« Mais je suis inquiet, Majesté ! »
L’Empereur ne le quitta pas du regard. La Révérende Mère émit un rire caquetant.
« Ce que je veux dire, Majesté, reprit le Baron, c’est que Hawat mourra dans quelques heures. » Et il expliqua alors ce qu’il en était du poison latent et de l’antidote.
« Très habile, Baron, dit l’Empereur. Et où sont donc vos neveux, Rabban et le jeune Feyd-Rautha ? »
« La tempête arrive, Majesté. Je les ai envoyés inspecter notre périmètre, craignant une attaque fremen. »
« Le périmètre… dit l’Empereur. (Il semblait avoir craché le mot.) La tempête n’affectera guère ce bassin, et la racaille fremen n’attaquera pas aussi longtemps que je serai là avec mes cinq légions de Sardaukar. »
« Certainement pas. Majesté, dit le Baron, mais la sécurité doit tenir compte de l’erreur. »
« Ahh, fit l’Empereur. Il faut en tenir compte, oui. Alors, que dire de tout le temps que cette comédie d’Arrakis m’a coûté ? Et je ne parle pas des bénéfices de la CHOM. qui s’engloutissent dans ce trou de rat. Ni des problèmes d’État et de juridiction que j’ai dû retarder ou annuler à cause de cette stupide histoire…»
Le Baron baissa la tête, effrayé par la colère impériale. Il était seul ici, il ne dépendait plus que de la Convention et du dictum familia des Grandes Maisons, et cela le mettait mal à l’aise.
Est-ce qu’il a l’intention de me tuer ? se demanda-t-il. Non, il ne le peut pas ! Pas avec les Grandes Maisons qui le guettent et qui attendent de tirer un quelconque profit de cette crise.
« Avez-vous capturé des otages ? » demanda l’Empereur.
« C’est inutile, Majesté, dit le Baron. Ces fous de Fremen honorent chaque prisonnier selon le cérémonial funèbre et se comportent comme s’il était déjà mort. ».
« Vraiment ? » dit l’Empereur.
Et le Baron attendit, regardant furtivement les murs de métal du selamlik, songeant à la monstrueuse tente qui s’étendait autour de lui, s’élevait au-dessus de lui, songeant aussi à la richesse que cela représentait. Il amène des pages, songea le Baron, et des laquais inutiles, ses femmes et ses compagnons, ses coiffeurs, ses dessinateurs, tout. Tous les parasites de la Cour jusqu’aux plus infimes. Ils sont tous là… Ils grouillent, ils complotent leurs petites intrigues, ils tournent autour de lui… Ils sont là pour le voir mettre un terme à cette affaire, pour écrire des épigrammes sur la bataille et idolâtrer les blessés.
« Peut-être, dit l’Empereur, n’avez-vous pas songé aux otages qui convenaient. »
Il sait quelque chose, pensa immédiatement le Baron. Et la peur pesa sur son estomac, comme une pierre très lourde, très froide. C’était comme la faim et le désir de commander immédiatement à manger lui vint et il le repoussa, tremblant entre ses suspenseurs. Autour de lui, il n’y avait personne pour obéir à ses ordres.
« Selon vous, Baron, qui peut bien être ce Muad’Dib ? » demanda l’Empereur.
« Certainement un Umma, un fanatique, un aventurier. Ils apparaissent régulièrement sur ces frontières. Votre Majesté sait bien cela. »
L’Empereur regarda sa Diseuse de Vérité puis ses yeux revinrent sur le Baron. « Et vous n’avez aucun autre renseignement sur ce Muad’Dib ? »
« Un fou, dit le Baron. Mais tous les Fremen sont un peu fous. »
« Fous ? »
« Ils crient son nom quand ils vont au combat. Les femmes lancent leurs bébés sur nos hommes et s’empalent sur nos couteaux pour ouvrir une brèche à leurs hommes quand ils attaquent. Ils n’ont pas… de… de décence ! »
« C’est grave, dit l’Empereur. (Et la dérision qui imprégnait ses paroles n’échappa pas au Baron.) Dites-moi, mon cher Baron, avez-vous exploré les régions du sud polaire d’Arrakis ? »
Le Baron le regarda, surpris par le soudain changement de sujet. « Mais… Mais, Votre Majesté sait bien que toute cette région est inhabitable, entièrement livrée au vent et aux vers. Il n’y a même pas d’épice sous ces latitudes. »
« Jamais aucun équipage des vaisseaux à épice ne vous a rapporté avoir aperçu des zones vertes dans ces régions ? »
« Oui, il y a eu de tels rapports. Certains ont donné lieu à des enquêtes… il y a longtemps. On a décelé quelque végétation. Beaucoup d’ornithoptères ont été perdus. Beaucoup trop. Cela coûte cher, Votre Majesté. Les hommes ne peuvent survivre longtemps dans un tel territoire. »
« Certainement », dit l’Empereur. Il claqua les doigts et une porte s’ouvrit à gauche, derrière le trône. Deux Sardaukar apparurent, escortant une fillette qui ne semblait pas avoir plus de quatre ans. Elle portait une aba noire dont le capuchon était rejeté en arrière, révélant les fixations d’un distille. Ses yeux bleus étaient ceux des Fremen. Son visage était rond, avec des traits doux. Elle ne semblait pas éprouver la moindre peur et il y avait même dans son regard quelque chose qui mit le Baron mal à l’aise.
La vieille Diseuse de Vérité elle-même fit un pas en arrière lorsque l’enfant passa devant elle et elle esquissa un signe dans sa direction.
L’Empereur s’éclaircit la gorge pour parler, mais ce fut la fillette qui prit la parole. Sa voix était aiguë avec un très léger zézaiement enfantin, mais claire et nette, pourtant. « Ainsi c’est lui, dit-elle. (Elle s’avança au bord du dais.) Il n’a pas grande allure, non ? Un vieil homme empli de peur, trop faible pour supporter sa propre graisse sans l’aide des suspenseurs. »
Ces paroles étaient si inattendues de la part d’une enfant de cet âge que le Baron ne put que la regarder en silence, en dépit de sa fureur. Est-ce une naine ? se demanda-t-il.
« Mon cher Baron, dit enfin l’Empereur, je vous présente la sœur de Muad’Dib. »
« La sœur de… (Le Baron regarda l’Empereur.) Je ne comprends pas…»
« Moi aussi, parfois, je joue la prudence, dit l’Empereur. On m’a rapporté que vos régions polaires méridionales inhabitées présentaient des signes évidents d’activité humaine. »
« Mais c’est impossible ! s’exclama le Baron. Les vers… Il n’y a que du sable jusqu’à…»
« Ces gens semblent en mesure d’éviter les vers », dit l’Empereur.
La fillette s’assit au bord du dais et balança ses pieds dans le vide en examinant les lieux avec un air de totale assurance.
Le Baron ne pouvait détacher son regard de ces petits pieds, soudain, des jambes qui jouaient sous la robe noire.
« Malheureusement, reprit l’Empereur, je n’ai envoyé que cinq transports de troupes avec une force d’attaque réduite pour capturer des prisonniers afin de les interroger. Nous avons eu grand-peine à ramener trois prisonniers et un seul transport de troupes. Oui, Baron, mes Sardaukar ont bien failli être balayés par une force défensive qui se composait en grande partie de femmes, d’enfants et de vieillards. Cette enfant ici présente dirigeait l’un des groupes de combat. »
« Vous voyez, Majesté ! s’exclama le Baron. Vous voyez comment ils sont ! »
« Je me suis laissé capturer, dit la fillette. Je ne voulais pas affronter mon frère et lui dire que son fils avait été tué. »
« Seule une poignée de mes hommes est revenue, dit l’Empereur. Une poignée, entendez-vous ? »
« Nous aurions pu les avoir, s’il n’y avait eu les flammes », commenta l’enfant.
« Mes Sardaukar se sont servis des fusées de leurs appareils comme de lance-flammes, expliqua l’Empereur. Ce n’est que grâce à cela qu’ils ont pu se replier avec leurs trois prisonniers. Comprenez bien ceci, Baron : des Sardaukar ont été forcés de battre en retraite devant des femmes, des enfants et des vieillards ! »