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Il éclata du rire cynique que Tanis lui avait déjà entendu une fois. S’inclinant ironiquement devant le demi-elfe, Raistlin emboîta le pas au chevalier et se fondit dans la nuit.

1

Les navires aux blanches ailes. Au-delà des Plaines Poudreuses. L’espoir.

Le Conseil était en session. Bien que les Questeurs aient officiellement renoncé à leurs fausses croyances, ils avaient conservé leur titre et leur autorité sur les huit cents réfugiés.

— Nous sommes tous reconnaissants aux nains d’avoir pu trouver refuge chez eux, bien entendu, déclara Hederick, le Grand Questeur. Notre gratitude va également aux héros qui ont reconquis le Marteau de Kharas, et qui ont ainsi rendu la chose possible, continua-t-il en s’inclinant devant Tanis. Cela dit, nous ne sommes pas des nains !

Des murmures encouragèrent Hederick à poursuivre avec plus de vigueur.

— Les humains n’ont pas été faits pour vivre sous terre ! Nous sommes des paysans. Nous ne pouvons pas faire pousser de quoi nous nourrir à l’intérieur d’une montagne. Il nous faut des terres comme celles que nous avons été obligés de quitter. Je dis que ceux qui nous ont contraints à quitter notre pays devraient nous en donner un nouveau !

— Veut-il parler du Seigneur des Dragons ? ironisa Sturm à l’oreille de Tanis. Il se fera sûrement un plaisir d’accéder à sa demande.

— Ces idiots devraient se réjouir qu’on leur ait laissé la vie sauve, murmura Tanis. Regarde-les se tourner vers Elistan, comme si c’était lui qui avait tout fait !

Le prêtre de Paladine, chef des réfugiés, se leva de son siège et répondit à Hederick.

— Nous avons besoin de reconstruire nos foyers et notre existence, dit-il de sa voix de baryton. C’est pourquoi je propose d’envoyer un groupe en mission dans le sud, à Tarsis la Magnifique.

En pensée, Tanis retourna quelques semaines en arrière, au moment où ils étaient revenus du Tombeau de Derkin avec le Marteau.

Les nains, désormais sous la tutelle de Hornfel, avaient voulu être armés contre le fléau venu du nord. Le Marteau assurait leur défense, bien qu’ils n’aient pas grand-chose à redouter : caché sous la montagne, leur royaume était pratiquement imprenable.

Ils avaient tenu leur promesse : en contrepartie du Marteau, ils avaient laissé les réfugiés de Pax Tharkas s’installer dans l’extrême sud du royaume de Thorbardin, où ils tentaient tant bien que mal de refaire leur vie. Mais le grand air et le soleil leur manquaient ; le sol rocailleux n’était guère fertile.

Elistan s’était souvenu de la légendaire Tarsis et de ses navires aux blanches ailes. Plus personne n’avait entendu parler de cette cité depuis le Cataclysme, trois cents ans plus tôt, à l’issue duquel les nains avaient coupé toute communication entre le nord et le sud en fermant la frontière du royaume de Thorbardin.

Le Conseil des Questeurs approuva à l’unanimité la suggestion d’Elistan. Il fut proposé d’envoyer un petit groupe d’hommes prendre des renseignements et acheter un navire à Tarsis.

Les regards se tournèrent tout naturellement vers le demi-elfe, le désignant pour la mission. Avant que Tanis ait pu ouvrir la bouche, Raistlin se leva, et fixa les Questeurs de ses étranges yeux dorés.

— Vous êtes fous, dit-il avec véhémence, et vous vivez dans des rêves de fous. Combien de fois faudra-t-il que je le répète ? Combien de fois devrais-je vous rappeler les présages des étoiles ? À quoi pensez-vous quand vous regardez le ciel, et que vous ne voyez qu’un trou noir là où brillaient deux constellations ?

Les membres du Conseil échangèrent des regards accablés d’ennui. Raistlin s’en rendit compte et continua d’un air méprisant :

— Je sais, certains d’entre vous considèrent qu’il s’agit d’un phénomène naturel, comme la chute des feuilles en automne. Mais je le répète, vous déraisonnez. La constellation qu’on appelle la Reine des Ténèbres a quitté le ciel ; la Reine est à présent sur Krynn. D’après ce qu’ont révélé les Anneaux, la constellation du Guerrier, représentant l’ancien dieu Paladine, est aussi sur Krynn pour la combattre.

« Retenez bien mes paroles ! Avec l’arrivée de la Reine des Ténèbres, le Cantique a annoncé des « meutes hurlantes » !

— Tout cela, nous le savons, coupa Hederick avec impatience. Où veux-tu en venir ?

— Il n’existe plus un seul îlot de paix sur Krynn, siffla le mage. Prenez le bateau, partez où bon vous semble ! Où que vous soyez, quand vous regarderez le ciel étoilé, vous verrez ces trous noirs ! Où que vous alliez, il y aura les dragons !

Raistlin fut pris d’une violente quinte de toux. Son frère jumeau, Caramon, vint le soutenir, et l’emmena hors de la salle.

Tout le monde poussa un soupir de soulagement. Vraiment, d’où le mage sortait-il cette idée saugrenue de Krynn englouti par la guerre ! En Ansalonie, le Seigneur des Dragons, Verminaard, avait été défait et son armée avait battu en retraite.

Les membres du Conseil levèrent la séance pour regagner leurs foyers ou l’auberge. Ils avaient complètement oublié de demander à Tanis de prendre le commandement du groupe partant pour Tarsis. Pour eux, cela devait aller de soi.

Tanis prit son tour de garde à la porte de la Cité du Sud. Son regard errait sur les bois alentour quand il vit arriver Sturm, Elistan et Laurana. Ils avaient dû parler de lui, car ils s’interrompirent d’un air gêné en s’arrêtant devant lui.

— Comme tu es solennel, dit doucement Laurana en posant sa main sur son bras. Tu penses que Raistlin a raison, n’est-ce pas, Tanthal… Tanis ?

La jeune femme savait qu’entendre son nom elfe ravivait les tourments de Tanis. Il posa affectueusement sa main sur la sienne. Quelques mois plus tôt, le contact de cette peau l’aurait irrité, tant il s’était pris d’amour pour une humaine. À présent, il s’étonnait du réconfort et du calme que lui procurait ce contact.

— Je crois qu’il faut prendre au sérieux ce que dit le mage, répondit-il, sachant que ses amis seraient choqués. Cette fois-ci, je pense qu’il a raison. Nous avons remporté une victoire, mais nous sommes loin d’avoir gagné la guerre. Nous savons que le nord est en feu. Il est évident que ce n’est pas pour conquérir la seule Abanasinie que les forces du Mal se battent.

— Tu n’émets que des suppositions ! argumenta Elistan. Ne te laisse pas influencer par les visions pessimistes du jeune mage. Il dit peut-être vrai, mais ce n’est pas une raison de désespérer, ni de renoncer à entreprendre. Là-bas, nous trouverons quelqu’un qui pourra nous dire si la guerre a gagné tout Krynn. Si c’est le cas, nous trouverons sûrement quelque part un havre de paix où nous pourrons nous établir.

— Tanis, écoute Elistan, dit Laurana avec douceur. C'est un homme sage. Quand le peuple des elfes a quitté le Qualinesti, il ne s’est pas enfui à l’aveuglette. Les elfes ont cherché un refuge où régnait la paix. Mon père avait un plan, qu’il n’osait pas révéler…

Tanis retira brusquement sa main de celle de Laurana, et regarda Elistan avec colère.

— Raistlin dit que l’espoir est la négation de la réalité, dit-il froidement. (Voyant le visage consterné et soucieux d’Elistan, le demi-elfe esquissa un sourire contraint.) Pardonne-moi, Elistan. Je suis fatigué, c’est tout. Ta suggestion est bonne. Nous irons porter nos espoirs à Tarsis.

Elistan acquiesça et s’éloigna sans mot dire en compagnie de Sturm. Tanis éteignit les torches et commença à fermer les portes. Le visage de Laurana, qui le regardait, debout dans le passage, se durcit : Tanis l’ignorait complètement.

— Mais enfin, qu’est-ce que tu as ? demanda-t-elle au bout d’un moment. On dirait que tu prends le parti de ce mage à l’âme noire contre Elistan, un des hommes les plus sages et les meilleurs que je connaisse !

— Ne juge pas Raistlin, Laurana, dit Tanis avec rudesse. Rien n’est tout noir ni tout blanc, comme vous autres les elfes inclinez à le croire. Le mage nous a sauvé la vie plusieurs fois. J’en suis venu à compter avec ce qu’il pense. D’ailleurs je trouve plus simple d’écouter ses avis que me fier à une foi aveugle.