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Quoi que l’on m’ait fait, songea-t-il, je m’y suis prêté.

Examen de la main !

A nouveau, il regarda sa main. Elle semblait si maladroite comparée à des créatures telles que le ver.

Nous sommes venus de Caladan, monde paradisiaque pour notre forme de vie. Sur Caladan, nous n’avions nul besoin de construire un paradis physique ou un paradis de l’esprit. La réalité suffisait, tout autour de nous. Et le prix que nous avons payé est celui que les hommes ont toujours payé pour jouir du paradis durant le temps de leur vie : nous sommes devenus fragiles, notre fil s’est émoussé.

Extrait de Conversations avec Muad’Dib,
par la Princesse Irulan.

« Ainsi vous êtes le grand Gurney Halleck », dit l’homme.

Debout dans la caverne ronde, Halleck regardait le contrebandier assis derrière un bureau de métal. L’homme arborait la robe fremen et le bleu trop clair de ses yeux révélait qu’il se nourrissait en partie d’aliments importés. La pièce reproduisait le centre de contrôle d’une frégate spatiale. Instruments de communication et écrans de vision couvraient la paroi courbe sur trente degrés. Il y avait des consoles d’armement et de tir automatiques et le bureau lui-même semblait une excroissance de la paroi.

« Je suis Staban Tuek, fils d’Esmar Tuek », dit le contrebandier.

« Alors vous êtes celui qu’il me faut remercier pour l’aide que nous avons reçue », dit Halleck.

« Ah… La gratitude, dit le contrebandier. Asseyez-vous. »

Un siège creux pareil à ceux des vaisseaux spatiaux sortit de la paroi, entre les écrans, et Halleck s’y laissa aller avec un soupir, prenant conscience de sa lassitude. Dans la sombre surface, devant lui, à côté de l’homme, il pouvait maintenant voir son reflet. La fatigue avait imprimé ses sillons sur son visage. Il fronça les sourcils et la cicatrice, au long de sa mâchoire, se plissa.

Il se détourna alors de son reflet pour regarder Tuek. Maintenant, il décelait la ressemblance avec le père. Les sourcils lourds, le dessin net, acéré, des joues et du nez.

« Vos hommes m’ont dit que votre père était mort, tué par les Harkonnens », dit-il.

« Par les Harkonnens ou par le traître qui s’était glissé parmi les vôtres. »

La colère eut raison de la fatigue. Halleck se raidit.

« Pouvez-vous nommer ce traître ? »

« Nous n’en sommes pas certains. »

« Thufir Hawat soupçonnait Dame Jessica. »

« Ah… La sorcière Bene Gesserit… Peut-être. Mais Hawat est prisonnier des Harkonnens. »

« On me l’a appris. (Halleck inspira profondément.) Il semble que d’autres massacres nous attendent. »

« Nous ne ferons rien qui puisse attirer l’attention », dit Tuek.

Halleck se raidit. « Mais…»

« Vous et vos hommes êtes les bienvenus parmi nous. Vous parliez de gratitude. Fort bien. Acquittez-vous de votre dette envers nous. Nous saurons toujours comment utiliser des hommes de valeur mais, pourtant, nous vous tuerons de nos mains si vous tentez la moindre action ouverte contre les Harkonnens. »

« Mais ils ont tué votre père ! »

« Peut-être. Et si cela est vrai, je vous citerai alors ce que disait mon père à ceux qui agissaient sans réfléchir : « Lourde est la pierre et dense le sable. Mais l’un et l’autre ne sont rien auprès de la colère de l’idiot ».

« Vous voulez dire que vous n’allez rien faire ? »

« Je n’ai pas dit cela. J’ai simplement déclaré que j’entendais protéger notre contrat avec la Guilde. La Guilde entend que nous agissions prudemment. Et il existe bien des moyens de venir à bout d’un ennemi. »

« Ah…»

« Oui, en vérité. Si vous avez dans l’idée de partir en quête de la sorcière, partez. Mais je dois pourtant vous avertir qu’il est probablement trop tard… Et nous doutons qu’elle soit bien la traîtresse que vous cherchez. »

« Hawat ne s’est que rarement trompé. »

« Mais il est tombé aux mains des Harkonnens. »

« Vous pensez que c’est lui le traître ? »

(Tuek eut un haussement d’épaules.) « Peu importe. Mais nous pensons que la sorcière est morte. Les Harkonnens, quant à eux, en sont persuadés. »

« Vous semblez savoir beaucoup de choses à leur propos. »

« Suppositions et suggestions… rumeurs et déductions. »

« Nous sommes soixante-quatorze, dit Halleck. Si vous nous proposez sérieusement de nous mettre à votre service, c’est donc que vous croyez que notre Duc est bien mort. »

« On a vu son corps. »

« Et le garçon aussi… le jeune Maître Paul ? » (Il essaya d’avaler sa salive. Il y avait comme un nœud dans sa gorge.)

« Selon nos dernières informations, sa mère et lui se sont perdus dans une tempête, en plein désert. Il est fort probable que l’on ne retrouvera même pas leurs os. »

« Donc la sorcière est morte… Bien morte. »

Tuek acquiesça. « Et Rabban la Bête, à ce que l’on dit, va reprendre place sur le trône de Dune. »

« Le comte Rabban de Lankiveil ? »

« Oui. »

Il fallut un moment à Halleck pour réprimer l’élan de rage qui venait brusquement de naître au fond de lui, menaçant de tout submerger. Lorsqu’il put parler, ce fut d’une voix haletante : « J’ai un compte personnel à régler avec Rabban. La vie des miens… Et ceci…» Il porta un doigt à la cicatrice sur sa mâchoire.

« Mais on ne risque pas tout afin de régler prématurément certains comptes », dit Tuek. Et il fronça les sourcils en remarquant le frémissement des muscles sur le faciès de Halleck, le regard absent de l’homme.

« Je sais… Je sais…» Halleck souffla lentement, profondément.

« En nous servant, vous et vos hommes pourrez payer votre voyage, quitter Arrakis. Il y a bien des endroits…»

« Je laisse mes hommes libres de choisir par eux-mêmes. Si Rabban est ici… Je reste. »

« Devant votre état présent, je ne suis pas sûr que nous le désirions. »

« Vous doutez de ma parole ? »

« Non…»

« Vous m’avez sauvé des Harkonnens. Pour la même raison j’ai été loyal envers le duc Leto. Je demeurerai sur Arrakis… avec vous… ou avec les Fremen. »

« Qu’une pensée soit ou non exprimée, dit Tuek, elle demeure une chose réelle et puissante. Il se pourrait, au sein des Fremen, que vous trouviez que la ligne qui sépare la vie de la mort est trop incertaine et fragile. »

Halleck ferma les paupières un bref instant. Sa lassitude revenait.

« Où est donc le Seigneur qui nous conduisit par cette terre de déserts et de puits ? » murmura-t-il.

« Agissez lentement et le jour de votre revanche viendra, dit Tuek. La vitesse est le fait de Shaitan. Calmez votre peine… Nous avons des diversions pour cela, trois biens qui soulagent le cœur : l’eau, l’herbe verte et la beauté de la femme. »

Halleck ouvrit les yeux. « Je préférerais le sang de Rabban Harkonnen, coulant en ruisseau à mes pieds. Croyez-vous que ce jour viendra ? »

« Je ne peux guère vous aider à affronter demain, Gurney Halleck. Je ne puis que vous aider pour aujourd’hui. »

« J’accepte cette aide et je resterai parmi vous jusqu’au jour où vous me direz de venger votre père et tous ceux qui…»

« Écoutez-moi, soldat. (Tuek se pencha par-dessus son bureau, baissant la tête, le regard intense, son visage soudain changé en un masque de pierre érodée.) L’eau de mon père… je la rachèterai moi-même, avec ma propre lame. »