« Oui. »
Le plus petit ajouta : « Vous aussi, vous seriez aveugle et comme nous condamné à la mort lente. Savez-vous seulement ce que cela représente que d’être privé de la liqueur d’épice lorsqu’on y est accoutumé ? »
« L’œil qui choisit le chemin le plus sûr à jamais fermé, dit Paul. La Guilde devenue infirme. Les humains forment de petits îlots isolés sur leurs planètes. Je pourrais le faire, savez-vous, par simple dépit, ou par ennui. »
« Nous devons parler en privé, dit le plus grand. Je suis certain que nous pouvons arriver à quelque compromis qui…»
« Envoyez le message à ceux qui attendent au-dessus d’Arrakis, dit Paul. Cette discussion commence à me lasser. Si cette flotte ne repart pas très vite, il sera inutile de discuter plus longtemps. (Il se tourna vers les hommes de la radio qui attendaient à l’extrémité du hall.) Vous pouvez vous servir de cette installation. »
« Il faut d’abord que nous discutions, dit l’homme de la Guilde. Nous ne pouvons pas simplement…»
« Envoyez ce message ! Être en mesure de détruire une chose revient à la contrôler de façon absolue. Vous avez admis que je dispose de ce pouvoir. Nous ne sommes pas ici pour discuter, négocier ou atteindre un compromis. Vous allez exécuter mes ordres ou bien vous en subirez les conséquences immédiates ! »
« Il le ferait », dit le plus petit des deux agents. Et Paul vit qu’ils avaient peur, maintenant. Lentement, ils se dirigèrent vers la radio.
« Vont-ils obéir ? » demanda Gurney.
« Leur vision du temps se rétrécit. Ils ne voient plus qu’un mur nu où s’inscrivent les conséquences de leur désobéissance. Et à bord de chaque vaisseau, chaque navigateur de la Guilde peut voir ce même mur. Ils vont obéir. »
Il se retourna vers l’Empereur : « Lorsqu’ils vous ont permis de monter sur le trône de votre père, ce n’était qu’avec l’assurance que l’épice continuerait de se déverser. Vous avez trahi votre engagement, Majesté. Savez-vous ce qui vous attend ? »
« Personne ne m’a permis de…»
« Cessez de faire l’idiot. La Guilde est comme un village au bord d’un fleuve. Elle a besoin de l’eau mais ne peut en prendre qu’un minimum. Impossible de construire un barrage car cela attirerait l’attention sur ce petit prélèvement. Cela pourrait même amener la destruction. Ce fleuve, c’est l’épice, et j’ai construit un barrage sur ce fleuve. Je l’ai construit de telle façon que vous ne pouvez le détruire sans éliminer le fleuve. »
L’Empereur passa la main dans ses cheveux roux et regarda les deux hommes de la Guilde.
« Votre Bene Gesserit elle-même tremble, reprit Paul. Il est bien d’autres poisons que les Révérendes Mères peuvent utiliser pour leurs tours, mais, quand elles se sont servies de la liqueur d’épice, ces autres poisons restent sans effet. »
La vieille femme drapa autour d’elle sa robe informe et s’avança jusqu’à rencontrer les lances.
« Révérende Mère Gaïus Helen Mohiam, dit Paul. Bien du temps a passé depuis Caladan, n’est-ce pas ? »
Elle regarda au-delà de lui, en direction de sa mère. « Eh bien, Jessica, dit-elle, je vois que ton fils est bien celui que nous cherchions. Pour cela, il peut t’être pardonné cette abomination qu’est ta fille. »
Paul réprima la colère froide qui montait soudain en lui.
« Vous n’avez ni droit ni raison pour pardonner quoi que ce soit à ma mère ! »
La vieille femme affronta son regard.
« Essayez donc vos tours sur moi, vieille sorcière, dit-il. Où est donc votre gom jabbar ? Essayez de plonger votre regard en ce lieu où vous ne pouvez regarder ! Vous m’y verrez ! »
La vieille femme baissa les yeux.
« N’avez-vous rien à dire ? » demanda Paul.
« Je t’accueille dans les rangs des humains, marmonna-t-elle. Ne raille pas. »
Il éleva la voix : « Observez bien, mes amis ! Voici une Révérende Mère Bene Gesserit, le plus patient des êtres au service de la plus patiente des causes ! Elle a pu attendre avec ses sœurs durant quatre-vingt-dix générations que se produise cette idéale combinaison des gènes et de l’environnement d’où devait naître celui qu’exigeaient leurs plans. Observez-la bien, mes amis ! Maintenant, elle sait que les quatre-vingt-dix générations ont passé et que le but est atteint. Je suis là… mais… je… ne… me… plierai… pas… à… son… désir ! »
« Jessica ! s’exclama la Révérende Mère. Fais-le taire ! »
« Faites-le taire vous-même », dit Jessica.
Paul posa sur la vieille femme un regard flamboyant. « Pour la part que vous avez prise dans tout ceci, je vous ferais étrangler avec joie, dit-il, et vous ne pourriez m’échapper ! (Elle se raidit de fureur.) Mais je pense qu’il est mieux de vous laisser vivre sans que jamais vous puissiez porter la main sur moi, sans qu’il vous soit possible de me faire agir selon vos plans. »
« Jessica, qu’as-tu fait ? » s’exclama la Révérende Mère.
« Je ne vous accorderai qu’une chose, poursuivit Paul. Vous avez su voir en partie quels étaient les besoins de la race, mais combien pauvrement. Vous croyez contrôler l’évolution humaine par quelques accouplements dirigés selon votre maître-plan ! Vous comprenez bien mal ce que…»
« Vous ne devez pas parler de ces choses ! » siffla la Révérende Mère.
« Silence ! » gronda Paul. Et le mot parut acquérir de la substance sous son contrôle.
La vieille femme battit en retraite, le visage blême devant cette puissance qui venait d’agresser sa psyché.
« Jessica, murmura-t-elle. Jessica ! »
« Je me souviens de votre gom jabbar, dit Paul. N’oubliez pas le mien. D’un mot, je peux vous tuer. »
Tout autour du hall, les Fremen se regardèrent. La légende ne disait-elle pas : « Et sa parole portera la mort éternelle dans les rangs de ceux qui se dresseront contre le droit. »
Paul se tourna vers la Princesse Royale qui se tenait à côté de son père. Il dit, sans la quitter des yeux : « Majesté, nous connaissons tous deux la clé de nos problèmes. »
L’Empereur jeta un coup d’œil à sa fille, puis revint à Paul : « Vous osez ? Un aventurier sans famille, un…»
« Cessez cette comédie, dit Paul. Vous m’avez reconnu comme sujet impérial. Ce sont vos propres paroles. »
« Je suis votre maître », dit l’Empereur.
Paul se tourna vers les hommes de la Guilde qui, immobiles près de la radio, le regardaient. L’un d’eux acquiesça.
« Je pourrais employer la force », dit Paul.
« Vous n’oserez pas ! »
Paul se contenta de le regarder en silence.
La Princesse mit une main sur le bras de son père. « Père », dit-elle, et sa voix était pleine d’une douceur soyeuse, apaisante.
« N’essayez pas vos tours sur moi, dit l’Empereur. (Il regarda sa fille.) Il est inutile que vous fassiez cela, Ma Fille. Nous avons d’autres ressources qui…»
« Mais cet homme que voici est fait pour être votre fils », dit-elle.
La Révérende Mère, qui avait retrouvé sa dignité, s’approcha de l’Empereur et se pencha à son oreille.
« Elle défend ta cause », dit Jessica.
Paul ne quittait pas des yeux la princesse aux cheveux dorés.
« C’est Irulan, l’aînée, n’est-ce pas ? »
« Oui. »
Chani s’approcha : « Veux-tu que je me retire, Muad’Dib ? »
Il la regarda. « Te retirer ? Jamais tu ne quitteras mon côté. »
« Il n’existe aucun lien entre nous. »
Il baissa les yeux sur elle et, lentement, répondit : « Ne parle jamais que le langage de la vérité avec moi, ma Sihaya. (Et, comme elle s’apprêtait à répondre, il posa un doigt sur ses lèvres.) Le lien qui nous unit ne peut se rompre. Maintenant, observe avec attention car, plus tard, je désirerai voir cette salle par les yeux de ta sagesse. »