« Des hommes approchent par le passage secret, dit Stilgar. Ce doit être Otheym et Korba. »
« D’accord, Stil, fit Paul. Repartons. »
Mais il jeta un dernier coup d’œil dans le télescope sur la vaste plaine et les grands vaisseaux, la tente de métal scintillante, la cité silencieuse, les frégates des mercenaires. Puis il se laissa glisser le long du rocher. Un garde Fedaykin le remplaça devant le télescope.
Il émergea dans un creux ménagé dans la falaise du Bouclier, un repaire naturel d’environ trente mètres de diamètre, profond de trois, que les Fremen avaient dissimulé sous un camouflage translucide. Le matériel radio était groupé autour d’un trou, sur la paroi de droite. Les Fedaykin s’étaient déployés dans l’attente de l’ordre d’attaque.
Deux hommes émergèrent du boyau qui s’ouvrait près de la radio et interpellèrent les gardes.
Paul regarda Stilgar et désigna les deux hommes. « Va prendre leur rapport, Stil. »
Stilgar obéit et s’avança vers les deux hommes.
Paul s’accroupit, le dos contre le rocher, détendant ses muscles, puis se redressa. Stilgar renvoyait les deux hommes par où ils étaient venus et Paul songea à la longue descente qui les attendait au long de l’étroit boyau creusé de main d’homme qui débouchait, là-bas, au fond du bassin.
Stilgar revenait vers lui.
« Était-ce si important qu’ils n’aient pu utiliser un cielago ? » demanda-t-il.
« Ils gardent les oiseaux pour la bataille, dit Stilgar (Il regarda en direction du matériel de communication, puis revint à Paul.) Même avec un faisceau étroit, il ne faut pas utiliser ces choses, Muad’Dib. On pourrait nous détecter en remontant à l’émetteur. »
« Bientôt, dit Paul, ils seront trop occupés pour me retrouver. Que disent les hommes ? »
« Nos Sardaukar apprivoisés ont été relâchés près de la Vieille Faille et retournent vers leur maître. Les lance-fusées et les autres armes à projectiles sont en place. Nos hommes se sont déployés selon tes ordres. Simple routine. »
Le regard de Paul se promena sur les Fedaykin qui attendaient, dans la clarté filtrée par le camouflage. Le temps était comme un insecte cheminant sur un rocher.
« Il faudra un certain temps à nos Sardaukar pour arriver à proximité d’un transport de troupes, dit-il. On les surveille ? »
« On les surveille », dit Stilgar.
Gurney Halleck se racla la gorge avant de demander : « Est-ce que nous ne ferions pas bien de nous mettre à l’abri ? »
« Il n’y a pas d’abri, répliqua Paul. Les rapports sur le temps sont-ils toujours favorables ? »
« La tempête qui arrive est une arrière-grand-mère, dit Stilgar. Est-ce que tu ne le sens pas, Muad’Dib ? »
« L’air me le dit. Mais j’aime mieux m’en assurer en sondant le sable. »
« La tempête sera ici dans une heure », dit Stilgar.
Il désigna la faille qui ouvrait sur le bassin, le camp impérial et les frégates harkonnens.
« Eux aussi le savent, là-bas. Il n’y a pas un orni dans le ciel. Tout est recouvert et arrimé. Leurs petits amis leur ont annoncé le temps depuis l’espace. »
« Plus de sorties ? » demanda Paul.
« Plus depuis le débarquement, la nuit dernière. Ils savent que nous sommes là. Je crois qu’ils attendent maintenant de choisir leur moment. »
« C’est nous qui choisissons », dit Paul.
Gurney leva les yeux et grommela : « S’ils nous en laissent le temps. »
« Cette flotte restera dans l’espace », dit Paul.
Gurney secoua la tête.
« Ils n’ont pas le choix, insista Paul. Nous pouvons détruire l’épice. La Guilde ne courra pas ce risque. »
« Ce sont les gens désespérés qui sont les plus dangereux », dit Gurney.
« Ne le sommes-nous pas, nous ? » demanda Stilgar.
Gurney le regarda, fronçant les sourcils.
« Tu n’as pas vécu avec le rêve fremen, lui dit Paul. Stilgar pense à toute l’eau que nous avons dépensée pour la corruption, à toutes ces années d’attente dans l’espoir de voir naître Arrakis. Il n’est pas…»
« Baahh », fit Gurney.
« Pourquoi est-il si sombre ? » demanda Stilgar.
« Il l’est toujours avant la bataille », dit Paul.
Lentement, un sourire de loup apparut sur le visage de Gurney. Ses dents brillèrent au-dessus de la mentonnière de son distille. « Ce qui me rend sombre, c’est la pensée de tous ces pauvres Harkonnens que nous allons laisser sans sépulture convenable. »
Stilgar sourit. « Il parle comme un Fedaykin. »
« Gurney est né pour les commandos de la mort », dit Paul. Et il songea : Oui, qu’ils occupent leur esprit en bavardant avant que vienne l’heure de se lancer à l’attaque de cette force rassemblée dans la plaine.
Il regarda dans la direction de la faille, puis, comme ses yeux se posaient à nouveau sur Gurney, il vit que le guerrier-troubadour fronçait toujours les sourcils.
« Le chagrin sape les forces, murmura-t-il. Tu m’as dit cela une fois, Gurney. »
« Mon Duc, je me préoccupe surtout des atomiques. Si vous les utilisez pour creuser une brèche dans le Bouclier…»
« Eux n’utiliseront pas les atomiques contre nous. Ils n’oseront pas… pour la même raison qui les empêche de courir le risque de voir l’épice détruit. »
« Mais l’injonction contre…»
« L’injonction ! lança Paul. C’est la peur, et non l’injonction, qui empêche les Grandes Maisons de s’attaquer à coups d’atomiques. Les termes de la Grande Convention sont assez clairs : “L’usage d’atomiques contre des êtres humains amènera l’oblitération planétaire.” C’est le Bouclier que nous allons attaquer, et non des humains. »
« La différence est subtile », dit Gurney.
« Les coupeurs de cheveux en quatre qui sont là-bas seront heureux de la reconnaître, dit Paul. Ne parlons plus de cela. »
Il se détourna. Il aurait aimé se sentir vraiment aussi confiant. « Et tes gens de la cité ? demanda-t-il. Sont-ils en position ? »
« Oui », murmura Stilgar.
Paul se tourna vers lui. « Qu’y a-t-il ? »
« Je n’ai jamais pensé que l’on pouvait se fier entièrement à un homme de la cité », dit Stilgar.
« J’en étais un moi-même. »
Stilgar se raidit. L’afflux de sang assombrit son visage. « Muad’Dib sait que je ne…»
« Je sais ce que tu voulais dire, Stil. Mais il ne s’agit pas de ce que tu penses d’un homme. Il s’agit de ce qu’il fait vraiment. Les gens de la cité sont de sang fremen. Seulement, ils n’ont pas su comment se débarrasser de leurs liens. Nous le leur apprendrons. »
Stilgar acquiesça et dit d’un ton grave : « La vie nous a habitués à penser ainsi, Muad’Dib. C’est sur la Plaine Funèbre que nous avons appris à mépriser les gens des communautés. »
Paul regarda Gurney et vit que celui-ci observait attentivement Stilgar. « Gurney, dit-il, explique-nous pourquoi les gens de la cité ont été chassés de leurs maisons par les Sardaukar ? »
« Un vieux truc, Mon Duc. Ils pensent que les réfugiés seront un handicap pour nous. »
« Les dernières guérillas sont si lointaines que les puissants ont oublié comment les combattre, dit Paul. Les Sardaukar ont fait notre jeu. Ils ont enlevé quelques femmes des cités pour se divertir, ils ont décoré leurs fanions avec les têtes des hommes qui protestaient. Ainsi, ils ont déclenché une fièvre haineuse chez des gens qui, autrement, n’auraient considéré cette bataille que comme un inconvénient supplémentaire… avec la possibilité d’un changement de maître. Les Sardaukar recrutent pour notre compte, Stil. »