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— Ah vraiment ? Et par qui ?

— Par un homme…

— Chapeau rond, imper, moustache ? récité-je.

— Non, ça c’est celui qui est venu chercher ses bagages. Je veux parler de celui qui m’a questionné au sujet du paquet…

Je ressens l’impression que doit éprouver le mec qui a balancé son billet de loterie en croyant qu’il n’avait rien gagné et qui constate une fois qu’il est à terre qu’il l’avait lu à l’envers !

Je saute sur le gilet rayé :

— Parlez !

Il ne pose pas de question, il sait ce que je désire entendre.

— Hier après-midi, fait-il, après qu’on eut enlevé les valises de M. Van Boren, un homme est venu… Il m’a questionné au sujet de notre client… Il m’a dit être de la police.

— Et il t’a refilé combien ?

Il hausse les épaules.

— Oh ! monsieur le commissaire !

Il ajoute, tranchant :

— Cinquante francs.

— Que voulait-il savoir ?

— Si Van Boren n’avait pas fait un dépôt dans le coffre de l’hôtel. Il voulait que je le renseigne discrètement. Je me suis renseigné… Je lui ai alors dit que non, mais qu’il m’avait fait expédier un colis au nom d’une dame portant son nom et habitant Liège.

— Tu lui as dit ça…

Je cramponne le larbin par le montant de son gilet. Il blêmit et tente de se dégager mollement.

— Mais, monsieur le commissaire, il me disait être de la police !

Le moyen d’en vouloir à cette chiffe qui vous oppose le plus péremptoire des arguments !

— Comment était-il ?

— C’était un homme d’une cinquantaine d’années avec l’accent allemand… Il était chauve.

— Depuis quand les policiers belges ont-ils l’accent allemand ?

Il pige qu’il a commis une bévue en prétendant avoir coupé dans l’histoire du policier et détourne les yeux.

— Bon, cinquante ans, chauve, et puis ?

— Assez corpulent, habillé de noir.

— C’est tout ce qu’il a dit ?

— Oui.

— Bon, descends mes bagages.

Car l’heure de mon dur approche…

Un quart de plombe plus tard me voici dans le grand hall de la gare avec une demi-heure d’avance.

J’ai mon billet et j’essaie d’oublier l’histoire d’un certain Van Boren et de ses amis et connaissances. Les casse-tête chinois sont mauvais pour la santé. Au début on se gave d’aspirine pour tenir le coup, et puis après, l’organisme s’accoutume au remède et on abandonne…

Ce soir, chez moi, à l’ombre de ma vieille Félicie, j’écrirai une espèce de rapport à Robierre, je le lui posterai demain matin par avion et il pourra de la sorte faire un grand pas en avant.

J’achète France-soir au kiosque à journaux, mais je ne le lis pas, le réservant pour le trajet…

Je musarde dans la salle des pas-perdus. Je lis les réclames. Il y a un panneau comportant la liste de tous les théâtres, cinés, cabarets et boîtes de la ville. Je parcours machinalement la liste… Et puis, en bas de colonne, je m’arrête, sidéré. Dans une case je lis :

Le 27, le cabaret de l’élite. Thés dansants, attractions, 27, rue du Bourgmestre-Posten. Liège.

Musique, les gars !

La vie est un recommencement, la preuve ! Je cavale à la consigne, comme la veille au matin. J’y cloque ma valoche, je grimpe dans mon mille et unième bahut et, à pleins poumons, je réclame le 27 de la rue du Bourgmestre-Posten. Comme le chauffeur est une bonne pâte, il m’y conduit !

CHAPITRE XIX

CETTE FOIS…

Pavillon haut, les mecs ! Flamberge au vent ! Rapière en pogne, le cœur radieux ! Ça va, je risque de me péter définitivement avec le Vieux en loupant une fois de plus mon rapide, mais au moins ça ne sera pas pour rien. Je suis dans un état satisfaisant. Mes affres, mes errements, mes mollesses venaient de ce que je n’avais pas pris de décision. Maintenant c’est chose faite ! Je me moque du facteur temps, et du facteur des recommandés également ! Ce qui compte, c’est la réussite ! La réussite totale ! Et j’y parviendrai si les petits cochons ne me bouffent pas en route…

Je débarque du mille et unième taxi et je regarde la façade du 27.

C’est une devanture peinte en blanc sur laquelle sont dessinés les deux chiffres format monstrueux. Le bouclard est au repos. Ce genre de taule n’ouvre qu’en fin d’après-midi. Je vois le genre : une salle de pacotille avec trois musicos sinistres et une « grande vedette de la radio et du disque » complètement inconnue qui essaie de donner une impression de déjà entendu en venant glapir les succès des autres !

Aucune lumière, aucun bruit ne filtre de cet établissement discret.

Je pénètre dans l’allée proche à la recherche de la sortie de service. Cette sortie, je la trouve et, grâce à mon petit instrument, j’en fais une entrée…

Je me trouve dans un couloir gris et triste qui conduit à un autre couloir beaucoup plus large, presque à un hall. D’un côté de ce T il y a la salle du « 27 ». Elle correspond scrupuleusement à ce que j’attendais. De l’autre se trouvent les dépendances : loges d’artiste, toilettes, bureau, cuisine…

Je fonce un peu partout. Reniflant, tripotant, regardant… Si jamais le proprio s’annonce dans les azimuts, ça fera un méchant cri dans le pays, je vous l’annonce ! Ce que je maquille présentement s’appelle de l’effraction. Et l’effraction, même lorsqu’elle n’est pas accompagnée de vol qualifié, vous donne droit à une alimentation à base de haricots !

Je m’en fous…

Y a vraiment nobody ! Pas un greffier, pas une âme, pas même une femme de ménage pour donner le coup de balai hygiénique et matinal… Rien ! Le désert.

Je farfouille dans le bureau : voyez factures !

C’est toujours le même matériel commercial. Ces papiers acquittés, ces traites me hérissent. J’y pige que pouic car je ne suis pas doué pour les affures.

Tout ça est établi au nom de Franz Schinzer… Ce qui, à moins que je ne m’enfonce le doigt dans l’œil jusqu’au fignedé, m’a tout l’air d’être un blaze allemand. Or le larbin des Tropiques, tout à l’heure, m’a dit que son « questionneur » avait l’accent d’outre-Rhin.

Je m’apprête à partir lorsque je perçois un très faible bruit. Je tends l’oreille. Plus rien… Sans doute me suis-je gouré, ou bien ce bruit venait de l’extérieur. Oui, de la cour… C’était le bruit métallique que produit un heurt sur une bassine. Je vais tout de même à la cuisine pour si des fois un mitron s’y était oublié. Mais non…

J’hésite. Le bruit ne se reproduit plus… J’attends encore un instant, tendu comme une corde de violon. Est-ce l’autosuggestion ? Toujours est-il qu’il me semble percevoir de nouveau le léger heurt… Mais plus faible que précédemment !

Ça paraît venir du sous-sol… En fouinassant, je trouve l’escalier de la cave. J’actionne l’électricité et je descends un escalier à pic qui conduit à un local vaste et voûté sentant la vinasse.

Il paraît désert. Je dis « paraît » car ça n’est qu’une illusion passagère. En m’approchant de l’amoncellement de tonneaux qui l’encombre, je vois une main dont les ongles faits raclent la poussière. J’écarte quelques tonneaux et je dégage la môme Dubeuck.

Plutôt ce qu’il en reste. Elle a une plaie terrible sur le derrière du crâne. Son sang forme un tapis épais sous elle… Elle est pâle et remue faiblement les paupières.

Elle respire encore, mais d’un souffle oppressé, court, pénible. Je me penche sur elle. Son regard défaillant me considère fixement et un peu d’animation lui donne de la vie.