Выбрать главу

Ma gamberge se remet à fonctionner. Je revois le boulevard désert, la bagnole des gars acharnés à me buter… L’explosion… Les pavés énormes devant mes yeux… Ce choc à ma tronche… Tout !

— C’est grave, ce que j’ai ?

— Une simple commotion, fait le révérend Pinuche en sortant la vessie de porc qui lui tient lieu de blague à tabac.

Il extirpe en outre de sa vague un cahier de Job gommé tout froissé, arrache un feuillet délicat et puise dans la blague une pincée de tabac qu’il étale sur la feuille cassée en tuile. Lorsqu’il a fini d’étaler le tabac, il n’en reste que trois brins dans le papier. Il enflamme le tout au moyen d’un briquet fumeux, la moitié de la cigarette et une extrémité de sa moustache brûlent d’un coup. Puis la combustion de ces deux éléments se stabilise et le père Pinuche exhale avec satisfaction un nuage bleuté qui le fait chialer.

— T’as eu un gnon à la tête… Tu sens pas cette aubergine ?

Avec lenteur, je porte ma dextre à mon front. Mes doigts hésitants décèlent une monumentale excroissance. Quelque chose d’aussi volumineux que le plumet d’un saint-cyrien, mais de beaucoup plus consistant…

— Quelle heure est-il ? balbutié-je, m’apercevant qu’il fait grand jour.

L’honorable Pinaud hale sa montre gigantesque comme on remonte l’ancre d’un navire. Il mate le cadran et déclare :

— Huit heures…

— Comment se fait-il que je sois resté dans le cirage si longtemps ?

— Ils t’ont filé un lucratif pour te faire dormir…

— Un quoi ? m’étouffé-je.

— Un adjectif, non, un subjonctif… Mince, je me souviens plus… Un truc qui calme, quoi !

— Un sédatif ?

— Voilà !

— Pinaud, murmuré-je d’un ton évanescent, tu es toujours aussi gâteux.

Il renifle un grand coup et, méprisant, laisse tomber :

— Je vois que ça va mieux, t’as déjà le carcasme aux lèvres…

— On a des nouvelles de mes agresseurs ?

— Non. On sait rien d’eux. Un couple d’amoureux qui se trouvaient à promiscuité prétend que c’était une 403 noire…

— Exact…

— Ces idiots n’ont pas eu la présence d’esprit de relever le numéro…

Il la boucle en me voyant refouler mes couvrantes.

— Qu’est-ce que tu fiches ?

— Je me lève…

— C’est pas raisonnable. Le toubib dit que t’en as pour un jour ou deux à te remettre !

— J’enchose le toubib, affirmé-je.

— Trop aimable, fait une voix dans mon dos.

Je me retourne et je constate qu’un monsieur grave, habillé de blanc, vient d’entrer dans la chambre.

— Simple façon de parler, docteur, dis-je. Vous aurez rectifié de vous-même !

Il sourit en homme qui en a déjà vu pas mal et qui s’apprête à en voir d’autres.

— Recouchez-vous donc, fait sèchement le praticien.

— Mais je me sens d’attaque, doc !

— Vous avez été médiciné et je ne tiens pas à ce que vous descendiez l’escalier sur la tête. Cette fois, au lieu d’une bosse, vous risqueriez d’y faire un trou et ce serait plus ennuyeux.

Pour lui prouver que ses craintes sont vaines, je mets le pied par terre. Aussitôt mon manège se met à tourniquer. Sans que j’aie à remuer, la table de chevet, la fenêtre, le docteur, la porte, Pinaud et la bassine d’émail blanc défilent devant mes yeux brouillés à une allure croissante.

— Alors ? gouaille le médecin.

Je dois me rendre à ses raisons : je ne suis pas en état de grimper au sommet de la tour Eiffel sur les mains.

— Recouchez-vous ; d’ici quelques heures ça ira mieux et, si vous êtes raisonnable, ce soir vous pourrez rentrer chez vous !

Force m’est donc de remettre ma viande dans les torchons. Je le fais en maugréant, ce qui me vaut un ricanement sardonique de Pinuche.

— Tu te crois toujours plus malin que les autres, jubile ce déchet humain.

Il attire une chaise à lui et y dépose ce qui lui sert à s’asseoir, tandis que le médecin met les voiles.

Je ferme les yeux pour stopper le manège. Au bout d’un moment le carrousel se fige.

— Comment se fait-il que tu sois là ?

— On a été prévenus par le commissariat du 18e. Ils ont trouvé tes papiers sur toi…

— Qu’a dit le Vieux ?

— Il paraissait salement embêté. Il a encore téléphoné y a un instant pour avoir de tes nouvelles. C’est lui qui m’a dépêché ici afin que je recueille tes premières déclarations.

S’avisant brusquement qu’il a une mission à accomplir, il me demande en lissant sa moustache de rat malade :

— A propos, ça s’est passé comment ?

Je ne réponds rien. Très peu pour le rapport. Je préfère m’occuper de mes oignons moi-même. J’en aurais trop — ou pas assez — à bonnir.

— Tu liras ça dans les journaux, Fossile, fiche-moi la paix, tu as entendu ce qu’a dit le toubib : il me faut le repos absolu.

Personnellement il n’est pas contre. Le voilà qui commence à s’assoupir avec bonne volonté sur sa chaise.

Je le réveille d’une bourrade.

— La voiture dans laquelle je roulais a beaucoup de mal ?

Il essuie d’un doigt noueux ses yeux chassieux.

— Si tu la voyais, assure-t-il, tu n’appellerais plus ça une voiture. On se demande comment t’as pu en réchapper, quand on regarde ce tas de ferraille.

Il écrase son mégot contre son talon et rigole.

— T’aurais des ennemis que ça ne m’étonnerait pas.

J’en connais une qui va regretter sa faiblesse. Quand la môme Monique va apprendre que sa rutilante M.G. est partie pour la casse, elle fera une jaunisse, c’est couru.

Il ne me reste plus qu’à souhaiter qu’elle soit assurée tous risques. Sinon je vais être bonnard pour lui en offrir une autre. Plutôt tocasson comme aventure, non ?

Brusquement une question me vient à l’esprit. Une question capitale. Est-ce sur moi ou sur la voiture qu’on a tiré ? J’espère que le distinguo ne vous échappera pas, bien que votre débilité mentale ne fasse de doute pour personne !

Si c’est sur moi, pas de problème… Mais si c’est sur la chignole, ça prouverait qu’on en avait après Monique !

Des gens la guettaient pour la liquider. En voyant sa tire, ils se sont mépris et…

Oh ! mais voilà qui modifie l’aspect des choses. Au cas où c’est la seconde éventualité qui est la bonne, la demoiselle de Souvelle est toujours en grand danger, car les foies blancs doivent maintenant être au parfum de leur gourance, et ça risque de chauffer pour sa particule.

Je vais pour exprimer mon angoisse au révérend Pinuche, mais je m’aperçois que l’estimable gâteux vient de s’endormir. Le menton sur la cravetouze, la paupière mal ajustée, les paluches sur le baquet, il en écrase comme un petit ange qui a rejoint sa base.

Alors, sans bruit je quitte mon pageot. La valse lente reprend. Je plaque mes mains contre la cloison la plus proche afin de compenser les méfaits du vertige. J’ai l’impression qu’une pogne criminelle a tranché les amarres de mon cerveau et que celui-ci vadrouille dans ma coquille.

Vais-je me laisser terrasser par des drogues perfides ? Que non pas, comme le dit si pertinemment la baronne Aplain de Bouton-Sulnay. J’ouvre les carreaux derechef et j’aperçois une demi-douzaine de chaises avoisinant une demi-douzaine de pantalons sur les dossiers d’une demi-douzaine de Pinaud endormis. J’en cramponne un et je m’y insinue… Je déniche ma chemise, ma cravate, ma veste…

J’ai du mal à trouver les pompes, because elles sont sous le lit, mais je finis par m’en saisir et après plusieurs essais infructueux, mes voûtes plantaires sont à l’abri des crevaisons.