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« La voyante qui vous a apporté la légende, dit-elle, l’a fait par le karama et l’ijaz, le miracle et l’immuabilité de la prophétie. Je sais cela. Voulez-vous un signe ? »

Stilgar redressa la tête dans le clair de lune. « Nous ne pouvons nous attarder aux rites », murmura-t-il.

Jessica se souvint d’une carte que Kynes lui avait montrée alors qu’il leur préparait le chemin pour fuir. Elle avait lu le nom de « Stilgar » à proximité d’un lieu nommé « Sietch Tabr ».

« Peut-être en aurons-nous le temps quand nous serons au Sietch Tabr », dit-elle.

Elle vit qu’elle avait touché juste et songea : S’il connaissait nos ruses ! Elle devait être habile, cette Bene Gesserit de la Missionaria Protectiva. Ces Fremen sont magnifiquement prêts à nous croire.

Stilgar s’agita d’un air gêné. « Nous devons partir, maintenant. »

Elle acquiesça afin qu’il comprît qu’ils ne se mettaient en route qu’avec sa permission.

Stilgar se retourna et son regard le porta vers la falaise, presque directement sur la corniche où Paul demeurait accroupi.

« Tu peux descendre, maintenant, garçon ! » dit-il. Il regarda de nouveau Jessica et ajouta sur un ton d’excuse : « Votre fils a fait un bruit incroyable dans ces rochers. Il lui faudra encore beaucoup apprendre s’il ne veut pas nous mettre en danger. Mais il est jeune. »

« Il ne fait pas de doute que nous ayons beaucoup à nous enseigner mutuellement. Mais peut-être devriez-vous voir ce qu’il en est de votre compagnon, là-bas. Mon bruyant fils l’a désarmé plutôt brutalement. »

Stilgar pivota dans un froissement de capuchon. « Où ? »

Elle tendit la main. « Derrière ces buissons. »

Il désigna deux de ses hommes. « Allez voir. » Son regard courut entre ses hommes et il ajouta : « Jamis est manquant. » Puis il se tourna à nouveau vers Jessica : « Même le petit connaît l’art étrange. »

« Et vous remarquerez qu’il n’a pas bougé, contrairement à ce que vous aviez ordonné », dit Jessica.

Les deux hommes envoyés par Stilgar revenaient, soutenant leur compagnon haletant et trébuchant. Stilgar ne leur accorda qu’un bref regard. « Le fils n’obéira qu’à vos ordres, n’est-ce pas ? C’est bien. Il connaît la discipline. »

« Paul, tu peux descendre maintenant », dit Jessica.

Il se redressa dans le clair de lune et glissa l’arme dans sa ceinture. Comme il se retournait, une silhouette se leva entre les rochers et lui fit face. Une mince silhouette en robe fremen qui braquait sur lui le museau d’une arme à projectiles. Sous le capuchon, le visage était à peine distinct dans le reflet de lune sur la roche grise.

« Je suis Chani, fille de Liet. »

La voix était mélodieuse, colorée d’un rire léger.

« Je ne t’aurais pas permis de frapper mes compagnons », dit-elle encore.

Paul déglutit avec peine. Sous la lune, le visage bougea et il entrevit des traits de lutin, des yeux noirs et profonds. Un visage familier, qui avait habité combien de ses visions prescientes et qui, en cet instant, le troublait et le rendait muet. Il se souvint avec quelle bravoure pleine de fureur il avait une fois décrit ce visage de ses rêves à la Révérende Mère Gaïus Helen Mohiam. « Je la connaîtrai », avait-il dit.

Et ce visage était là, devant lui. Mais cette rencontre, il ne l’avait pas rêvée.

« Tu étais aussi bruyant que le shai-hulud en fureur. Et tu avais pris le chemin le plus difficile. Suis-moi. Je vais te guider pour redescendre. »

Il suivit le tournoiement de sa robe entre les rochers. Elle se déplaçait en dansant, comme une gazelle. Il sentit le sang affluer à son visage et rendit grâce à l’obscurité de la nuit.

Cette fille ! Elle était comme un attouchement du destin. Il lui semblait être emporté sur une vague, en accord avec un mouvement qui soulevait ses pensées.

Ils se retrouvèrent au fond du bassin, entre les Fremen.

Jessica adressa un pâle sourire à son fils avant de déclarer à Stilgar : « L’échange d’enseignements sera bénéfique. J’espère que ni vous ni vos gens ne ressentez plus de colère à l’égard de nos violences. Cela semblait… nécessaire. Vous étiez sur le point de… faire une erreur. »

« Sauvez quelqu’un de l’erreur est comme un cadeau du paradis », dit Stilgar. Sa main gauche vint toucher ses lèvres tandis que, de la main droite, il prenait l’arme à la ceinture de Paul et la jetait à un compagnon.

« Tu auras ton propre pistolet maula quand tu l’auras mérité, garçon. »

Paul fut sur le point de répliquer, hésita et se souvint des leçons de sa mère : « Les débuts sont des moments délicats. »

« Mon fils a toutes les armes dont il a besoin », intervint Jessica. Elle affronta le regard de Stilgar, l’obligeant à se remémorer la façon dont Paul s’était approprié le pistolet.

Stilgar reporta son attention sur Jamis, l’Homme auquel Paul avait dérobé son arme et qui se tenait à l’écart, baissant la tête, le souffle court.

« Vous êtes une femme difficile. (Il leva la main gauche et claqua des doigts.) Kushti bakka te. »

Du chakobsa, encore, songea Jessica.

Un homme tendit à Stilgar deux carrés de gaze. Il les prit, les roula entre ses doigts et noua le premier autour du cou de Jessica, sous le capuchon du distille. Il répéta l’opération sur Paul.

« A présent, dit-il, vous portez le mouchoir du bakka. Si nous venons à être séparés, on reconnaîtra que vous appartenez au sietch de Stilgar. Nous reparlerons des armes une autre fois. »

Il s’avança entre ses hommes, les inspecta et remit à l’un d’eux le Fremkit de Paul.

Le bakka, pensa Jessica. Elle connaissait ce terme religieux. Le bakka… Celui qui pleure. Maintenant, elle comprenait le symbolisme qui les unissait. Mais pourquoi les larmes ?

Stilgar s’approcha de la jeune fille qui avait provoqué le trouble de Paul et dit : « Chani, prends l’enfant-homme sous ton aile. Veille sur lui. »

Elle posa la main sur le bras de Paul. « Viens, enfant-homme. »

Il réprima sa colère. « Mon nom est Paul. Il serait bon que vous…»

« Nous te donnerons un nom, petit homme, dit Stilgar, quand viendra le moment de la mihna, au cours de l’épreuve de l’aql. »

L’épreuve de raison, traduisit Jessica. Et soudain, le désir d’affirmer la supériorité de Paul balaya en elle toute autre considération. Elle lança : « Mon fils a été soumis au gom jabbar ! »

Dans le silence qui suivit, elle comprit qu’elle venait de les toucher au plus profond d’eux-mêmes.

« Il y a bien des choses que nous ignorons les uns et les autres, dit Stilgar. Mais nous nous attardons trop. Le soleil du jour ne doit point nous trouver à découvert. (Il avança vers l’homme que Paul avait terrassé.) Jamis, pourras-tu marcher ? »

L’homme grommela : « C’était un accident. Il m’a surpris. Oui, je peux marcher. »

« Ce n’était pas un accident. Tu partageras avec Chani la responsabilité du garçon, Jamis. Ces gens sont sous ma protection. »

Jessica regarda Jamis. Elle avait reconnu la voix qui, dans les rochers, avait répondu à Stilgar. Une voix qui recelait la mort. Stilgar avait senti la nécessité de renforcer son autorité sur Jamis.

Le regard de Stilgar courut entre ses hommes. Il tendit la main : « Larrus et Farrukh, vous suivrez et effacerez nos traces. Soigneusement. Ceux qui sont maintenant avec nous n’ont pas été éduqués. (Il se détourna, levant la main au-dessus du bassin.) En formation. Des gardes sur nos flancs. Il faut que nous soyons à la Caverne des Chaînes avant l’aube. »