Выбрать главу

La question qui se pose consiste à savoir si elle s’est barrée pour de bon ou bien si elle est allée passer la noïe dans la famille. J’opte pour la seconde solution. Il est en effet normal qu’une jeune veuve ne reste pas seule la nuit suivant la mort tragique de son époux dans l’immeuble qui abrita leur idylle (remettez-nous ça, la patronne !).

D’autre part, rien dans l’appartement ne dénote un départ définitif… Dans la chambre il y a même le pyjama de la poulette sous le couvre-pieds. L’armoire contient des piles de linge fin qui font frémir… Comme harnais elle se lançait dans le salace, cette chère veuve. Je me souviendrai jusque sur mon lit de mort — si j’en ai un ! — d’un coquin petit pantalon de soie blanche bordé de dentelle noire. Il est grand comme deux doigts.

Une grognace qui se taille emporte au moins ces affutiaux. Donc son absence n’est que momentanée…

Je m’installe un moment dans un fauteuil du salon pour reprendre haleine. Si vous songez que tout ce que je viens de vous bonnir s’est déroulé en une vingtaine d’heures, vous admettrez que je vis une existence remplie comme un claque de campagne.

Comme j’éprouve le besoin de récapituler, je ferme les chasses et je marmonne ma litanie.

Primo, je découvre un gars qui glisse des diamants dans des fruits confits.

Deuxio, il fait adresser ce précieux colis à sa femme, laquelle habite à quelques centaines de mètres de là et à qui il s’apprête à rendre visite, voilà une notation capitale. Van Boren a agi d’un bout à l’autre de façon paradoxale…

Troisio, quelques heures plus tard, il pique une tête dans la cage d’ascenseur de son immeuble ; toutes les portes de ladite cage étant fermées et personne n’étant descendu. Je suis amené à conclure qu’il a été poussé et que l’assassin habite l’immeuble.

Quatrio (venez pas me chercher du suif au sujet de mon français), quatrio, répété-je, ne serait-ce que pour vous faire tartir, au moment où il est passé par-dessus le bastingage, sa digne épouse était en compagnie de son jeune amant.

Cinquio (ça sonne mal mais on se comprend), une bonne femme a vu un homme au chapeau rond se tailler en reconnaissant le cadavre.

Sixio (ça devient marrant), l’homme au chapeau rond va chercher les bagages de Van Boren à son hôtel. Et il embarque le récépissé du paquet expédié le matin.

Septio, l’inspecteur Robierre découvre une minuscule photo à la noix dans le boîtier de la montre. Que représente-t-elle ? Mystère et Vermifuge Lune !

Huitio, au cours d’une visite chez Ribens, je découvre des fruits confits qui me paraissent avoir été utilisés à la manière Van Boren.

Neufio (ça s’écrit comme ça se prononce), l’homme au chapeau rond s’annonce aussi chez Ribens pour y chercher aussi quelque chose. Il me dérouille salement.

Dixio, retournant, quelques heures plus tard chez Ribens, je découvre celui-ci égorgé dans l’allée de son immeuble.

Onzio, cavalant après ça chez la petite veuve Van Boren, je ne la trouve pas à son domicile…

Voilà, c’est tout. Passez-moi l’aspirine et faites-moi chauffer une bouillote !

S’il y a des zigs à double citron dans l’assistance, qu’ils viennent me trouver. Je reçois les messieurs de dix heures à midi et les dames de cinq à sept !

Vous conviendrez que, même en étant doué pour les mots écrasés (comme dirait quelqu’un de mes relations), ces probloques méritent qu’on se fasse des frictions à l’eau de Javel pour se lubrifier la pensarde !

Des diams, des morts, des marrons, des photos… Y a qu’à se baisser pour en prendre.

Je me dis que, puisque me voilà seulâbre chez Van Boren, je pourrais peut-être m’offrir une petite perquise. Ça ne serait pas une mauvaise idée après tout.

Une fois de plus j’entreprends les grands sondages : voyez tiroirs, armoire, commode, etc. Je trouve ce qu’on dégauchit toujours dans ces sortes d’endroits, c’est-à-dire du linge, des factures, des papiers de famille sans intérêt, des cartes postales du cousin Lulu, des lettres de la tante Hermance, des billets de tramway étrangers, des patrons découpés dans l’Echo de la Mode, etc. Mille autres saloperies encore, sans intérêt pour autrui.

Je passe dans une minuscule pièce meublée d’un bureau et d’un classeur. J’espère me régaler, mais je suis marron.

J’y pêche des feuilles de papier imprimées au nom de Van Boren, des dossiers contenant une correspondance avec des clients au sujet d’appareils photo… Il y a plus de cinquante noms. Tout semble régulier. Peut-être trouverait-on des choses intéressantes là-dedans en passant chaque papelard au crible, mais je n’ai pas le temps de jouer les minutieux…

Malgré mon solide roupillon de fin de journée, je commence à ressentir la fatigue causée par ces allées et venues et ces émotions. Je me laisse choir sur le fauteuil pivotant du burlingue et alors mes yeux tombent (sans se faire mal, merci) sur un morceau de papier engagé dans la machine à écrire portable posée sur le sous-main. (Ouf ! je ne croyais pas arriver au terme de cette phrase ; si vous parvenez à la prononcer sans respirer, c’est que vous êtes doué pour les records de plongée.)

Sur le morceau de papelard, il y a quelques mots mal tapés et je lis ceci qui a l’air d’une blague :

Georges, je suis au éè.

C’est tout ! Et c’est vraiment peu, faut le reconnaître. Je me dis que ce message (car il s’agit d’un message) était adressé à Ribens. Donc, Huguette ne sait pas qu’il est cané et, redonc, elle s’attendait à sa visite…

Bon Dieu ! ce que c’est compliqué, ce cirque !

Voilà un douzio auquel je ne m’attendais pas…

Qu’est-ce que ça signifie « Je suis au éè » ?

En voilà un drôle de mot ! Si on peut appeler ces deux lettres, un mot.

E accent aigu — E accent grave… Ça ressemble plus à un truc en code qu’à un moulin à poivre.

J’arrache le papezingue de la machine et le glisse dans ma pocket en souhaitant trouver une réponse à ce nouveau problème.

Mystère en douze points.

Il ne me reste plus qu’à attendre un treizio (voilà que je parle mexicain) en espérant qu’il me portera bonheur.

Je calte de l’appartement. Comme j’ai les cannes cotonneuses, je prends l’ascenseur. Je m’assure auparavant que la cabine est bien là, car je n’ai pas envie d’enjamber quatre étages d’un coup. J’entre et je vais pour fermer la porte grillagée lorsque je m’aperçois qu’elle est munie d’un dispositif la fermant seule. Cette constatation me rend tout rêveur. Comme un gland romain, je n’avais pas pensé à vérifier la fermeture des lourdes. Du moment qu’elles se referment d’elles-mêmes, on peut à nouveau envisager la possibilité d’un accident.

Bon, j’opte pour l’accident. En ce cas, il n’aurait pu se produire qu’au moment où Van Boren partait. Or sa bonne femme a juré ne pas l’avoir vu. Si elle ment, c’est qu’elle l’a tué. Si elle ne l’a pas tué, son Jef n’est jamais rentré.

Retournez vite m’acheter de l’aspirine et pendant que vous y êtes, prenez-en une boîte de cent !

Je regagne mon hôtel en tortillant le troisio de mon rapport personnel. Accident ou meurtre ?

That is the question !

Il est trois plombes lorsque je me fous dans les torchons. Les locataires d’à côté sont sages. Des mecs ronflent un peu partout.