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La journée avait été étrange. Les deux enfants étaient restés auprès de lui à sa demande pour éloigner les curieux et lui laisser ainsi le temps de ramener le calme dans ses pensées et ses souvenirs prescients, et de décider d’un moyen de repousser le jihad.

Maintenant, tandis qu’il contemplait la foule aux côtés de sa mère, il se demandait de nouveau si quoi que ce fût pourrait empêcher la sauvage ruée des légions fanatiques.

Chani s’approchait de la terrasse, suivie à distance par quatre femmes qui en portaient une autre sur une litière.

Jessica, ignorant Chani, concentrait toute son attention sur la femme dans la litière. Elle était vieille, usée, ridée, drapée dans une robe noire dont le capuchon, rejeté en arrière, révélait un chignon gris et un cou décharné.

Doucement, les femmes qui portaient la litière déposèrent leur fardeau sur la terrasse et Chani aida la vieille femme à descendre.

Ainsi, c’est là leur Révérende Mère, songea Jessica.

La vieille en noir s’appuyait lourdement sur l’épaule de Chani en s’avançant vers Jessica. Elle évoquait un fagot de vieilles branches enveloppé dans un tissu noir. Elle s’arrêta, leva les yeux et demeura un long moment silencieuse avant de déclarer dans un chuchotement rauque : « Ainsi c’est vous. La Shadout Mapes a eu raison d’avoir pitié de vous. » La vieille tête oscilla sur le cou maigre.

Jessica répondit d’un ton sec, méprisant : « Je n’ai besoin de la pitié de personne ! »

« Cela reste à prouver, souffla la vieille. (Avec une vivacité surprenante, elle se retourna et fit face à la foule.) Dis-leur, Stilgar. »

« Il le faut ? »

« Nous sommes le peuple de Misr. Depuis que nos ancêtres se sont enfuis de Nilotic al-Ourouba, nous avons connu la mort et la fuite. Les jeunes vivent afin que notre peuple ne meure point. »

Stilgar prit une profonde inspiration et fit deux pas en avant.

Le silence s’établit dans toute l’immense caverne. Il y avait maintenant vingt mille Fremen qui attendaient, immobiles, pétrifiés. Jessica, soudain, se sentit petite et vulnérable.

« Cette nuit, dit Stilgar, nous devrons quitter ce sietch qui nous a abrités pendant longtemps pour aller loin dans le Sud. » Sa voix semblait gronder au-dessus des visages dressés, réverbérée par la corne acoustique.

Dans la foule, il n’y eut pas un murmure.

« La Révérende Mère me dit qu’elle ne pourrait survivre à un autre hajra, reprit Stilgar. Nous avons déjà vécu sans Révérende Mère, mais cela n’est pas bon pour un peuple qui cherche un nouveau foyer. »

A présent, des mouvements naissaient dans la foule, des murmures et des regards inquiets.

« Il se peut qu’il n’en soit pas ainsi. Notre nouvelle Sayyadina, Jessica de l’Art Étrange, a consenti à se prêter au rite. Elle va essayer de passer l’épreuve afin que nous ne perdions pas le soutien de notre Révérende Mère. »

Jessica de l’Art Étrange, songea Jessica. Elle vit le regard de Paul, elle lut toutes les questions qu’il y avait dans ses yeux. Mais sa bouche était rivée par toute l’étrangeté qui les entourait.

Si je meurs dans cette épreuve, qu’adviendra-t-il de lui ? se demanda-t-elle. Et, à nouveau, les doutes affluèrent dans son esprit.

Chani conduisit la vieille Révérende Mère jusqu’au banc de pierre, dans la corne acoustique, puis revint auprès de Stilgar.

« Afin que nous ne perdions pas tout si Jessica de l’Art Étrange venait à échouer, dit Stilgar, Chani, fille de Liet, sera consacrée Sayyadina. » Puis il fit un pas de côté.

Du fond de la corne acoustique, la voix de la vieille femme s’éleva. C’était comme un formidable chuchotement, rauque, pénétrant. « Chani est revenue de son hajra. Chani a vu les eaux. »

La foule psalmodia la réponse : « Elle a vu les eaux. »

« Je consacre Sayyadina la fille de Liet. »

« Elle est acceptée », répondit la foule.

Paul ne prêtait que peu d’attention à la cérémonie. Il pensait à ce qui venait d’être dit à propos de sa mère.

Si elle venait à échouer ?

Il se retourna et se tourna vers celle que tous appelaient la Révérende Mère, examinant les traits anciens, le bleu sans fond des yeux. Il lui semblait que la brise la plus légère l’emporterait. Pourtant, il y avait en elle quelque chose qui suggérait qu’elle pouvait résister à une tempête coriolis. Il émanait d’elle cette aura de puissance qu’il avait décelée chez la Révérende Mère Gaïus Helen Mohiam lorsqu’elle l’avait soumis au test de souffrance du gom jabbar.

« Moi, Révérende Mère Ramallo, dit la vieille dont la voix était comme celle d’une multitude, je te dis ceci : il est bien que Chani soit acceptée comme Sayyadina. »

« C’est bien », répondit la foule.

La Révérende Mère hocha la tête et murmura : « Je lui donne les deux argentés, le désert doré et ses rochers brillants, les champs verts qui seront. Je donne tout cela à la Sayyadina Chani. Et, pour que jamais elle n’oublie qu’elle est notre servante à tous, c’est à elle que reviennent les obligations domestiques de la Cérémonie de la Graine. Qu’il en soit ainsi selon le Shai-hulud. » Elle leva un bras qui était comme un vieux bâton bruni et le rabaissa.

Jessica eut l’impression que la cérémonie, tout à coup, était comme un courant violent qui l’emportait, lui interdisant de revenir en arrière. Elle ne put qu’adresser un regard à Paul puis se prépara à l’épreuve.

« Que les maîtres d’eau s’avancent », dit Chani, et, dans sa voix de femme-enfant, il y avait une hésitation à peine perceptible.

A cet instant, Jessica sentit le danger sur elle. Elle reconnut sa présence dans les regards, dans le silence.

Un passage sinueux venait de s’ouvrir dans la foule et des hommes s’avançaient vers la terrasse. Ils allaient par deux, portant de petits sacs de peau qui se balançaient lourdement et qui étaient gros comme deux têtes d’homme.

Les deux premiers déposèrent leur fardeau aux pieds de Chani et reculèrent.

Jessica regarda le sac, puis les hommes. Ils avaient ramené leurs capuchons en arrière, révélant leurs longs cheveux noués en rouleau à la base du cou. Leurs yeux sombres affrontèrent calmement son regard.

Un lourd arôme de cannelle montait du sac. L’épice ? se demanda Jessica.

« Y a-t-il de l’eau ? » demanda Chani.

Le maître d’eau qui se trouvait à sa gauche, celui qui avait une cicatrice rouge sur l’aile du nez, acquiesça. « Il y a de l’eau, Sayyadina. Mais nous ne pouvons en boire. »

« Y a-t-il de la graine ? »

« Il y a de la graine. »

Chani s’agenouilla alors et posa ses mains sur le sac. « Bénies soient l’eau et la graine. »

Il y avait quelque chose de familier dans le rite et Jessica regarda la Révérende Mère Ramallo. La vieille femme avait fermé les yeux et s’était recroquevillée, comme si elle dormait.

« Sayyadina Jessica », dit Chani.

Jessica se retourna et vit que la femme-enfant la regardait.

« Avez-vous goûté l’eau bénite ? » demanda-t-elle.

Avant que Jessica ait pu répondre, elle ajouta : « Il n’est pas possible que vous ayez goûté l’eau bénite. Vous n’êtes pas de ce monde et vous n’avez pas de privilèges. »

Un soupir courut dans la foule, un murmure de robes qui fit naître un frisson en Jessica.

« La récolte a été bonne et le faiseur détruit », dit Chani. Elle se mit alors à dérouler le tuyau fixé au sac.