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Jessica lui emboîta le pas. Elle comptait les têtes. Quarante Fremens. Quarante-deux avec elle et Paul. Ils marchent comme des militaires, pensa-t-elle. Même la fille, Chani.

Paul se plaça derrière Chani. L’impression pénible qu’il avait ressentie à être surpris par la jeune fille s’effaçait maintenant devant les souvenirs qu’avaient réveillés les mots de sa mère. « Mon fils a été soumis au gom jabbar ! » Dans sa main, la souffrance revenait.

« Regarde où tu marches, souffla Chani. Ne frôle pas un seul buisson qui puisse laisser un indice de notre passage. »

Il acquiesça en silence.

Jessica prêtait l’oreille au bruit de leurs pas, s’émerveillant de la façon dont les Fremen progressaient. Ils étaient quarante à traverser le bassin et les bruits qui s’élevaient dans la nuit étaient naturels. Leurs robes, flottant entre les ombres, semblaient des voiles fantomatiques. Ils marchaient vers le Sietch Tabr, le sietch de Stilgar.

Elle tourna et retourna le mot dans son esprit : sietch. Un terme Chakobsa qui avait traversé des siècles innombrables et demeurait inchangé, tel qu’on l’employait dans l’ancien langage de chasse. Sietch : le lieu où l’on se réunit en période de danger. Les implications profondes de ce mot, de ce langage, commençaient seulement de s’imprimer en elle, après la tension de cette rencontre.

« Nous progressons vite, dit Stilgar. Avec l’aide du Shai-hulud, nous atteindrons la Caverne des Chaînes avant l’aube. »

Jessica hocha la tête, économisant ses forces, consciente de la lassitude qu’elle ne repoussait que par sa volonté et, il lui fallait l’admettre, par une sorte d’ivresse. Elle concentra son esprit sur la valeur que représentait cette troupe, sur ce qui lui était révélé de la culture fremen.

Tous, songea-t-elle, ils forment une société militaire. Une puissance inestimable pour un Duc hors-la-loi !

Les Fremen avaient au degré suprême cette qualité que les anciens appelaient le « spannungs-bogen » et qui est le délai que l’on s’impose soi-même entre le désir que l’on éprouve pour une chose et le geste que l’on fait pour se l’approprier.

Extrait de La Sagesse de Muad’Dib,
par la Princesse Irulan.

Quand l’aube pointa, ils approchaient de la Caverne des Chaînes, franchissant la muraille du bassin par une faille si étroite qu’ils devaient s’y glisser de côté. Aux premières lueurs du jour, Stilgar détacha des hommes en éclaireurs et Jessica les vit se lancer dans l’escalade de la falaise. Paul, tout en marchant, levait les yeux vers le mince ruban de ciel gris-bleu.

Chani tira sur sa robe et dit : « Plus vite. Il fera bientôt jour. »

« Ces hommes, là-haut, où vont-ils ? » murmura Paul.

« Ils prennent la première garde du jour. Allons, vite ! »

Des gardes à l’extérieur, pensa-t-il. C’est habile. Mais il eût été encore plus habile de nous approcher en groupes séparés. Il y aurait ainsi moins de risques de voir toute la troupe anéantie. Il interrompit le cours de ses pensées, prenant conscience, soudain, qu’il réfléchissait en termes de guérilla, et il se souvint que c’était là ce que son père avait craint : voir la maison des Atréides devenir une Maison de guérilla.

« Plus vite ! » souffla Chani.

Il força l’allure et perçut le froissement des robes derrière lui. Il pensa alors aux paroles du sirat qu’il avait lues dans la minuscule Bible Catholique Orange de Yueh : « Le paradis sur ma droite, l’Enfer sur ma gauche et l’Ange de la Mort derrière moi », et il se les répéta plusieurs fois.

Ils franchirent un tournant et le passage se fit plus large. Stilgar leur désignait une ouverture basse, aux angles droits.

« Vite ! souffla-t-il. Si une patrouille nous surprend ici, nous serons comme des lapins pris au piège ! »

Paul se courba et suivit Chani dans la pénombre grise. Quelque part au-dessus de leurs têtes, il y avait une faible clarté.

« Tu peux te redresser », dit Chani.

Il se releva et découvrit une salle profonde et vaste dont le plafond voûté était juste hors de portée d’une main tendue. Les Fremen s’étaient dispersés dans l’ombre. Il vit sa mère qui s’avançait et examinait leurs compagnons et remarqua qu’elle évitait de se mêler aux Fremen, bien que sa tenue fût identique à la leur. Il y avait toujours la même grâce, la même force dans sa démarche.

« Trouve un endroit où te reposer et tiens-toi à l’écart, enfant-homme, dit Chani. Voici de la nourriture. » Elle mit dans sa main deux tablettes enveloppées de feuilles et qui sentaient fortement l’épice.

Stilgar apparut derrière Jessica et lança un ordre en direction d’un groupe d’hommes, sur la gauche. « Mettez le sceau en place et occupez-vous de l’humidité. (Il se tourna vers un Fremen isolé.) Lemil, les brilleurs. (Puis il prit le bras de Jessica et déclara :) Je veux vous montrer quelque chose, femme étrange. » Il l’entraîna, au-delà d’un pan de rocher, vers la source de lumière.

Et Jessica, par une large ouverture, haut dans la falaise rocheuse, découvrit un autre bassin, large de quelque vingt kilomètres, entouré d’immenses murailles, parsemé de plantes. Il était encore plongé dans l’aube grise mais, sous les yeux de Jessica, le soleil apparut au-dessus des falaises, donnant au paysage de rocs et de sable des tons de biscuits. Le soleil montait vite, remarqua Jessica. Comme s’il bondissait au-dessus de l’horizon.

C’est parce que nous voudrions le retenir, songea-t-elle. La nuit est moins hostile que le jour. Elle se prit alors à rêver d’un arc-en-ciel en ce lieu qui jamais ne connaîtrait la pluie. Et, aussitôt, elle se le reprocha. Il ne faut plus que j’aie de tels regrets. C’est une faiblesse. Et je ne puis plus me permettre d’être faible.

Stilgar lui prit le bras, désigna le bassin et lui dit : « Là-bas ! Regardez ! Les véritables Druses ! »

Elle suivit son doigt tendu et distingua des silhouettes en déplacement sur le fond du bassin, fuyant la clarté du jour pour les ombres qui subsistaient près de la falaise opposée. En dépit de la distance, la vision était très nette dans l’air limpide. Jessica prit ses jumelles sous sa robe, régla les lentilles à huile et observa les lointaines silhouettes. Des mouchoirs flottaient comme autant de papillons multicolores.

« Nous serons là-bas cette nuit. Chez nous, dit Stilgar. (Tout en contemplant le bassin, il tirait sur sa moustache.) Mon peuple a travaillé plus longtemps que de coutume. Cela signifie qu’il n’y a pas de patrouille à proximité. Quand je les aurai avertis, ils se prépareront à nous recevoir. »

« Votre peuple semble bien discipliné », dit-elle. Elle baissa ses jumelles et vit que Stilgar les regardait.

« Ils obéissent aux lois de sécurité de la tribu, dit-il. C’est ainsi que nous choisissons nos chefs. Le chef est le plus fort, celui qui procure l’eau et la sécurité. » Il leva les yeux sur son visage. Elle soutint son regard, examinant les pupilles ternies dans ces yeux sans blanc, la barbe et la moustache poudrées de poussière, le tube qui sortait de ses narines.

« Ai-je compromis votre position de chef en vous maîtrisant, Stilgar ? » demanda-t-elle.

« Vous ne m’avez pas défié », dit-il.

« Il est important pour un chef de garder le respect de ses hommes. »

« Je peux venir à bout de chacun de ces poux de sable. En me maîtrisant, vous nous avez tous maîtrisés. Maintenant, ils espèrent apprendre de vous… l’art étrange… et certains sont curieux de voir si vous allez me défier. »