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« Vous êtes condamné, de toute façon, mon pauvre Duc. Mais, avant de mourir, vous approcherez le Baron. Il croira que vous êtes sous l’influence de drogues si puissantes que toute attaque de votre part est impossible. Et vous serez effectivement drogué et neutralisé. Mais une attaque peut prendre bien des formes étranges. Et vous n’oublierez pas la dent. La dent, duc Leto Atréides. Vous n’oublierez pas la dent. »

Le vieux docteur se pencha un peu plus et sa moustache emplit tout le champ de vision défaillante du Duc.

« La dent », murmura Yueh.

« Pourquoi ?é souffla Leto.

Yueh mit un genou en terre. « J’ai conclu un Pacte de Shaitan avec le Baron. Et il faut que je m’assure qu’il a bien rempli ses engagements. En le voyant, je le saurai. Lorsque je regarderai le Baron, je saurai. Mais je ne puis être mis en sa présence sans en payer le prix. Et vous êtes ce prix, mon pauvre Duc. Et quand je le verrai, je saurai. Ma malheureuse Wanna m’a appris bien des choses et l’une d’elles est la certitude de la vérité lorsque la tension est forte. Je ne réussis pas cela constamment mais, quand je verrai le Baron, alors… je saurai. »

Leto essaya de voir la dent dans la paume de Yueh. Tout cela se passait dans un cauchemar. Ce ne pouvait être réellement.

Les lèvres rouges du docteur dessinèrent une grimace. « Je ne serai pas assez proche du Baron, autrement j’aurais fait cela moi-même. Non, il restera à prudente distance. Mais vous… Ah, vous, mon arme adorée ! Il voudra vous voir de près. Pour rire sur vous, pour jouir de vous, un peu. »

Leto était presque hypnotisé par le muscle qui se contractait sans cesse sur la joue gauche de Yueh tandis qu’il parlait.

Le docteur se rapprocha encore. « Et vous, mon cher, mon précieux Duc, vous n’oublierez pas la dent. (Il la lui montra, entre le pouce et l’index.) Elle sera tout ce qui restera de vous. »

La bouche de Leto s’ouvrit sans émettre le moindre son, puis il parvint à souffle : « … refuse. »

« Mais non ! Vous ne pouvez refuser. Parce que, pour ce petit service, je vais faire quelque chose pour vous à mon tour. Je vais sauver votre fils et votre femme. Nul autre que moi ne le peut. Ils seront conduits en un lieu où aucun Harkonnen ne pourra les atteindre. »

« Comment… les … sauver ? » souffla Leto.

« En faisant croire à leur mort, en les entourant de gens qui tirent leur couteau au seul nom d’Harkonnen, qui brûlent les sièges où les Harkonnens se sont assis, qui lavent le sol que les Harkonnens ont foulé. (Il toucha la mâchoire de Leto.) Sentez-vous quelque chose ? »

Le Duc s’aperçut qu’il ne pouvait répondre. Il sentit un mouvement, une pression et il vit l’anneau ducal dans la main de Yueh.

« Pour Paul, dit le docteur. Maintenant, vous allez être inconscient. Au revoir, mon pauvre duc. Lorsque nous nous reverrons, nous n’aurons pas le temps de converser. »

Le froid montait dans la tête de Leto, de sa mâchoire il gagnait ses joues. L’ombre parut se resserrer tout autour des lèvres rouges de Yueh qui chuchotait : « La dent ! N’oubliez pas la dent ! La dent ! »

Il devrait exister une science de la contrariété. Les gens ont besoin d’épreuves difficiles et d’oppression pour développer leurs muscles psychiques.

(extrait de Les dits de Muad’dib, par la princesse Irulan.)

Jessica s’éveilla dans l’obscurité et le silence fit naître en elle une prémonition. Elle ne comprenait pas pour quelle raison son corps et son esprit étaient si lents. La peur courut au long de ses nerfs. Elle pensa qu’il lui fallait s’asseoir, allumer, mais quelque chose s’opposait à cette décision. Sa bouche était… bizarre.

Doum-doum-doum-doum !

Le son était étouffé. Il venait de nulle part, du fond de l’obscurité.

Un moment d’attente, lourd de temps, empli de mouvements, de buissements.

Elle commença à percevoir son corps, les pressions sur ses chevilles, ses poignets. Un bâillon sur sa bouche. Elle était étendue sur le côté, les mains liées dans le dos. Elle tira sur les liens. De la fibre de krimskell. Leur étreinte ne refait que se resserrer à chacun de ses mouvements.

Maintenant, elle se souvenait.

Dans l’obscurité de sa chambre, il y avait eu un mouvement. Quelque chose d’humide et de mou avait été pressé contre son visage, jusqu’à lui emplir la bouche. Elle avait tendu les mains, essayé d’arracher la chose. Elle avait aspiré, une fois, et décelé le narcotique. Sa conscience avait diminué, très vite, la plongeant dans un bain noir de terreur.

C’est arrivé, pensa-t-elle. Comme il lui a été simple de venir à bout d’une Bene Gesserit ! La trahison a suffi. Hawat avait raison.

Elle lutta pour ne pas tirer sur ses liens.

Ce n’est pas ma chambre, pensa-t-elle. Ils m’ont emmenée ailleurs.

Lentement, elle rétablit le calme en elle-même.

Elle prit conscience de l’odeur de sa propre sueur, de l’émanation chimique de la peur.

Où est Paul ? Mon fils… que lui ont-ils fait ?

Calme.

Elle lutta pour le calme, se servant des vieux enseignements.

Mais la terreur demeurait si proche.

Leto ? Où es-tu, Leto ?

L »obscurité diminuait. Il y eut des ombres, d’abord. Les dimensions furent marquées et devinrent autant d’aiguilles de perception. Blanc. Une ligne sous une porte.

Je suis sur le sol.

On marchait. Elle décelait les pas dans le sol. Elle repoussa le souvenir de la terreur. Je dois rester calme, éveillée, prête. Je n’aurai peut-être qu’une seule chance.

A nouveau, le calme intéfieur.

Les battements de son cœur ralentirent, devinrent réguliers, prirent un rythme. Elle s mit à compter à rebours. Elle pensa : J’ai été inconsciente environ une heure. Elle ferma les yeux, focalisa toute sa perception sur les pas qui approchaient.

Quatre personnes.

Elle décelait la différence de leurs démarches.

Je dois feindre l’inconscience. Sur le sol froid, elle se détendit, vérifia l’éveil de tout son corps. Une porte s’ouvrit. Elle devina la lumière au travers de ses paupières closes.

Des pas, plus proches. Quelqu’un se penchait sur elle.

« Vous êtes éveillée, dit une voix de basse. N’essayez pas de feindre. »

Elle ouvrit les yeux.

Le baron Vladimir Harkonnen se dressait au-dessus d’elle. Derrière lui, tout autour, elle reconnut la cave où Paul avait dormi, elle vit la couche… vide. Des gardes arrivaient avec des lampes à suspenseurs qu’ils placèrent près du seuil. Dans le hall, au-delà, régnait une lumière vive qui lui blessa la vue.

Elle regarda le Baron. Il portait une cape jaune déformée par des suspenseurs portatifs. Sous ses yeux noirs d’araignée, il avait les grosses joues d’un chérubin.

« L’effet de la drogue a été calculé avec précision, reprit-il. Nous savions exactement à quelle minute vous deviez vous éveiller. »

Comment est-ce possible ? pensa-t-elle. Il leur faudrait connaître mon poids exact, mon métabolisme, mon… Yueh !

« Quel dommage que vous deviez rester baillonnée ! dit le Baron. Nous pourrions avoir une conversation fort intéressante. »

Yueh est le seul possible, songeait Jessica. Mais comment ?