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La poudre obstruait les filtres respiratoires et il fallait souffler pour la chasser. Le sable aggloméré et le gravier roulaient sous les pas et pouvaient provoquer une chute. Les éclats de rocher coupaient.

Et les poches de sable omniprésentes semblaient coller aux pieds.

Paul s’arrêta brusquement sur une avancée de rocher et il soutint Jessica. Puis il tendit le doigt vers la gauche et elle vit qu’ils se trouvaient en réalité au sommet d’une falaise qui dominait une portion de désert d’une hauteur de quelque deux cents mètres. Le désert était comme une mer de vagues figées sous la lune, d’ombres acérées qui disparaissaient dans les creux et qui, dans le lointain, se fondaient dans la masse grise et imprécise d’un autre massif rocheux.

« Le désert ouvert », dit Jessica.

« Il nous faudra longtemps pour traverser. » La voix de Paul était étouffée par le filtre.

Le regard de Jessica glissa de droite à gauche. Il n’y avait que le sable.

Paul observait les dunes. Là-bas, les ombres jouaient sous la lune lente.

« Trois ou quatre kilomètres », dit-il.

« Les vers. »

« Certainement. »

Elle prit conscience de sa lassitude, de la douleur qui habitait chacun de ses muscles et affaiblissait ses sens.

« Nous pourrions nous reposer et manger. »

Paul se débarrassa du paquet, s’assit et s’appuya contre lui. Jessica mit une main sur son épaule pour conserver son équilibre et elle s’assit à son tour. Paul fouillait déjà dans le paquet.

« Voilà », dit-il.

Elle sentit sa main sèche dans la sienne. Il déposa deux capsules énergétiques au creux de sa paume. Elle les avala avec une gorgée d’eau qu’elle aspira au tube de son distille.

« Buvez toute votre eau, dit Paul. Axiome : Le corps est le meilleur endroit où conserver son eau. Elle maintient l’énergie et, ainsi, on est plus fort. Faites confiance à votre distille. »

Elle obéit et vida toutes les poches d’eau. Elle sentit alors son énergie revenir. Ce moment de lassitude et de repos était plein de tranquillité et elle se rappela les paroles de Gurney Halleck : « Mieux vaut le calme et un maigre repas qu’une maison pleine de luttes et de doutes. »

Elle les répéta à l’intention de Paul.

« C’est bien de Gurney », dit-il. Et, à son intonation, elle se rendit compte qu’il semblait parler d’un mort et elle songea : Oui, ce pauvre Gurney est peut-être mort. Tous les gens d’Atréides étaient morts, ou prisonniers ou perdus comme eux sur ce monde desséché.

« Gurney trouvait toujours la citation appropriée, reprit Paul. Je l’entends encore : “J’assécherai les fleuves, je vendrai la terre aux méchants et je rendrai le pays aride par la main des étrangers.” »

Jessica ferma les yeux, émue jusqu’aux larmes par la tristesse qu’elle percevait dans la voix de son fils.

« Comment vous… sentez-vous ? » demanda-t-il.

Elle comprit que la question concernait son état et elle dit : « Ta sœur ne naîtra pas avant plusieurs mois et je me sens encore… physiquement en forme. »

C’est mon fils, songea-t-elle, et je lui parle avec tant de froideur ! Et puis, parce qu’une Bene Gesserit se devait de chercher en elle la réponse, elle pensa : Je suis effrayée par mon fils. Je crains son étrangeté. Je crains ce qu’il peut voir au-devant de notre route, ce qu’il peut me dire.

Paul abaissa son capuchon sur ses yeux. Il écoutait les bruits infimes de la nuit. Ses poumons étaient emplis de son propre silence. Son nez le démangeait. Il le gratta, ôta le filtre de ses narines et décela alors la riche senteur de cannelle qui emplissait l’air.

« Il y a du Mélange à proximité », dit-il.

Un vent léger lui caressa les joues et fit flotter les plis de son burnous. C’était un vent qui n’annonçait nulle tempête, nulle menace. Déjà, Paul pouvait sentir cette différence.

« L’aube est proche », dit-il.

Jessica acquiesça.

« Il existe un moyen de traverser sans danger cette portion de désert. Les Fremen l’utilisent. »

« Et les vers ? »

« Nous avons un marteleur dans notre Fremkit. Si nous le plantions dans ces rochers, le ver serait occupé pendant un certain temps. »

Le regard de Jessica glissa sur le fleuve blanc du désert jusqu’à l’autre rivage rocheux.

« Assez de temps pour parcourir quatre kilomètres ? » demanda-t-elle.

« Peut-être. Et si nous réussissons à marcher en ne produisant que des bruits naturels qui n’attirent pas les vers…»

Son regard demeurait fixé sur le désert. Il cherchait dans sa mémoire presciente, il retrouvait ces mystérieuses allusions aux marteleurs et aux hameçons à faiseur qu’il avait lues dans le manuel du Fremkit. Et la terreur absolue qu’il éprouvait à la pensée des vers lui semblait bizarre. C’était comme si, juste au-delà de sa perception, résidait la certitude que les vers devaient être respectés et non craints… si… si…

Il secoua la tête.

« Ce devraient être des bruits sans rythme », dit Jessica.

« Comment ? Oh, oui… Si nous brisons seulement notre démarche… Le sable tombe de lui-même à certains moments. Les vers ne peuvent se ruer sur n’importe quel bruit infime. Mais il faut que nous soyons tout à fait reposés pour cela. »

Il regarda en direction de l’autre massif de rochers, lisant le passage du temps dans les ombres verticales dessinées par la lune. « Dans une heure ce sera l’aube. »

« Où passerons-nous la journée ? »

Il se tourna sur la gauche et tendit la main. « La falaise, là-bas, s’incline vers le nord. Vous pouvez voir que cette face est exposée aux vents et nous y trouverons des crevasses. Des crevasses profondes. »

« Ne ferions-nous pas mieux de partir tout de suite ? »

Il se releva et l’aida à se remettre sur ses pieds. « Êtes-vous suffisamment reposée pour la descente ? Je voudrais que nous soyons aussi près que possible du désert avant de monter la tente. »

« Suffisamment. »

Il hésita, puis reprit le paquet, l’assura sur ses épaules et se mit en marche.

Si seulement nous avions des suspenseurs, se dit Jessica. Ce serait si simple de sauter jusqu’en bas. Mais peut-être faut-il éviter d’employer les suspenseurs dans le désert profond… Peut-être attirent-ils les vers, tout comme les boucliers.

Ils atteignirent une série de terrasses. Tout en bas, le clair de lune révélait une fissure. Paul entama la descente. Il cheminait avec prudence mais aussi vite qu’il pouvait car il était évident que le clair de lune ne durerait plus guère. Ils allaient bientôt pénétrer dans un monde d’ombres profondes. Tout autour d’eux, des aiguilles rocheuses se dressaient sur les étoiles, de plus en plus hautes. La fissure se rétrécissait pour atteindre une dizaine de mètres de large au bord d’une pente de sable gris qui se perdait plus bas dans les ténèbres.

« Pouvons-nous descendre ? » murmura Jessica.

« Je le pense. »

Du bout du pied, Paul éprouva la surface du sable.

« Nous pouvons glisser, dit-il. Je descends le premier. Attendez jusqu’à ce que vous m’entendiez m’arrêter. »

« Sois prudent. »

Il s’avança sur la pente, glissa, dévala jusqu’à une zone de sable dur, entre les murailles rocheuses.

Il entendit alors le bruit du sable derrière lui. Il se retourna, essaya de distinguer le haut de la pente dans l’obscurité et faillit être renversé par la cascade de sable qui s’écoula au loin avant que revienne le silence.