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Un faucon !

Feyd-Rautha regarda droit dans les yeux sombres et les vit briller d’excitation.

C’est l’un des hommes du Duc que nous avons capturés sur Arrakis ! se dit-il. Et non un simple gladiateur ! Il eut un long frisson et se demanda si le plan de Hawat n’était pas tout différent de ce qu’il en connaissait. S’il n’y avait pas un stratagème dans le stratagème…

Même ainsi, seul le maître des esclaves apparaîtrait comme coupable !

Le chef de ses hommes se pencha à son oreille : « Je n’aime pas du tout son allure, Mon Seigneur. Laissez-moi lui planter une ou deux piques dans le bras. »

« Je les planterai moi-même », dit Feyd-Rautha. Il prit à l’homme deux dards à crochets, les souleva, éprouvant leur équilibre. Ces piques aussi étaient d’habitude enduites de drogue, mais pas cette fois et il pourrait en coûter la vie au chef des aides. Mais tout cela faisait partie du plan.

Après, tu seras un héros, se dit Feyd-Rautha. Tu auras tué ton gladiateur en homme, malgré la traîtrise. Le maître des esclaves sera exécuté et ton homme le remplacera alors.

Feyd-Rautha fit encore cinq pas dans l’arène, observant toujours l’esclave. Il savait que, déjà, les experts présents dans les loges avaient compris que quelque chose était anormal. Le gladiateur avait la couleur de peau d’un homme drogué mais il demeurait fermement sur sa position et ne tremblait pas. Les aficionados devaient murmurer entre eux : « Regardez comme il se tient. Il devrait s’agiter, pourtant… Attaquer, battre en retraite. Mais il garde ses forces, il attend. Il ne devrait pas. »

Feyd-Rautha sentit croître sa propre excitation. Trahison ou non, se dit-il, je peux l’abattre. Et c’est dans mon long couteau que se trouve le poison, aujourd’hui, pas dans le plus court. Même Hawat ignore cela.

« Eh, Harkonnen ! lança l’esclave. Es-tu prêt à mourir ? »

Un silence de mort tomba sur l’arène. Jamais les esclaves ne lançaient le défi !

A présent, Feyd-Rautha voyait les yeux de l’homme, il pouvait y lire la férocité glacée du désespoir. Il nota la façon dont l’homme se tenait, décontracté, vigilant, tous ses muscles prêts à la victoire. Le télégraphe secret des esclaves avait dû lui apporter le message de Hawat : « Tu auras une chance réelle de tuer le na-Baron. » Mais cela, ils l’avaient mis au point ensemble, avec Hawat.

Un sourire furtif vint jouer sur les lèvres de Feyd-Rautha. Il leva les piques. Dans la position du gladiateur, maintenant, il entrevoyait le succès de ses plans.

« Ha ! Ha ! Ha ! » cria l’esclave, et il fit deux pas en avant, lentement.

Maintenant, songea Feyd-Rautha, nul ne peut plus être abusé.

Cet esclave aurait dû être en partie paralysé par la terreur suscitée par la drogue. Chacun de ses mouvements aurait dû trahir son désespoir, la certitude que, pour lui, il n’y avait ici aucune chance de gagner. Il aurait dû avoir en tête les histoires innombrables qui circulaient à propos des divers poisons dont le na-Baron se plaisait à enduire la courte lame qu’il tenait dans sa main gantée de blanc. Jamais, avec lui, la mort n’était rapide. Il se délectait à faire la démonstration de poisons rares et, dans l’arène, expliquait à l’assistance tel ou tel intéressant effet secondaire tandis que la victime se tordait au sol.

Certes, il y avait de la peur en l’homme. De la peur, et non de la terreur.

Feyd-Rautha leva haut les piques, inclinant la tête en un signe de semi-acquiescement.

Le gladiateur attaqua.

Ses feintes et ses contres étaient parmi les meilleurs que Feyd-Rautha ait jamais vus. Un coup latéral, ajusté avec précision, manqua la jambe du na-Baron d’une fraction de seconde.

Feyd-Rautha rompit en sautant, laissant une pique dans l’avant bras droit de l’esclave. La pointe était profondément enfoncée et les crochets, sous la chair, ne pouvaient être dégagés qu’en arrachant les tendons.

Des cris étouffés montèrent des tribunes.

Et Feyd-Rautha se sentit envahi par l’exaltation.

Il savait maintenant ce qu’éprouvait son oncle, assis là-bas en compagnie des Fenring, venus de la Cour Impériale pour observer. Dans ce combat, il ne pouvait y avoir d’interférence. Devant de tels témoins, les règles devaient être observées. Le Baron ne pouvait traduire ce qui se passait dans l’arène que d’une seule manière : une menace contre sa personne.

L’esclave recula. Il tenait son couteau entre ses dents et, à l’aide de la banderole, attachait le dard au long de son bras blessé. « Je ne sens rien ! » cria-t-il avant de se remettre en marche, le couteau levé, offrant son flanc gauche tout en ployant le corps en arrière pour profiter au maximum de la protection du semi-bouclier.

Ce mouvement n’échappa pas aux tribunes. Des cris véhéments s’élevèrent des loges familiales. Feyd-Rautha entendit les appels de ses hommes qui lui offraient leur assistance. D’un geste, il leur intima de gagner la porte de prudence.

Je vais leur donner un spectacle qu’ils n’ont jamais connu, songea-t-il. Pas une bonne tuerie bien organisée dont ils puissent admirer le style dans leurs fauteuils. Non… Quelque chose qui va leur attraper les tripes et les tordre. Quand je serai Baron, ils se souviendront de ce jour et, à cause de ce jour, ils auront peur de moi et ne pourront m’échapper.

Le gladiateur continuait de progresser comme un crabe et Feyd-Rautha lui céda du terrain, lentement. Ses pas crissaient sur le sable de l’arène. Il percevait le halètement de l’esclave, l’odeur acre de sa propre sueur et aussi celle du sang.

Il se porta sur la droite, préparant sa seconde pique. L’esclave oscilla. Feyd-Rautha fit mine de trébucher et entendit le cri qui venait de toutes les tribunes.

Une fois encore, l’esclave attaqua.

Dieux ! Quel adversaire ! songea Feyd-Rautha en se dérobant. Seule la vivacité de la jeunesse le sauva, mais il laissa quand même un second dard profondément enfoncé dans le muscle deltoïde droit du gladiateur.

Des applaudissements frénétiques plurent des tribunes.

Ils m’acclament, à présent, se dit Feyd-Rautha. Et il percevait la sauvagerie qui habitait les voix, tout à coup, ainsi que l’avait prévu Hawat. Jamais encore ils n’avaient ainsi applaudi un champion familial. Il se souvint de ce que lui avait dit le Mentat : « Il est facile d’être terrifié par un ennemi que l’on admire. » Et cette pensée avait maintenant des échos sinistres.

Rapidement, il battit en retraite vers le centre de l’arène où il pourrait clairement percevoir chaque détail. Il sortit son long couteau, s’accroupit et attendit.

L’esclave ne s’attarda que le temps de lacer la seconde pique au long de son bras, ainsi qu’il avait fait pour la première, puis il se remit en marche.

Que la famille me regarde, se dit Feyd-Rautha. Je suis leur ennemi. Il faut qu’ils pensent désormais à moi tel qu’ils me voient maintenant.

Il brandit sa lame courte.

« Je ne te crains pas, porc d’Harkonnen, dit le gladiateur. Tes tortures ne peuvent atteindre un mort. Je peux mourir de ma propre lame avant qu’un de tes valets ne me touche. Et tu mourras en même temps ! »

Feyd-Rautha sourit. Il pointait maintenant la longue lame, celle qui était enduite de poison.