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« Essaye celle-ci », dit-il, et, de l’autre main, il feinta avec la lame courte.

L’esclave changea son arme de main et se tourna, parant et feintant dans le même temps pour se saisir de la lame courte du na-Baron. Celle qui, dans la main gantée de blanc, selon la tradition, devait porter le poison.

« Tu vas mourir, Harkonnen ! » souffla le gladiateur.

Ils se ruèrent l’un contre l’autre. Lorsque les boucliers entraient en contact, une lueur bleue naissait. L’odeur acide de l’ozone se faisait plus forte d’instant en instant.

« Meurs de ton propre poison ! » gronda l’esclave.

Il se saisit de la main gantée de blanc de Feyd-Rautha et la replia vers l’intérieur.

Il faut que tous voient cela ! pensa Feyd-Rautha.

Il abaissa la lame longue qui vint heurter en vain la pique lacée contre l’avant-bras de l’esclave.

Un instant, il fut troublé. Il n’avait pas encore songé que ses propres dards puissent être, pour le gladiateur, un moyen de défense. Mais, en vérité, ils lui faisaient une sorte de bouclier improvisé. Et l’homme était fort ! Peu à peu, inexorablement, la lame courte de Feyd-Rautha se rapprochait de sa chair et il se dit qu’un homme pouvait mourir par le couteau, sans le moindre poison.

« Racaille ! » cracha-t-il.

Au mot clé, les muscles du gladiateur obéirent par un bref instant de flaccidité. Ce qui suffit à Feyd-Rautha. L’espace ainsi ouvert entre eux était suffisant pour permettre le passage de son long couteau. La pointe empoisonnée laissa un sillon rouge sur le torse du gladiateur. La souffrance fut immédiate. L’homme se dégagea et tituba en arrière.

A présent, se dit Feyd-Rautha, que ma chère famille se régale. Qu’ils croient tous que cet esclave allait retourner contre moi la lame empoisonnée. Qu’ils se demandent donc comment un gladiateur a pu ainsi pénétrer dans l’arène pour tenter de m’assassiner. Et qu’ils puissent ne jamais savoir avec certitude laquelle de mes mains porte le poison.

En silence, Feyd-Rautha observait maintenant les gestes de l’esclave. Celui-ci se déplaçait maintenant avec hésitation. Chacun pouvait lire sur son visage ce qui s’y dessinait clairement : la mort. L’homme savait ce qui venait de se passer et comment cela s’était passé. Il savait que le poison s’était trouvé sur le mauvais couteau.

« Toi ! » coassa-t-il.

Feyd-Rautha recula pour lui laisser assez de place pour mourir. Il fallait encore que l’élément paralysant du poison fît son effet mais la lenteur des gestes de l’homme était, quant à cela, éloquente.

Il tituba en avant, un pas après l’autre, comme tiré par quelque fil invisible. Et chaque pas semblait être le dernier. Il n’avait pas lâché son arme, mais elle tremblait maintenant entre ses doigts.

« Un jour… l’un… de nous… te tuera », souffla-t-il.

Une petite moue triste vint déformer sa bouche. Il tomba assis, puis s’effondra complètement, se raidit et roula un peu plus loin, face contre terre.

Dans l’arène silencieuse, Feyd-Rautha s’avança et, du pied, retourna le corps de son adversaire afin que chacun, dans les tribunes, pût voir opérer le poison dans les convulsions du visage. Mais le couteau du gladiateur était planté dans sa propre poitrine.

En dépit de la frustration qu’il éprouva soudain, Feyd-Rautha ne put rejeter un élan d’admiration pour l’effort que l’homme avait dû accomplir pour lutter contre la paralysie. Et, dans le même temps, il comprit qu’il devait réellement craindre quelque chose.

Est terrifiant ce qui rend un humain surhumain.

Comme il se concentrait sur cette pensée, Feyd-Rautha prit conscience du bruit qui venait des tribunes et des loges, tout autour de lui, le bruit d’applaudissements sans retenue.

Il se retourna alors et regarda l’assistance.

Ils l’acclamaient, tous, sauf le Baron qui, le menton dans la main, le contemplait, et le Comte et sa Dame dont le sourire était comme un masque.

A cet instant, le Comte se tournait vers sa Dame et lui disait : « Ah… Mmmm… Un jeune homme plein de… Mmmm… ressources, n’est-ce pas, ma chère ? »

« Ses… Euh… réponses synaptiques sont particulièrement vives », dit-elle.

Le Baron la regarda, puis son attention se porta sur son époux avant de revenir à l’arène. Et il songea : Dire que quelqu’un peut s’approcher à ce point de l’un des miens ! La rage, maintenant, remplaçait la peur. Cette nuit, le maître des esclaves sera mis à mort, lentement, sur un feu… Mais si ce Comte et sa Dame ont quelque chose à voir dans ceci…

Feyd-Rautha vit le signe d’agrément et pensa : Ils croient me faire honneur. Qu’ils voient donc ce que j’en pense !

Ses gens s’approchaient, le couteau-scie en main pour les honneurs. D’un geste impératif il les arrêta, les vit hésiter et réitéra son ordre. Ils pensent m’honorer avec une tête ! pensait-il. Il se baissa, croisa les mains du gladiateur autour du manche du couteau dépassant de sa poitrine, puis arracha la lame et la plaça dans les doigts inertes.

Cela fut fait en un instant. Puis il se redressa et fit signe à ses hommes d’approcher. « Enterrez-le ainsi, avec le couteau dans les mains, dit-il. Il l’a mérité. »

Dans la loge dorée, le Comte Fenring se pencha vers le Baron et lui dit : « Un beau geste que celui-ci… Quelle grandeur ! Votre neveu a autant de style que de courage ! »

« En refusant la tête, il insulte la foule », grommela le Baron.

« Pas du tout », dit Dame Fenring en se retournant et en portant son regard sur les gradins.

Dans ce mouvement, le Baron remarqua la ligne de son cou, le jeu adorable des muscles. Adorable comme un jeune garçon.

« Ils apprécient ce que vient de faire votre neveu » dit-elle.

Le Baron regarda et vit que la foule, effectivement, avait correctement interprété le geste de Feyd-Rautha. Jusqu’aux places les plus lointaines, chacun, maintenant, observait le corps intact du gladiateur que l’on emmenait.

Et chacun hurlait, trépignait, s’excitait.

D’une voix lasse, le Baron déclara : « Il va me falloir ordonner une fête. On ne peut renvoyer ainsi le peuple, sans qu’il ait dépensé son énergie. Il faut qu’ils voient que je partage leur excitation, leur joie. » Il fit un geste à l’intention de ses gardes. Au-dessus de la loge, un serviteur abaissa par trois fois la bannière orange d’Harkonnen, donnant le signal de la fête.

Feyd-Rautha traversa l’arène et vint s’arrêter devant la loge dorée. Il avait remis ses armes au fourreau et ses mains pendaient à ses côtés. Par-dessus la rumeur de la foule, il demanda : « Une fête, mon Oncle ? »

Le bruit des voix innombrables décrut comme chacun essayait de percevoir la conversation.

« En ton honneur, Feyd ! » dit le Baron. Une fois encore, il fit abaisser la bannière orange.

Dans l’arène, les barrières avaient été jetées à bas et des jeunes gens se ruaient sur le sable en direction du na-Baron.

« Vous avez fait abaisser les boucliers, Baron ? » demanda le Comte Fenring.

« Personne ne portera la main sur le garçon. C’est un héros », dit le Baron.

Le premier des jeunes gens atteignit Feyd-Rautha et le hissa sur ses épaules avant de s’élancer pour un tour d’arène.

« Il pourrait aller sans arme et sans bouclier dans les quartiers les plus pauvres d’Harko, cette nuit, dit le Baron. On lui donnerait ce qui reste de nourriture ou de boisson pour la seule joie de sa compagnie. »

Le Baron quitta son fauteuil et assura sa masse dans ses suspenseurs. « Je vous prie de me pardonner, mais certaines questions requièrent mon attention immédiate. Le garde vous conduira. »