Le Comte s’inclina. « Mais certainement, Baron. Nous allons nous préparer pour la fête. Je… Mmm… je n’ai jamais vu… Mmm… une fête harkonnen. »
« Ah oui, la fête », dit le Baron. Il se détourna et, entouré de ses gardes, quitta la loge par l’issue privée.
Un capitaine s’inclina alors devant le Comte. « Quels sont vos ordres, Mon Seigneur ? »
« Nous… Mmm… nous allons attendre que la foule… Mmm… diminue pour passer. »
« Bien, Mon Seigneur. » Le capitaine s’inclina de nouveau et recula de trois pas.
Le Comte se tourna vers sa dame et s’adressa à elle dans leur langage codé et murmurant : « Vous avez vu, n’est-ce pas ? »
« Le garçon savait que le gladiateur ne serait pas drogué. Il a éprouvé de la peur, sans doute, mais aucune surprise. »
« Tout était préparé, dit le Comte. Tout le combat. »
« Cela ne fait pas le moindre doute. »
« Cela ressemble furieusement à Hawat. »
« Bien sûr. »
« J’avais exigé que le Baron l’élimine. »
« C’était une erreur, mon cher. »
« Je le comprends maintenant. »
« Les Harkonnens pourraient avoir un nouveau Baron avant peu. »
« Si tel est le plan de Hawat. »
« Ce qui demande réflexion, j’en conviens », dit Dame Fenring.
« Le jeune sera plus susceptible d’être contrôlé. »
« Pour nous… après cette nuit. »
« Vous n’entrevoyez aucune difficulté pour le séduire, ma petite pouliche ? »
« Non, mon amour. Vous avez vu vous-même la façon dont il m’a regardée. »
« Oui, et je comprends maintenant pourquoi il nous faut cette lignée. »
« Bien sûr, et il est tout aussi évident que nous devons avoir une prise sur lui. Je vais implanter tout au fond de lui les phrases prana-bindu qui permettront de le soumettre. »
« Nous partirons aussitôt que possible… aussitôt que vous serez sûre », dit le Comte.
Elle eut un frisson. « Coûte que coûte. Je ne pourrais porter un enfant en un lieu aussi affreux. »
« Ce que nous faisons, nous le faisons au nom de l’humanité », dit-il.
« Vous avez là part la plus aisée. »
« Je dois triompher cependant de certains préjugés anciens. Ils sont d’importance, vous le savez. »
Elle lui tapota la joue. « Mon pauvre chéri… Vous savez pourtant que c’est là le seul moyen de sauver cette lignée. »
Il répondit d’une voix sèche : « Je comprends parfaitement ce que nous faisons. »
« Nous n’échouerons pas. »
« Le sentiment de culpabilité commence comme un doute », lui rappela-t-il.
« Il n’y aura pas de culpabilité. Il n’y aura que l’hypno-liaison de la psyché de ce Feyd-Rautha et son enfant dans ma matrice. Ensuite… nous partirons. »
« Son oncle, dit-il. Avez-vous jamais rencontré un être aussi distordu ? »
« Il est très redoutable, oui. Mais le neveu pourrait bien devenir pire encore. »
« Grâce à son oncle. Quand l’on songe à ce que ce garçon aurait pu devenir avec une autre éducation, celle des Atréides, par exemple. »
« C’est triste. »
« Nous aurions pu sauver le jeune Atréides comme celui-ci, reprit le Comte. D’après ce que j’ai entendu dire du jeune Paul, c’était un garçon remarquable, un résultat parfait sur le plan de l’hérédité et de l’éducation. (Il secoua la tête.) Mais ne pleurons pas en vain sur l’aristocratie du malheur. »
« Il existe une maxime Bene Gesserit à ce propos », dit sa Dame.
« Vous en avez pour tout ! »
« Celle-ci vous plaira. Elle dit : « Ne comptez point un humain au nombre des morts aussi longtemps que vous n’aurez pas vu son corps. Et même alors, ce pourrait encore être une erreur. »
Dans « Un moment de réflexion », Muad’Dib rapporte que le véritable début de son éducation correspondit à ses premiers contacts avec les impératifs d’Arrakis. Il apprit alors à sonder le sable pour connaître le temps, il apprit le langage des aiguilles que le vent plante dans la peau. Il connut alors la valeur de l’humidité de son corps et l’irritation du sable dans le nez et, tandis que ses yeux prenaient le bleu de l’Ibad, il reçut l’enseignement Chakobsa.
Dans la pâle clarté de la première lune, la troupe de Stilgar quittait le bassin avec ses deux rescapés du désert. Toutes ces silhouettes aux robes flottantes se hâtaient : l’odeur du foyer était déjà dans les narines. Derrière eux, la ligne grise de l’aube était plus brillante. Au calendrier de l’horizon, cela signifiait Caprock, le premier mois de l’automne.
Au pied de la falaise, le vent brassait les feuilles mortes amassées là par les enfants du sietch. Nul n’aurait pu distinguer les bruits qui venaient de la troupe de ceux de la nuit, à l’exception de quelques fautes occasionnelles de Paul et de sa mère.
Paul, de la main, balaya la fine pellicule de poussière qui s’était formée sur son front. Il sentit alors un contact sur son bras et la voix de Chani murmura : « Fais ce que je t’ai dit : ramène l’ourlet de ton capuchon sur ton front ! Ne laisse exposés que tes yeux ! Tu perds de l’humidité ! »
Derrière eux, une voix chuchota « Le désert vous écoute ! »
Loin au-dessus d’eux, dans les rochers, un oiseau siffla. La troupe s’arrêta et Paul perçut brusquement la tension qui l’environnait.
Il perçut un choc assourdi, quelque part dans les rochers. Une souris, en sautant dans le sable, n’aurait pas fait plus de bruit.
L’oiseau siffla de nouveau.
Il y eut des mouvements dans les rangs des Fremen. Puis le bruit sourd se répéta.
L’oiseau siffla une troisième fois.
La troupe reprit alors son escalade et s’engagea dans la crevasse. Mais, à présent, la façon dont les hommes respiraient, autour de lui, maintenait Paul en état d’alerte. Il remarqua quelques regards qui se tournaient vers Chani. Et Chani elle-même paraissait soudain distante, renfermée.
Ils foulaient le rocher, maintenant. Dans le bruissement léger des robes, Paul percevait un début de relâchement de la discipline. Pourtant, Chani et les autres conservaient leur silence, leur calme. Il suivit une silhouette sombre au long d’un escalier naturel. Un virage, d’autres marches encore, puis un tunnel, et enfin deux portes scellées pour l’humidité, ouvrant sur un étroit passage baigné de lumière jaune, aux parois et au plafond rocheux.
Tout autour de Paul, les Fremen rejetaient leurs capuchons en arrière, ôtaient les embouts de leurs narines et respiraient profondément. Quelqu’un soupira. Paul se mit en quête de Chani et vit qu’elle s’était éloignée. Puis il fut pris dans un remous de corps, quelqu’un le bouscula et une voix lui dit : « Excuse-moi, Usul ! Quelle ruée ! C’est toujours comme ça ! »
A sa gauche, il découvrit le visage maigre et barbu de l’homme appelé Farok. Les yeux bleus et les orbites tachetées semblaient encore plus sombres à la clarté jaunâtre des globes.
« Ôte ton capuchon, Usul, lui dit Farok. Nous sommes arrivés. » Il se mit en devoir de l’aider, défaisant l’attache tout en lui ménageant un espace à coups d’épaules.
Paul ôta les embouts de ses narines, puis découvrit sa bouche. L’odeur de cet endroit l’assaillit, une odeur de corps sales, de déchets distillés. L’effluve de toute une humanité avec, en contrepoint, le parfum de l’épice.