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— Bon, prenons par là. Avance, Fizban. Je ne tarderai sans doute pas à le regretter…

Au coucher du soleil, les compagnons firent halte. Ils avaient devant eux une gorge étroite et profonde où serpentait une rivière. La plate-forme rocheuse sur laquelle ils se trouvaient surplombait un à-pic de quatre cents pieds. Il n’y avait qu’un seul moyen de franchir le précipice.

— Ce pont a largement dépassé mon âge, grommela Flint, et il est bien plus mal en point que moi !

— Ce pont est resté debout pendant des siècles ! s’indigna Fizban. Il a même survécu au Cataclysme.

— Je veux bien le croire…, fit Caramon.

— Au moins, il ne sera pas long à traverser…, ajouta Tika, se voulant rassurante.

Le pont était une construction unique en son genre. Des madriers en forme de croix fichées dans le rocher supportaient les planches de la plate-forme. Ce qui avait été autrefois une merveille architecturale était à présent rongé par les intempéries. Quant au garde-fou, le pourrissement avait dû le faire basculer dans le précipice.

Derrière eux, des cliquetis d’armes et des vociférations se firent entendre.

— Nous ne pouvons plus rebrousser chemin ! Essayons de passer un par un !

— Ce serait trop long ! répliqua Tanis. Il n’y a plus qu’à espérer que les dieux nous aideront. De là-bas, il nous sera plus facile de tirer sur les draconiens. Une fois sur le pont, ils feront des cibles idéales. Je passerai le premier et vous suivrez immédiatement derrière. Caramon, tu fermeras la marche. Berem, suis-moi.

Les planches vermoulues craquèrent sous les pieds de Tanis. Il les sentit plier sous son poids. Tout en bas, au fond de la gorge, la rivière brillait entre les rochers. Il aspira une grande bouffée d’air pour résister au vertige qui le saisissait.

— Ne regardez pas en bas ! dit-il, esquissant un pas en avant.

Berem avança. La peur des draconiens annihilait toutes les autres. D’un pas léger, Tass le suivit, jetant des regards émerveillés au fond de la gorge. Fizban soutenait Flint, terrifié. Tika et Caramon vinrent à leur tour, jetant des coups d’œil inquiets derrière eux.

Au milieu du pont, des planches cédèrent sous le pied de Tanis. Tétanisé de peur, il s’agrippa par réflexe au bord du pont. Il sentit le bois se ramollir sous ses doigts, qui glissèrent… Alors une main se referma comme un étau sur son poignet.

— Tiens bon, Berem ! haleta Tanis en se raidissant pour assurer une meilleure prise à l’Éternel.

— Vas-y, Berem, tire-le ! cria Caramon. Que personne ne bouge ! Ce tas de planches est capable de s’effondrer d’un instant à l’autre !

Le visage baigné de sueur, les veines gonflées par l’effort, Berem tira lentement le demi-elfe sur le pont. Pantois, Tanis s’affala comme une masse.

Tika poussa un cri. Le demi-elfe réalisa qu’on venait de lui sauver la vie juste à temps pour qu’il puisse la perdre de nouveau : une trentaine de draconiens apparaissaient sur le sentier.

Il se retourna vers le précipice. L’autre moitié du pont avait tenu. Il suffirait d’un bond, et ils seraient en sécurité de l’autre côté ; lui, Caramon, et Berem. Mais Tass, Flint, Tika et le vieux mage ?

— Tu parlais de cibles idéales…, fit Caramon en dégainant son épée.

— Lance un sort, vieux mage ! cria Tass.

— Qu’est-ce que tu dis ? demanda Fizban en clignant des paupières.

— Un sort ! hurla le kender, pointant un doigt sur les draconiens.

Voyant les compagnons pris au piège sur le pont, ils se préparaient à l’hallali.

— Tass, laisse, nous avons assez d’ennuis comme ça ! dit Tanis.

Il encocha une flèche et banda son arc. Un draconien, touché en pleine poitrine, tomba dans le précipice en hurlant. Tanis décocha flèche après flèche. Les draconiens, paniqués, ne pouvaient échapper au tir du demi-elfe. Il fallait qu’ils passent à l’assaut.

À cet instant, Fizban lança un sort.

Berem eut un hoquet de surprise ; Tanis faillit lâcher son arc.

Brillant comme un soleil entre les nuages, une passerelle descendit entre les deux flancs de la montagne. Les mains tendues vers le ciel, le vieux mage la guida vers le trou béant au milieu du pont.

Tanis vit les draconiens cloués sur place, leurs yeux de reptiles écarquillés devant ce prodige.

— Vite ! cria-t-il en tirant Berem derrière lui.

Dès que Tass les vit sauter sur la passerelle, il empoigna Flint et s’y précipita. Les draconiens, revenus de leur stupeur, se ruèrent sur le pont de bois. Caramon les tint en respect avec son épée. Tanis continua à leur tirer dessus, tandis que Tika entraînait Berem et Flint sur le dernier tronçon du pont.

— Ça y est ! hurla Tika, de l’autre côté du pont.

— Avance ! ordonna Caramon au vieux mage.

Fizban s’occupait à fignoler le positionnement de la passerelle.

— Voilà ! C’est parfait ! déclara-t-il d’un air satisfait. Et les gnomes qui me jugent mauvais ingénieur…

Quand Fizban et Caramon furent enfin sur la passerelle, le tronçon de bois qui menait à la terre ferme s’effondra avec de sinistres craquements.

— Nous sommes coincés ! s’écria Tanis.

Ils entendirent les exclamations épouvantées de Tika, étouffées par les cris de joie des draconiens.

Soudain, un claquement sec se fit entendre, suivi de mugissements de terreur. L’autre tronçon s’était effondré dans le précipice, emportant dans sa chute la plupart des draconiens.

— Nous n’allons pas tarder à prendre le même chemin ! brailla Caramon. Il n’y a plus rien pour soutenir la passerelle !

Tanis retint son souffle. Le regard du guerrier allait d’un bout à l’autre de la structure magique.

— Je n’arrive pas à y croire…, souffla-t-il.

— Et pourtant, c’est vrai…, répondit Tanis comme dans un rêve.

La passerelle restait suspendue entre ciel et terre au centre du canyon. Fizban se tourna vers Tanis avec une mine triomphante.

— Un merveilleux sortilège, je dois l’avouer, fit-il en se rengorgeant. Tu n’aurais pas une corde ?

La nuit était tombée depuis longtemps lorsque les compagnons parvinrent à quitter la passerelle. Tika avait solidement arrimé une corde à un rocher. Un par un, Caramon, Tass, Fizban et Tanis s’étaient laissés glisser vers la terre ferme.

Le lendemain matin, lorsqu’ils se réveillèrent, la première chose qu’ils virent fut la passerelle étincelante sous le soleil.

3

Terredieu

Les compagnons passèrent la journée à errer à travers la montagne. La patience de Tanis, mise à rude épreuve, menaçait de céder. Il résistait à la tentation d’étrangler le vieux mage parce qu’il était certain que Fizban les menait dans la bonne direction. Dix fois, le demi-elfe aurait juré qu’ils étaient déjà passés devant tel ou tel groupe de rochers, mais quand il apercevait le soleil, qui se faisait rare, il devait admettre qu’ils maintenaient le cap vers le sud-est.

Le froid hivernal avait fait place à l’air tiède du printemps, chargé de senteurs délicieuses. Mais cela ne dura pas longtemps. Un crachin épais se déversa du ciel, transperçant les manteaux les plus épais et supprimant toute visibilité.

Au milieu de l’après-midi, le moral du groupe était au plus bas, y compris celui de Tass, qui s’était disputé avec Fizban à propos du chemin à prendre pour arriver à Terredieu.

Tanis enrageait de constater que ni le vieux mage ni le kender ne savaient où ils se trouvaient réellement. Il avait même surpris Fizban en train de lire une carte à l’envers. Tass avait mis fin à l’altercation en rangeant ses parchemins dans sa sacoche. Le vieux mage l’avait alors menacé de transformer sa belle queue-de-cheval en une queue de rat.