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La voix de Stilgar gronda, éveillant des échos : « En arrière, tas de poux ! Si vous approchez encore, elle va me rompre le cou ! »

« Le garçon s’est enfui, Stil, dit une voix dans le bassin. Qu’allons-nous…»

« Évidemment qu’il s’est enfui, tête de sable !… Aahh ! Du calme, femme ! »

« Dites-leur de cesser de poursuivre mon fils ! » dit Jessica.

« Ils se sont arrêtés, femme. Il s’est enfui, comme vous le vouliez. Grands dieux des profondeurs ! Pourquoi n’avez-vous pas dit que vous étiez une magique et une guerrière ? »

« Dites à vos hommes de se replier. Dites-leur de s’avancer au fond du bassin pour que je puisse les voir… et il vaut mieux que vous sachiez que je connais leur nombre. »

C’est le moment délicat, pensa-t-elle. Mais s’il est aussi subtil que je le crois, nous avons une chance.

Lentement, Paul continuait de monter. Il rencontra un entablement étroit où il lui était possible de se reposer tout en découvrant le bassin. La voix de Stilgar lui parvint de nouveau.

« Et si je refuse ? Comment pouvez-vous… Aaahh ! Arrêtez, femme ! Nous ne vous toucherons plus, maintenant. Grands dieux ! Si vous êtes capable de venir ainsi à bout du plus puissant d’entre nous, vous valez dix fois l’eau de votre corps. »

A présent, l’épreuve de la raison, songea Jessica, et elle dit : « Vous cherchez le Lisan al-Gaib. »

« Vous pourriez être ceux de la légende, dit Stilgar, mais je ne le croirai que lorsque j’en aurai la preuve. Tout ce que je sais c’est que vous êtes venus ici avec ce Duc stupide qui… Aahh ! Femme ! Peu m’importe que vous me tuiez ! Il était honorable et brave, mais il a été stupide de se mettre ainsi entre les mains des Harkonnens ! »

Silence.

« Il n’avait pas le choix, dit Jessica, mais nous n’en discuterons pas maintenant. Dites à cet homme derrière le buisson, là-bas, de cesser immédiatement de me mettre en joue, ou je débarrasse l’univers de votre présence avant de m’occuper de lui. »

« Toi, là-bas ! lança Stilgar. Fais ce qu’elle dit ! »

« Mais… Stil…»

« Fais ce qu’elle dit, face de ver, tête de sable, merde de lézard rampant ! Fais-le ou je l’aiderai à te découper en morceaux ! Tu ne vois pas à qui tu as affaire ? »

L’homme dans le buisson se releva et abaissa son arme.

« Il a obéi », dit Stilgar.

« A présent, dit Jessica, expliquez clairement à vos gens ce que vous attendez de moi. Je ne veux pas qu’une jeune tête brûlée tente n’importe quelle folie. »

« Quand nous nous glissons dans les cités et les villages, dit Stilgar, nous devons dissimuler notre origine et nous mêler aux gens des sillons et des bassins. Nous ne portons pas d’arme, car le krys est sacré. Mais vous, femme, vous connaissez l’art étrange du combat. Nous en avions seulement entendu parler et nombreux étaient ceux qui en doutaient, mais on ne peut plus douter de ce que l’on a vu de ses propres yeux. Vous avez maîtrisé un Fremen armé. Un tel pouvoir, nul ne peut le deviner…»

Comme s’élevaient les paroles de Stilgar, des mouvements naissaient dans l’ombre.

« Et si j’accepte de vous enseigner… cet art étrange ? »

« Comme votre fils, vous aurez mon soutien. »

« Comment pouvons-nous être certains que vous dites vrai ? »

Une trace de sécheresse apparut dans la voix de Stilgar, jusque-là subtilement teintée d’assurance.

« Ici, femme, nous n’avons ni contrats ni papiers. Nos promesses du soir ne sont pas oubliées à l’aube. Le contrat, c’est ce que déclare un homme. Je suis le chef de mon peuple. Il est lié à ma parole. Enseignez-nous cet art étrange du combat et vous pourrez demeurer parmi nous aussi longtemps que vous le désirerez. Votre eau sera mêlée à la nôtre. »

« Pouvez-vous parler pour tous les Fremen ? »

« Avec le temps, il en sera peut-être ainsi. Mais seul mon frère Liet peut parler pour tous. Moi, je ne puis que vous promettre le secret. Mon peuple ne parlera de vous à aucun autre sietch. Les Harkonnens sont revenus en force sur Dune et notre Duc est mort. On raconte que vous-même avez trouvé la mort dans une Mère tempête. Le chasseur ne poursuit plus la proie morte. »

C’est une protection, songea Jessica. Mais ces gens disposent de bons moyens de communication et il est toujours possible d’expédier un message.

« Je suppose, dit-elle, qu’une prime était offerte à qui nous retrouverait. »

Stilgar demeura silencieux. Elle sentait frémir ses muscles sous ses mains et il lui semblait qu’elle pouvait voir tourbillonner ses pensées.

« Je le dis à nouveau : Je vous ai donné la parole de la tribu. Mes gens connaissent maintenant votre valeur. Que pourraient donc nous offrir les Harkonnens ? Notre liberté ? Ah… Non, vous êtes le taqwa qui peut nous apporter plus que toute l’épice des coffres des Harkonnens. »

« Alors, je vous enseignerai ma façon de combattre », dit Jessica, et elle perçut l’intensité rituelle qu’elle mettait inconsciemment dans ces paroles.

« A présent, allez-vous me libérer ? »

« Qu’il en soit ainsi », dit Jessica. Elle relâcha son étreinte et fit un pas de côté, s’offrant à la vue des hommes dans le bassin. C’est le test ultime, se dit-elle. Mais Paul doit savoir ce qu’il en est de ces hommes, même si j’en meurs.

Dans le silence, il se hissa un peu plus haut pour mieux voir sa mère. Au-dessus de lui, dans la faille verticale, il entendit soudain un souffle lourd, aussitôt interrompu. Il entrevit une ombre qui se dessinait sur les étoiles.

« Toi, là-haut ! lança la voix de Stilgar. Cesse de traquer le garçon ! Il va descendre, maintenant ! »

Dans les ténèbres, la voix d’un jeune garçon ou d’une jeune fille répondit : « Mais, Stil, il ne peut être loin de…»

« J’ai dit de le laisser, Chani ! Chasseur de lézards ! »

Paul perçut un juron murmuré. Puis une voix basse qui marmonnait : « Moi ! Me traiter de chasseur de lézards ! » L’ombre disparut.

Paul reporta son attention sur le bassin. Stilgar était une ombre grise aux côtés de sa mère.

« Venez tous ! cria Stilgar. (Il se tourna vers Jessica.) Maintenant, c’est à moi de vous demander comment nous pouvons être certains que vous allez remplir votre part du marché ? C’est vous qui viviez avec des papiers et des contrats vides tels que…»

« Nous autres Bene Gesserit ne trahissons pas plus que vous notre parole », dit-elle.

Il y eut un silence tendu, puis des murmures. « Une sorcière Bene Gesserit ! »

Paul saisit l’arme à sa ceinture et la braqua sur la silhouette imprécise de Stilgar. Mais l’homme demeurait aussi immobile que ses compagnons. Il regardait Jessica.

« C’est la légende », dit une voix.

« La Shadout Mapes avait dit cela de vous, fit Stilgar, mais une chose de cette importance doit être vérifiée. Si vous êtes vraiment la Bene Gesserit de la légende dont le fils doit nous conduire au paradis…» Il haussa les épaules.

Jessica soupira et pensa : Ainsi notre Missionaria Protectiva est parvenue à implanter des soupapes de sûreté religieuses dans cet enfer. Eh bien… elles vont nous servir. Tel est leur rôle.