Paul dissimula la gêne qu’il éprouvait en examinant rapidement la pièce. Il remarqua que les fines draperies, à droite, masquaient en partie une autre pièce, plus vaste, dans laquelle des coussins étaient entassés contre les parois. Il sentit une douce brise sur son visage et découvrit l’orifice du conduit d’air, habilement camouflé dans les replis du tissu, juste au-dessus de sa tête.
« Veux-tu que je t’aide à ôter ton distille ? » demanda Harah.
« Non… Merci. »
« Dois-je t’apporter à manger ? »
« Oui. »
« Après l’autre pièce, il y a une chambre de repos, dit-elle en tendant la main. Pour ton confort et ton plaisir quand tu seras débarrassé de ton distille. »
« Tu as dit qu’il fallait que nous quittions le sietch. Ne devrions-nous pas faire des paquets ou autre chose ?…»
« Ce sera fait en son temps. Il faut encore que les bouchers pénètrent dans notre région. »
Elle hésitait, ne le quittant pas des yeux.
« Qu’y a-t-il ? »
« Tu n’as pas les yeux de l’Ibad, dit-elle. C’est étrange mais pas vraiment déplaisant. »
« Va chercher là nourriture, dit-il. J’ai faim. »
Elle lui sourit. Un sourire de femme, un sourire avisé et troublant.
« Je suis ta servante », dit-elle. Et, d’un mouvement souple, elle se retourna et repoussa une lourde tenture, révélant un étroit passage où elle disparut.
Paul écarta les fines draperies qui le séparaient de l’autre pièce. Il éprouvait de la colère envers lui-même. Un instant, il demeura immobile sur le seuil, incertain. Il se demandait où se trouvait Chani… Chani qui venait de perdre son père.
En cela nous sommes semblables, songea-t-il.
Un appel résonna dans les couloirs, étouffé par les multiples tentures. Il se répéta une seconde fois, un peu plus loin. Puis une fois encore. Paul comprit que l’on annonçait l’heure. Et il se dit qu’il n’avait encore vu aucune horloge dans le sietch.
La faible senteur d’un feu de créosote parvint à ses narines, mêlée à la puanteur omniprésente qui, il en eut conscience, ne lui semblait plus aussi violente.
Puis ses pensées allèrent vers sa mère. A nouveau, il se demanda quel serait son rôle dans les diverses images futures qu’il avait entrevues… Son rôle et celui de la fille qu’elle portait.
Le temps, le temps transformable semblait danser autour de lui. Il secoua la tête et essaya de se concentrer sur les preuves multiples qu’il avait eues de la profondeur de cette culture fremen qui venait de les absorber. Avec ses bizarreries subtiles.
Dans les grottes fremen aussi bien que dans cette pièce où il se trouvait en cet instant, il avait remarqué un détail qui, à lui seul, suggérait plus de différences que tout ce qu’il avait vu auparavant.
Nulle part, il n’y avait le moindre goûte-poison. Nulle part n’apparaissait le moindre signe de son usage. Pourtant, dans la vague d’odeurs du sietch, il pouvait déceler des poisons, violents ou communs.
Il entendit un bruissement d’étoffe, pensa qu’Harah était de retour avec son repas et se retourna. Il vit alors, derrière quelques tentures déplacées, deux jeunes garçons qui le regardaient avec des yeux avides. Ils avaient peut-être neuf ou dix ans et tous deux avaient une main posée sur la garde d’un petit krys, pareil à un kindjal. Il se souvint alors de ce que l’on disait à propos des Fremen, que les enfants se battaient avec la même ardeur que les adultes.
Dans les lointains de la caverne, des tubes à phosphore jetaient une faible clarté sur la foule qui se rassemblait. Le regard de Jessica se porta sur les reflets qui couraient sur les murailles rocheuses et elle se dit que cet endroit était plus vaste encore que le Hall de Rassemblement de l’école Bene Gesserit. Elle estimait à environ cinq mille le nombre des Fremen qui se pressaient maintenant autour de la terrasse où elle se tenait en compagnie de Stilgar.
Et il en arrivait d’autres.
L’air était empli du murmure des voix.
« Votre fils a été convoqué, Sayyadina, dit Stilgar. Désirez-vous qu’il partage votre décision ? »
« Pourrait-il la changer ? »
« Il est certain que l’air avec lequel vous parlez vient de vos poumons, mais…»
« La décision demeure telle. »
Mais elle éprouvait des doutes. Elle se demandait si elle devait utiliser Paul comme une excuse pour échapper à une situation dangereuse. Elle devait également penser à cette fille qui n’était pas encore née. Ce qui mettait en danger la chair de la mère mettait aussi en danger celle de la fille.
Des hommes approchèrent, portant des tapis roulés. Grognant sous le poids, ils déposèrent leur fardeau dans un nuage de poussière.
Stilgar prit le bras de Jessica et l’entraîna jusque dans la corne acoustique qui formait la limite arrière de la terrasse rocheuse. Il lui désigna un banc taillé à même le roc. « La Révérende Mère va y prendre place, dit-il, mais vous pouvez vous reposer jusqu’à ce qu’elle arrive. »
« Je préfère demeurer debout », dit Jessica.
Elle regarda les hommes dérouler les tapis, les déployer sur toute la terrasse. Puis son regard revint à la foule. Il y avait bien au moins dix mille personnes, maintenant.
Il en arrivait toujours.
Dehors, sur le désert, elle le savait, le crépuscule rouge survenait déjà. Mais ici, dans la caverne, régnait un demi-jour perpétuel, une grisaille qui emplissait cette vastitude où tous ces gens étaient venus pour la voir risquer sa vie.
A sa droite, un passage s’ouvrit dans la foule et elle vit s’approcher Paul, escorté de deux jeunes garçons. Ces derniers avaient une attitude hautaine et troublante. Fronçant les sourcils, ils gardaient une main sur leur couteau.
« Les fils de Jamis qui sont à présent ceux d’Usul, dit Stilgar. Ils prennent leur rôle d’escorte avec beaucoup de sérieux. » Il sourit à l’adresse de Jessica.
Elle devina l’effort qu’il faisait pour la détendre et elle lui en fut reconnaissante. Mais elle ne parvenait pas à détourner son esprit du danger qu’elle allait affronter.
Je n’avais que ce choix, songea-t-elle. Nous devons agir rapidement pour assurer notre place au sein de ces Fremen.
Paul monta sur la terrasse, laissant les enfants de Jamis en bas. Il s’arrêta devant sa mère, jeta un regard à Stilgar, puis dit « Que se passe-t-il ? Je pensais que l’on m’avait convoqué pour un conseil. »
Stilgar leva la main pour intimer le silence à la foule. Puis il fit un geste vers la gauche, où un autre passage s’était ouvert dans la foule. Chani approchait. Une expression de douleur était peinte sur son visage d’elfe. Un mouchoir vert était noué sur son bras gauche, au-dessous de l’épaule.
Le vert du deuil, songea Paul.
Les deux fils de Jamis lui avaient appris cela indirectement en lui disant qu’ils ne portaient pas de vert parce qu’ils l’avaient déjà accepté comme père-gardien.
« Es-tu le Lisan al-Gaib ? » lui avaient-ils demandé. Et Paul, à travers leurs paroles, avait décelé la présence du jihad, évitant de répondre à leur question en en posant une autre, ce qui lui avait permis d’apprendre que Kaleff, l’aîné, avait dix ans et qu’il était le fils naturel de Geoff. Orlop, le plus jeune, le fils de Jamis, avait huit ans.