Je vais avoir besoin de récupérer pour retrouver au virage mon adversaire. Car je veux avoir ma revanche. Et je vous fous mon billet que lorsque cet instant sera venu, vous pourrez prévenir les téléspectateurs qu’il va y avoir du gros plan sur leurs écrans. Il m’aura pas deux fois, le Carpentier à l’imper ! Quand je pense qu’il n’a même pas posé son bitos pour me dérouiller. Quelle classe ! Je vois encore son direct du gauche m’arriver sur la portion ! Et je le sens…
Il a une manière de se rappeler au bon souvenir de ses contemporains, ce mec-là !
Le soleil commence à devenir pâlichon lorsque je débouche hors de l’immeuble. Je respire profondément l’air tendre de ce début de crépuscule… Ouf ! Cette rouste m’a brisé les nerfs comme si j’avais pris un bain trop chaud. Je marche avec difficulté et tous les passants se détranchent pour me zieuter, kif-kif si j’étais une supervedette de l’écran…
Mme Boitalolo n’a pas plus de succès quand elle va prendre le five o’clock chez son amie Zabeth…
Comme je ne suis pas mégalomane, je me propulse rapide dans un bahut en bramant le nom de mon hôtel à tous les échos.
Le portier baye d’hébétude en me voyant rappliquer ainsi nippé.
Il bredouille sans s’en rendre compte une chanson à la mode.
— Mais qu’est… mais qu’est-ce… ?
Je fais un louable effort pour lui sourire…
— Vous affolez pas, je lui dis. On s’est amusé à la Banque de France avec un copain et c’est moi qui faisais l’encaisseur…
L’autre tordu de la réception est plus siphonné encore que le piétineur d’asphalte.
— Vous avez eu un accident ? demande-t-il.
— Oui, je suis tombé sur un os.
Je chope la clé et je grimpe à ma piaule. En un tournemain je suis à poil sous la douche et je me sens revivre sous le jet glacé.
Il y a des moments où le plus obstiné videur de litrons trouve que la flotte est une belle invention. H2O ! C’était simple mais fallait y penser…
Ah ! ils peuvent s’annoncer, les savants… J’en connais un qui leur fait la pige. Créer l’eau à un moment où la pénicilline et la cocotte-minute n’étaient pas inventées ! Vous me direz pas que c’est pas du boulot de classe ?
Après un bon quart de plombe de douche intense, je me sens mieux. Je m’étends sur mon lit, à poil toujours, tant pis pour les voyeurs qui se déplacent toujours avec une percerette dans la poche de leur futal ! Et aussi sec je m’endors.
Ce qui me réveille ce sont deux zigs dans la chambre précédemment occupée par Van Boren. Un homme et une femme qui se prouvent leur sympathie en termes excessifs ! La chanson du sommier ! Vous parlez d’un bath refrain…
La môme pousse des cris d’orfèvre et je me dis dans ma Ford intérieure qu’après toutes ces émotions, je m’en passerais bien une aussi à la casserole…
Je vais déboucher le trohu qui, le matin même, m’a permis de plonger mon regard sur l’une des plus mystérieuses affaires de ma carrière, et je vois les sparring-partners en action. Du très bon travail. L’homme peut aspirer à passer pro d’ici peu. Si le Racing avait des hommes comme ça, il ne ferait jamais de descente en seconde division, je vous le dis !
Il en connaît un bout, le Casanova ! Un très beau bout même. Comme quoi on peut être Belge et appliquer la méthode française. Il lui fait le coup du parapluie retourné (que bien peu connaissent…). Il continue par Monte-là-dessus et il va passer à Papa, Maman, la Bonne et Moi lorsque je m’arrache à ce spectacle d’un intérêt cuisant.
Les histoires des autres, ce ne sont pas mes oignons, si j’ose ainsi librement m’exprimer… Je téléphone pour demander l’heure et une voix embourbée dans du sommeil me dit qu’il est onze heures dix… Je viens de m’offrir une belle partie de ronflette. Je me sens en forme. Je gagne le lavabo pour brosser mes chailles et baigner encore mon pauvre portrait de famille. Ma bouille n’a pas changé de volume depuis l’après-midi. Elle comporte toujours deux ou trois protubérances aux couleurs peu appétissantes. Enfin, tant pis… D’ici quelques jours, il n’y paraîtra plus.
Comme je n’ai absolument plus sommeil, je m’habille de frais et je sors… Y a deux gars dans le couloir qui écoutent les amoureux du 26 ; deux petits vieux, bien entendu, à qui ces ébats rappellent une folle jeunesse à jamais disparue.
La môme atteint un paroxysme et appelle un certain Riri qui, je l’espère, n’est autre que son partenaire. Enfin, je l’espère pour lui car rien n’est plus exécrable que d’entendre une polka brailler un autre prénom que le vôtre dans ces moments-là ! Ça jette un froid.
Il n’y a plus beaucoup de trèpe in the streets (comme dirait notre ministre des Affaires étrangères qui ne parle sûrement pas l’anglais). Les Liégeois sont au dodo pour la plupart, sauf quelques-uns qui jouent aux brêmes dans des cafés en se gavant de bière.
J’entre dans une brasserie afin de tortorer un steak. J’ai une faim de cannibale. La tranche d’animal mort consommée, je me sens bien, vraiment bien… C’est à peine si la figure me cuit un peu.
Je sors en même temps que les spectateurs des cinémas d’alentour. Ça met un peu d’animation, mais c’est passager… Comme je n’ai nulle envie de retourner au plume, du reste mes voisins de chambre doivent remettre le couvert à chaque instant, je déambule dans les rues désertes.
C’est la nuit qu’on apprécie ou qu’on déteste vraiment une ville étrangère. Je découvre avec un rien d’étonnement que je me suis pris pour Liège d’une sérieuse amitié… C’est une bath ville, harmonieuse et aérée.
Mon pas régulier crée un rythme sédatif dont mes idées bénéficient. Et soudain j’ai la notion aiguë du temps inexorable qui s’écoule dans le sablier de l’univers (vous affolez pas, cette image est tombée depuis longtemps dans le domaine public). Je me dis que je dois mettre les adjas le lendemain après-midi pour Paname et que je suis là à dormir au lieu d’essayer quelque chose. Est-ce que par hasard je toucherais à la décrépitude mentale ?
Pas de ça, Lisette !
Il ne sera pas dit que le San-Antonio bien-aimé joue les nonchalants qui passent, après s’être fait administrer une infusion de coups de poing !
Bon, qu’est-ce que je fais ?
Tiens, je vais rendre une nouvelle visite à Ribens… C’est une chouette idée, ça, on a toujours intérêt à piquer les gens au débotté quand on veut leur apprendre le papou en vingt leçons sur disques souples !
CHAPITRE X
O SOLE MIO !
Je décide d’aller à pinces chez le gigolo de madame. Ça me fera faire un peu de foutinge ce qui, dans ma situation, est plutôt indiqué par le corps médical.
Maintenant je connais Liège comme si j’y avais vu le jour. Je déambule dans les artères silencieuses comme un bon bourgeois qui revient de sa partie de touche-pépite. J’espère cette fois-ci trouver le freluquet et avoir une explication sérieuse avec lui.
A un carrefour, j’avise une gentille pépée qui regagne son domicile d’une démarche onduleuse. Lorsqu’elle m’aperçoit, elle accentue les circonvolutions de son valseur.
C’est le genre de doudoune qui marche pour deux. Elle a le panier à changement de vitesses sur roulement à billes. Comme suspension, c’est idéal… Je me rapproche d’elle parce que son déhanchement me porte à la peau ; d’autant plus que la séance de voyeur de l’hôtel m’a énervé.
J’accentue mon allure et, comme elle freine la sienne, on finit par se trouver côte à côte.
— Alors, ma ravissante, je lui dis, vous n’avez pas peur, toute seule, la nuit ?
Elle me regarde avec sympathie. C’est une gamine charmante, brune avec une mèche savamment décolorée et un air gentiment stupide sur la physionomie.