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— Tass ! Tu vas dire à Caramon de continuer à jouer la comédie. Quoi que je tente, faites-moi confiance. Quoi qu’il arrive, c’est bien compris ?

Tanis avait parlé en langue elfe. Tass hocha la tête. Il y avait longtemps qu’il ne l’avait plus pratiquée. Tanis ne pouvait prendre le risque d’utiliser la langue commune. Il ne lui restait plus qu’à espérer que Tass avait compris. Déjà, le garde qui le surveillait lui ordonnait de se taire.

La foule commença à se disperser dans les rues. Les draconiens allaient pouvoir emmener leurs prisonniers.

Tanis trébucha soudain, entraînant dans sa chute le garde, qui s’étala de tout son long dans la poussière.

— Debout, ordure ! cria l’autre soldat en frappant le visage du demi-elfe avec le manche de son fouet.

Tanis agrippa le fouet et la main qui le tenait et tira d’un coup sec. Le garde culbuta cul par-dessus tête. L’espace d’une seconde, le demi-elfe fut libre.

Sous l’œil des soldats qui le suivaient, et devant un Caramon stupéfait, Tanis se rua vers le personnage qui trônait sur son dragon.

— Kitiara ! hurla-t-il.

Les gardes le rattrapèrent.

— Kitiara ! rugit-il à s’en faire éclater les poumons.

Se débattant comme un forcené, il réussit à se libérer une main et enleva son casque.

Entendant crier son nom, le seigneur draconien en armure bleu nuit se retourna. Tanis vit ses yeux bruns s’arrondir de surprise, et ceux du dragon se darder sur lui.

— Kitiara !

D’une secousse, il s’arracha aux mains des gardes et plongea en avant. Des draconiens se précipitèrent sur lui et le terrassèrent. Dans la mêlée, Tanis ne perdit pas de vue le regard du « seigneur ».

— Halte, Nuage ! dit Kitiara.

Tanis retint son souffle. Son cœur et sa tête lui faisaient mal, et du sang coulait de son front.

Il s’attendit à ce que Kitiara reconnaisse Caramon, son demi-frère. Pourvu que le grand guerrier lui fasse confiance !

Le capitaine de la garde arriva, écumant de rage. Il s’apprêtait à écraser la tête de Tanis d’un coup de botte quand une voix retentit :

— Arrêtez ! Laissez-le tranquille.

À regret, les draconiens lâchèrent le demi-elfe. Sur un geste de la Dame Noire, ils reculèrent.

— Qu’y a-t-il de si important, commandant, pour que tu perturbes mon cortège ? demanda-t-elle froidement.

Soulagé, Tanis avança vers elle. Une lueur amusée brillait dans les yeux de Kitiara. Elle n’était pas mécontente ; un nouveau jeu avec un vieux jouet n’était pas fait pour lui déplaire. Tanis se racla la gorge et adopta un ton audacieux.

— Ces idiots m’ont arrêté pour désertion, déclara-t-il, simplement parce que cet imbécile de Bakaris ne m’a pas donné de laissez-passer !

— Je veillerai à ce qu’il soit puni pour t’avoir causé des ennuis, mon bon Thanthalasa, répondit Kitiara, contenant son envie de rire. Comment as-tu osé ? lança-t-elle au capitaine, qui serait volontiers rentré sous terre.

— Le règlement…, mon seigneur, balbutia l’homme, terrorisé.

— Disparais de ma vue, ou je te donne en pâture à mon dragon, dit Kitiara en le congédiant d’un geste méprisant.

Elle tendit la main à Tanis.

— Pour oublier cet incident, veux-tu m’accompagner ?

— Merci, seigneur, répondit le demi-elfe.

Il prit la main de Kitiara et grimpa à côté d’elle dans la nacelle. Ses yeux scrutèrent la foule mais il ne les vit pas. Si ! Ils étaient là tous les quatre, encadrés par des gardes. Caramon lui jeta un regard surpris et peiné, mais il ne dit rien. Soit le message était passé, soit le guerrier lui faisait confiance. Tanis se rassura en songeant que ses amis étaient plus en sécurité qu’en sa compagnie.

C’est peut-être la dernière fois que je les vois, se dit-il. Mais ce n’était pas le moment de se laisser aller. Kitiara le regardait avec un curieux mélange de ruse et d’admiration.

Tass s’était haussé sur la pointe des pieds pour voir ce qu’il advenait de Tanis. Il l’avait regardé grimper sur le dos du dragon. Puis le cortège s’était remis en marche. Bousculé par les gardes qui les faisaient avancer au pas de charge, Tass avait perdu son ami de vue.

— Alors ton copain se fait enlever par le seigneur alors que toi, tu vas moisir en prison ! ricana un garde en aiguillonnant Caramon de la pointe de sa lance.

— Il ne m’oubliera pas, sois tranquille, marmonna Caramon.

— Bien sûr qu’il va revenir te chercher, s’il arrive à sortir du lit de la Dame Noire !

Caramon rougit. Tass le regarda d’un air inquiet. Il n’avait pas eu l’occasion de lui communiquer le message de Tanis et l’idée que le colosse risquait de tout gâcher l’épouvantait. Quoique… il n’y avait plus grand-chose à gâcher…

Caramon redressa fièrement la tête.

— Avant la nuit, je serai dehors, gronda-t-il de sa voix de baryton. Tous deux, nous en avons vu d’autres ! Il ne me laissera pas tomber.

Alarmé par le discours de Caramon, Tass attendait impatiemment le moment propice pour lui expliquer les choses. Un cri de Tika lui fit tourner la tête. Un garde était en train de déchirer sa tunique. Ses mains griffues avaient écorché le cou de la jeune fille. Caramon cria quelque chose, mais trop tard ! Tika avait giflé le mufle à toute volée.

Furieux, le draconien la jeta par terre et brandit son fouet. Tass entendit Caramon inspirer bruyamment ; il se recroquevilla, s’attendant au pire.

— Eh ! Ne l’abîme pas ! cria Caramon. Ça pourrait te coûter cher ! Dame Kitiara en donne six pièces d’argent, et elle ne vaudra plus rien si tu la marques !

Le draconien hésita. Caramon n’était qu’un prisonnier. Mais il avait vu quelle réception la Dame Noire avait réservée à leur ami. Fallait-il prendre le risque d’offenser un homme qui bénéficierait peut-être lui aussi de sa faveur ? Cela n’en valait pas la peine. Il poussa Tika pour la faire avancer.

Tass soupira de soulagement et se tourna vers Berem. L’Éternel était d’un calme inhabituel. Il semblait dans un autre monde. Les yeux hagards, il gardait la bouche entrouverte, comme un demeuré. Au moins, ce comportement ne posait-il pas de problèmes. Tass s’intéressa alors au décor.

Il fut déçu. Neraka n’était qu’un petit village pauvre, submergé par les milliers de tentes qui l’envahissaient comme des parasites.

Aussi loin que puisse porter la vue, le temple dominait les baraquements comme un grand oiseau de proie. Son architecture disharmonieuse et tarabiscotée était pour l’œil une épine. On ne voyait que lui et sa laideur hantait durablement les esprits.

Tass examina l’édifice. Pris d’un malaise, il détourna rapidement les yeux. Le reste de la ville n’était pas plus réjouissant. Envahie par les tentes, elle regorgeait de draconiens, de gobelins et de mercenaires humains courant les tavernes et les bordels pleins d’esclaves venues de tous les coins de Krynn. Les nains des ravins pullulaient autour des détritus comme des rats. Une odeur pestilentielle se dégageait de cette fourmilière où, bien qu’il fût midi, il faisait sombre comme au crépuscule. La citadelle volante et les dragons qui patrouillaient sans cesse obscurcissaient le ciel.

Horrifié, Tass songea que Laurana était prisonnière de cet enfer. Le sordide des lieux avait réussi à entamer le moral pourtant foncièrement bon du kender.

Bousculés par les gardes, les compagnons durent se frayer un passage à travers les bandes de soldats éméchés et braillards.

Au bout de la rue, un bataillon de la Reine Noire progressait. Ceux qui ne se retiraient pas devant les soldats de Sa Majesté étaient brutalement écartés ou tout simplement piétinés. Les gardes se hâtèrent de pousser leurs prisonniers contre les façades, leur ordonnant de ne pas bouger.