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« Pour la paix, dit-il, il n’est pas d’autre endroit. »

« Usul, tu pleures ! souffla Chani. Usul, ma force, donnes-tu ton humidité aux morts ? A quels morts ? »

« A ceux qui ne le sont point encore », dit-il.

« Qu’ils vivent le temps de leur vie, alors. »

Au sein du brouillard de la drogue, il sut qu’elle avait raison et il la serra encore plus fort contre lui. Sauvagement. « Sihaya ! » s’écria-t-il.

Elle mit une main sur sa joue. « Je n’ai plus peur, Usul. Regarde-moi. Je vois ce que tu vois quand tu me tiens ainsi. »

« Que vois-tu ? »

« Je nous vois nous donnant l’amour l’un à l’autre en un moment de calme entre les tempêtes. C’est là ce que nous devions faire. »

A nouveau, la drogue s’empara de lui et il pensa : Tu m’as si souvent donné l’oubli et le réconfort. L’illumination lui revenait avec ses images détaillées du temps et il sentit l’avenir se muer en souvenirs : les tendres agressions de l’amour physique, la communion des moi, la douceur et la violence.

« Tu es forte, Chani, murmura-t-il. Reste avec moi. »

« Toujours », dit-elle, et elle l’embrassa sur la joue.

Livre troisième

Le Prophète

Nulle femme, nul homme, nul enfant ne pénétra jamais dans l’intimité profonde de mon père. S’il eut jamais des rapports proches de la camaraderie, ce fut avec le comte Hasimir Fenring, le compagnon de son enfance. L’influence de l’amitié du Comte eut un premier résultat positif puisque, après l’Affaire d’Arrakis, il parvint à calmer les soupçons du Landsraad. Il en coûta plus d’un milliard de solaris en épice, selon ma mère, sans compter les autres cadeaux femmes-esclaves, honneurs royaux, titres. Mais l’amitié entre l’Empereur et le comte Fenring eut un autre effet, négatif celui-là. Le Comte se refusait à tuer un homme, même lorsqu’il en avait reçu l’ordre, même si cela lui était possible. Je vais maintenant expliquer ce qu’il en était.

Le comte Fenring : Un profil,
par la Princesse Irulan.

Plein de rage, le baron Vladimir Harkonnen arrivait de ses appartements, le geste frénétique, roulant et tanguant dans ses suspenseurs tout en suivant les longs couloirs, de flaque de soleil en flaque de soleil.

Il traversa la cuisine privée, il traversa la bibliothèque, il traversa la petite salle de réception et l’antichambre des serviteurs où, déjà, c’était le repos du soir.

Le capitaine des gardes, Iakin Nefud, était affalé sur un divan. La sémuta avait mis un masque d’hébétude sur ses traits plats. L’atroce miaulement de la musique de la drogue s’élevait autour de lui. Sa propre cour se tenait à proximité, prête à répondre à ses désirs.

« Nefud ! » rugit le Baron.

Les hommes se redressèrent.

Nefud s’était levé, le visage soudain blanc de peur en dépit du narcotique. La musique du sémuta s’était tue.

« Mon Seigneur Baron », dit-il, et seule la drogue empêchait sa voix de trembler.

Le Baron examina les visages qui l’entouraient, il vit leurs calmes regards, puis il reporta son attention sur Nefud et demanda d’une voix très douce :

« Depuis combien de temps es-tu le capitaine de mes gardes, Nefud ? »

« Depuis Arrakis, Mon Seigneur. Depuis deux ans. »

« Et tu as toujours su déceler les dangers qui menaçaient ma personne ? »

« Ce fut toujours mon unique désir, Mon Seigneur. »

« Alors, où est Feyd-Rautha ? » gronda le Baron.

Nefud hésita. « Mon Seigneur ?…»

« Tu ne le considères pas comme un danger ? » De nouveau, il parlait d’un ton très doux.

Nefud s’humecta les lèvres. L’hébétude de la sémuta, dans son regard, se dissipait peu à peu.

« Feyd-Rautha est dans le quartier des esclaves, Mon Seigneur. »

« Encore avec les femmes, hein ? » La voix du Baron frémissait de l’effort qu’il faisait pour repousser la fureur.

« Sire, il pourrait être…»

« Silence ! »

Le Baron fit un pas en avant, remarquant le recul des hommes qui, maintenant, avaient ménagé un espace autour de Nefud, se dissociant de l’objet de la colère.

« Ne t’ai-je point ordonné de savoir à chaque instant où se trouve le na-Baron ? (Le Baron fit un nouveau pas en avant.) Ne t’ai-je point ordonné de savoir exactement tout ce qu’il dit ? (Un autre pas.) Ne t’ai-je pas dit de me rapporter chacune de ses visites auprès des femmes-esclaves ? »

Nefud se taisait. Des gouttes de transpiration brillaient sur son front. La voix du Baron devint sans timbre. « Ne t’ai-je pas dit tout cela ? »

Nefud acquiesça.

« Ne t’ai-je pas dit aussi d’examiner tous les esclaves que l’on m’envoyait, et de le faire toi-même… personnellement ? »

Nefud acquiesça.

« Se pourrait-il que tu n’aies point vu cette marque sur la cuisse de celui que l’on m’a envoyé cet après-midi ? Est-ce possible…»

« Mon Oncle. »

Le Baron se retourna. Feyd-Rautha se tenait sur le seuil. Il était visible qu’il était arrivé en hâte. Il avait grand-peine à masquer son expression. Pour le Baron, la présence de son neveu ici, en cet instant, n’était que trop révélatrice. Feyd-Rautha disposait de son propre réseau d’espionnage, un réseau qui surveillait constamment le Baron Vladimir Harkonnen.

« Il y a, dans ma chambre, un corps que j’aimerais que l’on enlève », dit-il. Sous ses robes, sa main était proche de l’arme à projectiles qu’il portait constamment. Il se félicita intérieurement de ce que son bouclier fût le meilleur.

Feyd-Rautha jeta un coup d’œil aux deux gardes qui se tenaient contre le mur de droite et acquiesça. Les deux hommes s’élancèrent vers la porte et coururent vers les appartements du Baron.

Ces deux-là aussi ? pensa le Baron. Mais ce jeune monstre a encore beaucoup à apprendre sur la conspiration !

« Je présume que tout était tranquille dans le quartier des esclaves quand tu l’as quitté, Feyd », dit le Baron.

« Je jouais au chéops avec le maître des esclaves », dit Feyd-Rautha. Et il pensa : Que s’est-il passé ? Le garçon que nous lui avons envoyé a été de toute évidence tué. Mais il était pourtant parfait pour cette tâche. Même Hawat n’aurait pu faire un meilleur choix. Il était parfait !

« Ainsi tu jouais aux échecs-pyramide, dit le Baron. C’est très bien. As-tu gagné ? »

« Je… Euh… Oui, Mon Oncle. » Feyd-Rautha avait de la peine à dissimuler son trouble.

Le Baron claqua des doigts. « Nefud, veux-tu être de nouveau dans mes bonnes grâces ? »

« Sire, qu’ai-je fait ? » balbutia Nefud.

« C’est sans importance, à présent. Feyd a battu le maître des esclaves au chéops. Tu as entendu ? »

« Oui, Sire. »

« Je désire que tu prennes trois hommes avec toi et que tu te rendes auprès du maître des esclaves. Étrangle-le. Ramène-moi son corps ensuite, que je voie si le travail a été correctement fait. Nous ne pouvons garder d’aussi mauvais joueurs d’échecs à notre service. »

Feyd-Rautha devint blême. Il fit un pas en avant. « Mon Oncle, je…»

« Plus tard, Feyd, plus tard », dit le Baron en agitant la main.

Les deux gardes qui avaient été dépêchés dans les appartements du Baron pénétrèrent dans l’antichambre avec leur fardeau. Le Baron les suivit du regard jusqu’à ce qu’ils aient disparu.