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« Alors, reprit Paul, venons-en à ceci. (Il prit le cylindre et déploya le message.) Ceci a été pris à un courrier harkonnen. L’authenticité de ce message ne souffre pas de doute. Il est adressé à Rabban et dit que sa dernière requête pour l’envoi de troupes est repoussée, que sa récolte d’épice est en dessous du quota et qu’il doit être en mesure d’amasser plus d’épice avec les gens dont il dispose. »

Stilgar s’avança.

« Combien d’entre vous comprennent-ils ce que signifie ce message ? demanda Paul. Stilgar l’a vu immédiatement. »

« Ils sont isolés ! » cria quelqu’un.

Paul remit le message et le cylindre dans sa ceinture. Puis il prit l’anneau qui pendait à son cou sur un fil de shigavrille tressée.

« Voici l’anneau ducal de mon père, dit-il. J’avais fait le serment de ne pas le porter avant le jour où je pourrais lancer mes troupes sur Arrakis et réclamer le fief qui me revient légalement. » Il libéra l’anneau, le glissa à son doigt et ferma le poing.

Le silence devint encore plus lourd. « Qui commande ici ? (Il brandit le poing.) C’est moi ! Je règne sur chaque pouce d’Arrakis ! Ce monde est le fief du Duc des Atréides que l’Empereur le veuille ou non ! Il l’a donné à mon père et par mon père il me revient ! »

Il se dressa sur la pointe des pieds et observa la foule, essayant de percevoir les émotions.

Presque, se dit-il.

« Quand je réclamerai les droits impériaux qui me reviennent, certains hommes acquerront des postes importants sur Arrakis. Stilgar sera l’un d’eux. Ce n’est pas que je veuille l’acheter. Ce n’est pas non plus par gratitude, bien que je sois l’un de ceux qui lui doivent la vie. Non ! C’est simplement parce qu’il est sage et fort. Parce qu’il gouverne sa troupe avec son intelligence et non pas seulement par ses ordres. Me croyez-vous stupide ? Pensez-vous vraiment que je me trancherais ainsi le bras droit et le laisserais tout sanglant sur le sol de cette grotte pour le seul plaisir de vous distraire ? »

Il promena un regard dur sur les visages levés vers lui. « Qui ose dire que je ne suis pas le maître légal d’Arrakis ? Dois-je le prouver en privant de leur chef toutes les tribus de l’erg ? »

A ses côtés, Stilgar eut un regard interrogateur.

« Comment pourrais-je me priver d’une partie de notre force au moment où nous en avons le plus besoin ? Je suis votre chef et je vous dis que le moment est venu où nous devons cesser de tuer nos meilleurs hommes pour commencer à tuer nos véritables ennemis, les Harkonnens ! »

D’un geste vif, Stilgar brandit son krys et le pointa vers l’assemblée. « Longue vie au Duc Paul-Muad’Dib ! » cria-t-il.

Une assourdissante rumeur emplit la grotte, répercutée par l’écho. « Ya hya chouhada ! Muad’Dib ! Muad’Dib ! Muad’Dib ! Ya hya chouhada ! »

« Longue vie aux soldats de Muad’Dib ! » traduisit Jessica. Les événements se déroulaient selon le plan qu’elle avait mis au point avec Paul et Stilgar.

Lentement, le tumulte s’estompa et mourut.

Quand le silence fut revenu, Paul se tourna vers Stilgar et dit : « A genoux, Stilgar. »

Stilgar obéit.

« Donne-moi ton krys », dit Paul.

Stilgar lui tendit la lame blanche.

Nous n’avions pas prévu cela, se dit Jessica.

« Répète après moi, dit Paul. Et il prononça les paroles d’investiture telles qu’il les avait entendues prononcer par son père : Moi, Stilgar, je prends ce couteau des mains de mon Duc. »

« Moi, Stilgar, je prends ce couteau des mains de mon Duc », répéta Stilgar en acceptant le krys à l’éclat laiteux.

« Où mon Duc me l’ordonnera, je plongerai cette lame », dit Paul.

Lentement, solennellement, Stilgar répéta ses paroles. Jessica, se souvenant du rite, dut refouler ses larmes et elle songea en secouant la tête. Je connais ses raisons. Je ne devrais pas me laisser émouvoir ainsi.

« Je voue cette lame à la cause de mon Duc et à la mort de ses ennemis aussi longtemps que coulera notre sang », dit Paul.

Et Stilgar répéta.

« Embrasse cette lame », ordonna Paul. Stilgar obéit puis, à la façon fremen, embrassa ensuite le bras de combat de Paul. Enfin, il glissa le krys dans son fourreau et se remit sur pied.

Un murmure courut dans la foule et Jessica perçut des mots. « La prophétie… Une Bene Gesserit montrera le chemin et une Révérende Mère le verra…» Plus loin encore, une voix ajouta : « Elle nous guide par son fils ! »

« C’est Stilgar qui commande la tribu, dit Paul. Que nul homme ne s’y trompe. Il commande avec ma voix. Ce qu’il vous dit, c’est ce que je vous dis. »

Habile, pensa Jessica. Le chef de la tribu ne peut perdre la face devant ceux qui devront lui obéir.

Paul baissa la voix pour poursuivre : « Stilgar, je veux que des marcheurs gagnent le désert cette nuit et que l’on envoie des cielagos pour convoquer l’Assemblée des Conseils. Lorsque ce sera fait, prend Chatt, Korba, Otheym et deux autres lieutenants de ton choix. Venez me rejoindre dans mes quartiers pour que nous mettions le plan de bataille au point. Lorsque le Conseil des Chefs se réunira, il faut que nous ayons une victoire à présenter. »

Paul se tourna vers sa mère et inclina la tête pour l’inviter à le suivre, puis quitta la terrasse rocheuse et emprunta le passage central vers les chambres qui leur avaient été préparées, tandis que, de toutes parts, des mains se levaient et que des voix appelaient.

« Mon couteau obéira aux ordres de Stilgar, Paul-Muad’Dib ! Battons-nous, Paul-Muad’Dib ! Que le sang des Harkonnens abreuve notre monde ! »

Jessica percevait nettement le désir de se battre qui animait tous ces hommes. Jamais ils n’avaient été aussi prêts. Nous les emmenons vers les sommets, pensa-t-elle.

Dans la chambre, Paul fit asseoir sa mère puis dit : « Attendez ici. » Et il disparut entre les tentures.

Jessica resta seule dans la chambre silencieuse où ne parvenait même pas la rumeur des grandes pompes qui faisaient circuler l’air dans le sietch.

Il va chercher Halleck, se dit-elle. Et elle s’inquiéta de l’étrange mélange d’émotions qu’elle ressentait. Gurney et sa musique évoquaient tant de moments heureux de Caladan. Mais Caladan était si loin que c’était comme si une autre personne y avait vécu. En trois années, Jessica était devenue quelqu’un d’autre et l’idée de revoir Gurney l’obligeait à repenser à tous les changements qui s’étaient produits.

Sur une table basse, à sa droite, il y avait le service à café d’argent et de jasmium que Paul avait hérité de Jamis. En observant les tasses élancées, elle se demanda combien de mains, déjà, les avaient touchées. Chani elle-même avait servi Paul depuis un mois.

Que peut faire cette femme du désert pour un duc sinon lui servir le café ? se dit Jessica. Elle ne lui apporte aucun pouvoir, aucune famille. Paul n’a qu’une chance majeure, celle de pouvoir s’allier à une des Grandes Maisons, peut-être même à la famille impériale. Il y a des princesses en âge de se marier, après tout, et chacune d’elles est une Bene Gesserit.

Et elle s’imagina quittant les rigueurs d’Arrakis pour la sécurité et le pouvoir qui étaient les attributs de la mère d’un prince. Elle promena son regard sur les épaisses tentures et se souvint de son voyage jusqu’à la grotte, en palanquin, de ver en ver, avec autour d’elle les plates-formes où s’entassaient les vivres et le matériel nécessaires à la campagne en préparation.