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Derrière la porte, les coassements de grenouilles se turent.

Umman Kudu, le capitaine des gardes, apparut sur le seuil et secoua la tête. Le prisonnier n’avait rien révélé. Un autre échec. Il était temps de cesser de jouer avec cet idiot de Duc, ce pauvre fou qui ne réalisait pas que l’enfer était si près de lui… à un nerf d’épaisseur.

Cette pensée ramena le calme dans l’esprit du Baron, triompha de sa répugnance à voir un être de sang royal soumis à sa souffrance. Il se découvrait tout à coup sous l’aspect d’un chirurgien tranchant, incisant sans cesse, ôtant leurs masques aux fous, mettant au jour l’enfer.

Des lapins ! Tous des lapins !

Ils fuyaient devant le carnivore !

Leto leva les yeux vers l’extrémité de la table, se demandant pourquoi il attendait encore. La dent aurait si rapidement raison de tout cela. Pourtant… Sa vie avait été agréable, pour la plus grande part. Il se souvenait d’un cerf-volant dans le ciel de Caladan, bleu comme un coquillage, de Paul qui riait. Et du soleil de l’aube, ici, sur Arrakis… des stries de couleurs sur le Bouclier estompées par la brume de poussière.

« Quel dommage », murmura le Baron. Il repoussa son siège, se leva avec l’aide de ses suspenseurs, puis hésita. Il avait décelé un changement soudain dans le Duc. Il le vit respirer à fond. Ses joues se raidirent. Un muscle frémit comme le duc claquait violemment les mâchoires…

Il a peur ! songea le Baron.

Effrayé à la pensée que le Baron pût lui échapper, Leto mordit sauvagement la capsule. Il la sentit se briser. Il ouvrit la bouche et souffla la vapeur dont il sentait le goût sur sa langue. Le Baron devint plus petit, s’enfonça dans un tunnel qui allait se rétrécissant. Leto entendit un hoquet près de son oreille. La voix soyeuse… Piter.

Lui aussi ! Je l’ai eu !

« Piter ! Qu’y a-t-il ? »

La voix grondait, très loin.

Leto sentit rouler, tourbillonner les souvenirs. La pièce, la table, le Baron, deux yeux terrifiés, bleus… Tout se fondit dans une destruction symétrique.

Un homme au menton aigu tombait. L’homme-jouet avait le nez brisé. Un métronome figé à jamais. Un fracas, un grondement. Son esprit tournait sans fin, percevait tout. Tout ce qui avait jamais été cri, souffle, chuchotement. Tout…

Une pensée demeurait en lui. Leto la vit s’inscrire sur des raies de noirceur, lumière informe : Le jour modèle la chair, et la chair modèle le jour. La pensée le frappa avec une intensité que jamais, il le savait, il ne pourrait expliquer.

Silence.

Le Baron s’appuyait contre sa porte privée. Il venait de la refermer sur une pièce emplie de cadavres. Déjà, des gardes l’entouraient. L’ai-je respiré ? se demanda-t-il. Est-ce que cela m’a atteint, moi aussi ?

Les sons revenaient… et la raison. Il entendit que quelqu’un hurlait des ordres. Masques à gaz… Fermez cette porte… Souffleurs.

Ils sont tombés très vite ! se dit-il. Je suis encore debout. Je respire toujours. Enfer ! C’était juste !

Il parvenait à analyser ce qui s’était passé, maintenant. Son bouclier avait été activé, au degré minime, certes, mais cela avait suffi pour ralentir l’échange moléculaire au travers du champ énergétique ; et il s’était écarté de la table… Et puis, il y avait eu ce hoquet de Piter qui avait provoqué l’intervention du capitaine des gardes… et sa mort.

La chance. La chance et ce qu’il avait lu sur les traits d’un vieil homme mourant… Cela avait suffi pour le sauver.

Il ne ressentait aucune gratitude envers Piter. Cet idiot était mort en même temps que le stupide capitaine des gardes. Tous ceux qui étaient mis en présence du Baron étaient sondés, disaient-ils… Comment le Duc avait-il pu ?… Pas le moindre avertissement. Le goûte-poison lui-même n’avait pas réagi jusqu’à ce qu’il fût trop tard. Comment était-ce possible ?

Aucune importance, maintenant, songea le Baron comme son esprit devenait plus ferme. Le nouveau capitaine des gardes arrivera bien à trouver une réponse.

Il perçut un redoublement d’activité, de l’autre côté de cette pièce où régnait la mort. Il s’écarta de la porte et son regard courut sur les laquais, autour de lui. Ils le dévisageaient en silence, attendant ses ordres, guettant sa réaction.

Le Baron sera-t-il furieux ?

Le Baron prenait seulement conscience que quelques secondes s’étaient écoulées depuis qu’il s’était échappé de cette terrible pièce.

Certains des gardes avaient encore leurs armes braquées vers la porte. D’autres dirigeaient leur férocité sur le couloir vide d’où venaient les bruits d’agitation, maintenant.

Un homme apparut à l’angle. Un masque à gaz pendait à son cou. Ses yeux ne quittaient pas les indicateurs de poison alignés au long du couloir. Son visage était plat sous sa chevelure jaune. Ses yeux étaient intenses, verts. De fines rides irradiaent de sa bouche aux lèvres minces. Il évoquait quelque créature marine perdue sur la terre ferme.

Le Baron, tout en le regardant approcher, se souvint de son nom : Nefud. Iakin Nefud. Caporal de la garde. Nefud était intoxiqué par la sémuta, ce mélange de drogue et de musique qui agissait au niveau le plus profond de la conscience. Précieuse information.

Nefud s’arrêté devant lui et salua : »Le couloir est sûr, Mon Seigneur. Je montais la garde à l’extérieur et j’ai pensé qu’il pouvait s’agir d’un gaz latéral. Les ventilateurs de la pièce puisaient l’air de ces couloirs. (Il leva les yeux vers un détecteur placé au-dessus du Baron.) Il ne reste plus une seule trace du gaz, maintenant. La pièce a été assainie. Quels sont vos ordres ? »

Le Baron reconnut la voix. C’était celle qui avait lancé des ordres, un instant plus tôt. Un homme efficace, ce caporal.

« Ils sont tous morts ? » demanda-t-il.

« Oui, Mon Seigneur. »

Eh bien, il faut nous adapter, se dit-il.

« Tout d’abord, laissez-moi vous féliciter, Nefud. Vous êtes maintenant capitaine de mes gardes. Et j’espère que vous apprendrez par cœur cette leçon qu’est la mort de votre prédécesseur. »

Le Baron put sentir cheminer la conscience de cette situation nouvelle dans l’esprit de Nefud. Jamais plus il ne manquerait de semuta.

Le garde acquiesça. « Mon Seigneur sait que je me dévouerai totalement à sa sécurité. »

« Oui. A ce propos, je pense que le Duc avait quelque chose dans la bouche. Découvrez ce que c’était, comment cela a été utilisé et qui a pu l’aider. Prenez toutes précautions… »

Il s’interrompit. Le train de ses pensées venait d’être disloqué par un remue-ménage dans le couloir, derrière lui. Des gardes postés devant l’ascenceur qui reliait cet étage aux niveaux inférieurs de la frégate essayaient de contenir un grand colonel bashar qui venait d’émerger de la cabine.

Le Baron ne parvenait pas à situer ce visage mince, cette bouche pareille à une fente dans du cuir, ces petits yeux d’encre.

« Ecartez vos mains, mangeurs de charogne ! » rugit le personnage en bondissant hors de portée des gardes.

Ah, l’un des Sardaukars, pensa le Baron.

Le colonel bashar s’avançait vers lui et les yeux du Baron devinrent deux fentes pleines d’appréhension. Les Sardaukars provoquaient en lui un malaise. Ils semblaient tous avoir un quelconque lien de parenté avec le Duc… feu le Duc. Et la façon dont ils se comportaient avec le Baron…