yeux ; le kender renifla bruyamment en cherchant son mouchoir.

— Qu’avez-vous donc ? demanda Tanis d’une voix blanche. Parlez !

Le nain lui raconta tout.

— Je te demande pardon, Tanis, je l’ai abandonnée à son sort…

Flint sanglotait à fendre l’âme. Tanis sentit son cœur se briser. Il prit son vieil ami entre ses bras et le serra contre lui.

— Ce n’est pas ta faute, Flint. Si faute il y a, c’est la mienne. C’est à cause de moi qu’elle risque sa vie, voire pire.

— « Qui distribue les blâmes à tous vents, finit par blâmer les dieux », cita Rivebise. C’est un proverbe de mon pays.

Piètre réconfort, songea Tanis.

— À quelle heure doit arriver… la Dame Noire ? demanda-t-il.

— À midi, répondit Tass.

Il était presque midi. On attendait la Dame Noire à tout instant.

Sur les remparts, la populace gardait le silence. Gilthanas se tenait à l’écart, souhaitant conserver ses distances avec Tanis. Le demi-elfe comprenait son attitude. Gilthanas savait que Kitiara s’était servie de lui pour attirer Laurana dans un piège. Quand il avait demandé à Tanis s’il s’était laissé séduire par Kitiara, il ne l’avait pas nié.

« — Je te tiens pour responsable de ce qui arrivera à Laurana, avait dit Gilthanas, blanc de colère. Je prierai les dieux nuit et jour pour qu’ils t’infligent le centuple des souffrances qu’elle devra endurer ! »

« — J’en supporterais bien plus si cela pouvait nous la rendre ! » s’était écrié Tanis.

Des murmures s’élevèrent. Un point sombre grossissait à l’horizon.

— C’est son dragon, dit Tass avec solennité, je l’ai vu à la Tour du Grand Prêtre.

Le dragon bleu descendit vers la ville pour se poser à une portée de flèche des remparts. Dans un silence glacé, la Dame Noire se dressa sur ses étriers et enleva son heaume.

— Le sort de la femme elfe que vous appelez le Général Doré est entre mes mains ! En voici la preuve, déclara Kitiara en brandissant une mèche de cheveux enroulée autour du casque d’argent de Laurana. Je vous laisserai ces preuves avant de partir, pour que vous n’oubliiez jamais votre « général » !

Un murmure parcourut la foule massée sur les remparts. Kitiara s’était arrêtée. Tanis faillit sauter des remparts pour la défier.

Voyant son expression de fauve aux abois, Lunedor le saisit par le bras pour l’apaiser. Kitiara reprit sa harangue :

— L’elfe Lauralanthalasa a été conduite chez la Reine des Ténèbres à Neraka. Elle y sera retenue en otage tant que les conditions suivantes ne seront pas remplies. Primo, la Reine exige que l’humain dénommé Berem l’Éternel lui soit livré. Secundo, que les bons dragons retournent à Sanxion et se rendent au seigneur Akarias. Tertio, que le seigneur elfe Gilthanas ordonne aux Chevaliers de Solamnie et aux elfes du Silvanesti et du Qualinesti de déposer les armes. Le nain Flint Forgefeu fera de même avec son peuple.