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« Cela semble réalisable, dit le Baron. Mais je suis las de tout ceci. Je prépare quelqu’un d’autre pour me succéder sur Arrakis. »

Hawat examina cette grosse figure ronde qu’il avait en face de lui. Lentement, il inclina la tête.

« Feyd-Rautha… Ainsi, c’est là la raison de l’oppression actuelle. Vous êtes vous-même très rusé, Baron. Peut-être pourrions-nous mêler ces deux projets. Oui… Votre Feyd-Rautha pourrait se présenter comme le sauveur d’Arrakis. Il pourrait se gagner la populace. Oui…»

Le Baron sourit. Mais il se demandait : En quoi tout ceci concorde-t-il avec le projet personnel de Hawat ?

Hawat, comprenant que l’entretien avait pris fin, se leva et quitta la pièce rouge. Tout en marchant, il ne parvenait pas à écarter de son esprit les troublants facteurs inconnus qui entraient dans toute spéculation sur Arrakis. Il y avait ce nouveau chef religieux dont Gurney Halleck avait décelé l’existence depuis son refuge au sein des contrebandiers, ce Muad’Dib.

Peut-être n’aurais-je pas dû dire au Baron de laisser cette religion se développer, se dit-il. Même parmi les gens des sillons et des creux. Mais il est bien connu que la répression favorise l’épanouissement des religions.

Puis il pensa aux rapports d’Halleck sur les tactiques de combat fremen. Des tactiques qui portaient la marque d’Halleck lui-même… et d’Idaho… et même de Hawat.

Idaho a-t-il survécu ? se demanda-t-il.

Mais c’était une question futile. Il ne s’était même pas encore demandé s’il était possible que Paul ait survécu. Il savait que le Baron était convaincu de la mort de tous les Atréides. Il reconnaissait que la sorcière Bene Gesserit avait constitué son arme. Et cela ne pouvait donc signifier qu’une issue, même pour le propre fils de cette femme.

Quelle haine venimeuse elle devait vouer aux Atréides, songea-t-il. Une haine pareille à celle que j’éprouve pour ce Baron. Mon coup ultime sera-t-il aussi définitif que le sien ?

Il est en toutes choses un rythme qui participe de notre univers. Symétrie, grâce, élégance : vous retrouvez toutes ces qualités dans celles que saisit le véritable artiste. Vous pouvez retrouver ce rythme dans la succession des saisons, dans le cheminement du sable sur une corniche, dans les branches d’un buisson créosote ou le dessin de ses feuilles. Dans notre société, dans nos vies, nous avons essayé de copier ces formes, de chercher les rythmes, les danses qui réconfortent. Pourtant, il est possible de discerner un péril dans la découverte de la perfection ultime. Il est clair que le schéma ultime contient sa propre fixité. Dans cette perfection, toute chose s’en va vers sa mort.

Extrait de Les dits de Muad’Dib,
par la Princesse Irulan.

Paul-Muad’Dib se souvenait d’un repas lourdement chargé en épice. Dans sa mémoire, c’était comme un point d’ancrage. Depuis cette position, il pouvait considérer le moment présent comme un rêve.

Je suis comme un théâtre ouvert aux processus, se dit-il. Je suis la proie d’une vision imparfaite, de la conscience raciale et de son but terrible.

Pourtant, il ne pouvait échapper à la crainte de s’être dépassé de quelque manière, d’avoir perdu sa position dans le temps. Le passé, le présent et l’avenir étaient maintenant confusément mêlés. C’était comme une sorte de fatigue visuelle qui provenait, il le savait, de la nécessité constante de maintenir l’avenir prescient sous la forme d’une sorte de mémoire qui était une chose appartenant intrinsèquement au passé.

Chani m’a préparé le repas, songea-t-il.

Pourtant, Chani était loin dans le Sud, dans le pays froid où le soleil était chaud, dans l’un des nouveaux sietchs-bastions, en sûreté avec leur fils, Leto II.

Ou bien était-ce là une chose qui devrait se produire un jour ?

Non, se dit-il, car Alia l’Étrange, sa sœur, était également là-bas avec sa mère et Chani. Elles avaient fait ce voyage de vingt marteleurs vers le Sud à bord d’un palanquin de Révérende Mère, sur le dos d’un faiseur sauvage.

Il chassa la pensée du ver géant et se demanda : Ou bien Alia n’est-elle pas encore née ?

J’étais en razzia, se souvint-il. Nous étions allés récupérer l’eau de nos morts dans Arrakeen. Et j’ai découvert les restes de mon père dans le bûcher funéraire. J’ai placé le crâne de mon père sous un tas de rochers, au-dessus de la Passe de Harg.

Ou bien n’était-ce pas encore arrivé ?

Mes blessures sont réelles. Mes cicatrices aussi. Et le mausolée du crâne de mon père aussi.

Comme en un rêve, toujours, il se souvint qu’Harah, la femme de Jamis, était venue lui dire que l’on se battait dans le couloir du sietch. Il s’agissait du premier sietch, où ils s’étaient trouvés avant le départ des femmes et des enfants pour le Sud.

Harah était apparue sur le seuil de la chambre intérieure, les ailes noires de ses cheveux maintenues en arrière par les anneaux d’eau passés dans une chaîne. Elle avait écarté les draperies et lui avait dit que Chani venait de tuer quelqu’un.

Cela est vraiment arrivé, se dit Paul. Cela n’est pas né du temps. Cela ne peut être changé.

Il se souvenait de s’être rué hors de la chambre pour découvrir Chani, à la clarté jaune des brilleurs du corridor, drapée dans une robe bleue dont le capuchon était rejeté en arrière. Son visage d’elfe était tendu et elle glissait son krys dans son étui. Un groupe s’éloignait en hâte avec un fardeau. Il se souvint d’avoir songé : Lorsqu’ils emportent un corps, on le sait toujours.

Comme Chani lui faisait face, les anneaux d’eau tintèrent à son cou. A l’intérieur du sietch, elle les portait librement.

« Chani, que se passe-t-il ? »

« Je viens d’expédier celui qui voulait te défier en combat singulier, Usul. »

« Tu l’as tué, toi ? »

« Oui. Mais peut-être aurais-je dû le laisser à Harah. » (Il se souvint du contentement qui était apparu sur les visages, autour d’eux, à ces paroles. Harah elle-même avait ri.)

« Mais c’est moi qu’il était venu défier ! »

« Tu m’as enseigné l’art étrange, Usul. »

« Certainement ! Mais tu ne devrais pas…»

« Je suis née dans le désert, Usul. Je sais me servir d’un krys. »

Il réprima sa colère et s’efforça de parler calmement : « Tout ceci est sans doute vrai, Chani, mais…»

« Je ne suis plus une enfant qui chasse les scorpions dans le sietch à la clarté d’un brilleur, Usul. Je ne m’amuse plus. »

Le regard de Paul était fixé sur elle. Il était fasciné soudain par l’étonnante férocité qu’il décelait derrière son attitude désinvolte.

« Il ne méritait pas de te défier, Usul, dit-elle. Je n’aurais pas dérangé ta méditation pour lui. (Elle s’approcha, le regarda à la dérobée et sa voix devint un murmure.) Et puis, mon bien-aimé, lorsque l’on saura que l’on peut se retrouver face à moi et connaître une mort honteuse par la main de la femme de Muad’Dib, il y aura moins de candidats. »

Oui, se dit Paul, cela est certainement arrivé. C’est le passé-réel. Et il est vrai que le nombre de ceux qui voulaient défier la lame nouvelle de Muad’Dib a décru de façon remarquable.