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« Ce n’est pas par un simple caprice que vous m’avez fait expédier cet avertissement à Rabban », dit le Baron.

Le visage parcheminé du vieux Mentat demeura impassible, ne révélant pas la moindre trace de son dégoût.

« Je soupçonne diverses choses, Mon Seigneur », dit-il.

« Oui. Eh bien, j’aimerais savoir comment il se fait qu’Arrakis entre dans vos soupçons à l’égard de Salusa Secundus. Il ne me suffit pas que vous m’ayez dit que l’Empereur s’énerve à propos d’une certaine relation entre Arrakis et sa mystérieuse planète-prison. Je n’ai adressé cet avertissement à Rabban que parce que le courrier devait partir par ce vaisseau. Vous m’avez dit que cela ne pouvait attendre. Très bien. Maintenant, je veux une explication. »

Il bavarde trop, se dit Hawat. Le Duc Leto, lui, pouvait me dire une chose d’un simple geste de la main, d’un haussement de sourcil. Et le vieux Duc exprimait toute une sentence en accentuant un seul mot. Quel rustre ! En le détruisant, je rendrai service à l’humanité.

« Vous ne partirez pas sans que j’aie une explication totale », dit le Baron.

« Vous parlez trop à la légère de Salusa Secundus », dit Hawat.

« C’est une colonie pénitentiaire, dit le Baron. On y expédie la pire racaille de la galaxie. Est-il utile d’en connaître autre chose ? »

« Les conditions qui règnent sur la planète-prison sont plus terribles que partout ailleurs, dit Hawat. Vous savez que le taux de mortalité chez les nouveaux détenus est supérieur à soixante pour cent. Vous savez que l’Empereur utilise là-bas toutes les formes d’oppression possibles. Vous savez tout cela et vous ne posez aucune question ? »

« L’Empereur n’autorise pas les Grandes Maisons à visiter sa planète-prison, grommela le Baron. D’ailleurs, il n’a jamais inspecté mes oubliettes. »

« Et toute curiosité à propos de Salusa Secundus, dit Hawat, est… (il porta un index osseux à ses lèvres)… découragée. »

« C’est parce qu’il ne tire aucune fierté de certaines des choses qu’il fait sur Salusa Secundus ! »

Le plus subtil des sourires effleura les lèvres sombres de Hawat. Ses yeux brillaient comme il regardait le Baron.

« Et jamais vous ne vous êtes demandé où l’Empereur trouvait ses Sardaukar ? »

Le Baron plissa ses lèvres grasses. Ainsi, il ressemblait à un bébé faisant la moue. D’un ton presque joyeux, il répliqua : « Mais… il recrute… c’est-à-dire que les enrôlements et les engagements…»

« Ppss ! Mais ce que vous entendez raconter à propos des exploits des Sardaukar, ce ne sont pas des rumeurs, non ? Ce sont des récits faits par les quelques rares survivants qui les ont affrontés, n’est-ce pas ? »

« Les Sardaukar sont des combattants excellents, cela ne fait pas de doute, dit le Baron. Mais je pense que mes propres légions…»

« De joyeux excursionnistes, par comparaison ! Vous croyez que je ne sais pas pourquoi l’Empereur s’est retourné contre la Maison des Atréides ? »

« Ce n’est pas là un sujet ouvert à vos spéculations ! »

Est-il possible qu’il ne connaisse pas les motivations de l’empereur ? se demanda Hawat.

« Tout est ouvert à mes spéculations, dit-il, si cela a quelque rapport avec la tâche dont vous m’avez chargé. Je suis un Mentat. On ne cache aucune information, aucune donnée à un Mentat. »

Durant une longue minute, le Baron le regarda en silence, puis il dit : « Dites ce que vous avez à dire, Mentat. »

« L’Empereur Padishah s’est retourné contre la Maison des Atréides parce que les Maîtres de Guerre du Duc, Gurney Halleck et Duncan Idaho, avaient constitué une unité de combat – une petite unité – qui était bien près de valoir les Sardaukar. Certains hommes étaient même meilleurs. Et le Duc avait la possibilité de développer cette unité, de la rendre aussi puissante que les forces de l’Empereur. »

Le Baron soupesa un instant cette révélation, puis demanda : « Quel est le rôle d’Arrakis dans tout cela ? »

« La planète constitue une réserve de recrues déjà formées aux conditions les plus difficiles. »

Le Baron secoua la tête. « Vous ne voulez pas parler des Fremen ? »

« Je veux parler des Fremen. »

« Ah !… En ce cas, pourquoi avertir Rabban ? Après le pogrom des Sardaukar et la répression de Rabban, il ne doit pas rester plus d’une poignée de Fremen. »

Hawat le regardait en silence.

« Pas plus d’une poignée ! insista le Baron. Rien que l’année dernière, Rabban en a tué six mille ! »

Hawat se taisait toujours.

« Et l’année d’avant, c’était neuf mille. Et avant leur départ, les Sardaukar ont bien dû en éliminer vingt mille. »

« Quelles sont les pertes des troupes de Rabban pour ces deux dernières années ? » demanda Hawat.

Le Baron se gratta les bajoues. « Eh bien, il a eu le recrutement plutôt lourd, dirons-nous. Ses agents font des promesses assez extravagantes et…»

« Disons aux alentours de trente mille ? »

« C’est une estimation assez large. »

« Bien au contraire, dit Hawat. Je peux aussi bien que vous lire entre les lignes des rapports de Rabban. Et, très certainement, vous avez compris ceux de mes propres agents. »

« Arrakis est un monde redoutable, dit le Baron. Les tempêtes à elles seules peuvent…»

« Nous connaissons tous deux la part attribuée aux tempêtes », dit Hawat.

« Alors qu’en est-il de ces trente mille hommes perdus ? » demanda le Baron, et l’afflux de sang assombrissait son visage.

« Selon votre propre estimation, il a tué environ quinze mille Fremen en deux années pour des pertes doubles. Vous dites que, de leur côté, les Sardaukar en auraient éliminé vingt mille, peut-être un peu plus. J’ai vu les manifestes de transport lorsqu’ils sont revenus d’Arrakis. S’ils ont vraiment tué vingt mille Fremen, leurs pertes sont dans la proportion de cinq pour un. Pourquoi ne pas accepter ces chiffres, Baron, et comprendre ce qu’ils signifient ? »

Le Baron répondit avec un ton froidement mesuré. « C’est votre travail, Mentat. Que signifient-ils ? »

« Je vous ai rapporté l’estimation faite par Duncan Idaho lors de sa visite dans un sietch. Tout concorde. Avec deux cent cinquante sietchs de cette importance, leur population devrait s’élever à cinq millions. Mais j’ai une meilleure estimation qui me donne à peu près le double de ce nombre. Sur une telle planète, la population est dispersée. »

« Dix millions ? »

Les bajoues du Baron frémissaient d’étonnement.

« Au moins. »

Le Baron pinça les lèvres. Ses yeux minuscules étaient fixés sur Hawat. Est-ce vraiment une déduction de Mentat ? se demanda-t-il. Comment cela peut-il être sans que nul n’ait eu le moindre soupçon ?

« Nous n’avons pas brisé le rythme des naissances, reprit Hawat. Nous n’avons fait qu’éliminer les spécimens les plus faibles, permettant ainsi aux plus forts de le devenir encore plus… Comme sur Salusa Secundus. »

« Salusa Secundus ! aboya le Baron. Quel rapport y a-t-il entre Arrakis et la planète-prison ? »

« Un homme qui survit sur Salusa Secundus est d’ores et déjà plus résistant que bien d’autres. Lorsque vous ajoutez à cela un entraînement militaire de la meilleure qualité…»

« Absurde ! Selon vous, je pourrais recruter parmi les Fremen après l’oppression que leur a fait subir mon neveu. »