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« N’essayez pas de ma pardonner, avait écrit Yueh. Je ne veux pas de votre pardon. J’ai déjà bien assez de fardeaux. Ce que j’ai fait, je l’ai fait sans méchanceté et sans espoir d’être compris. Ce fut mon tahaddi-al-burhan, mon dernier test. Je vous donne le sceau ducal pour prouver que j’écris la vérité. Lorsque vous lirez ces lignes, le Duc Leto sera mort. Puisse l’assurance que je vous donne qu’il n’est pas mort seul mais qu’il a entraîné avec lui celui que nous détestions par-dessus tout, vous consoler. »

Il n’y avait ni adresse ni signature, mais l’écriture était familière.

En se rappelant la teneur du message, Paul revivait sa détresse comme quelque chose d’aigu, d’étrange, qui semblait se situer à l’extérieur de sa nouvelle vivacité mentale. Il avait lu que son père était mort et il savait que ces mots étaient vrais. Mais cela n’était pour lui qu’un élément nouveau, une information supplémentaire qui était entrée dans son esprit pour être utilisée.

J’aimais mon père, se dit-il, sachant bien que c’était vrai. Je devrais le pleurer. Je devrais ressentir quelque chose.

Mais il ne ressentait rien. Il pensait seulement : Voilà un fait important.

A côté de bien d’autres.

Et sans cesse, son esprit ajoutait des impressions nouvelles, extrapolait, calculait.

Les paroles d’Halleck lui revinrent : « On se bat quand il le faut, et pas lorsqu’on en a le cœur ! Garde donc ton cœur pour l’amour ou pour jouer de la balisette. Ne le mêle pas au combat ! »

Peut-être en est-il ainsi, se dit-il. Je pleurerai mon père plus tard… lorsque j’en aurai le temps.

Mais, dans la précision froide qui l’habitait maintenant, il ne ressentait pas le moindre fléchissement. Sa nouvelle perception venait seulement de naître et elle continuait de se développer. Cette sensation d’un but terrible qu’il avait éprouvée lors de sa confrontation avec la Révérende Mère GaÏus Helen Mohiam lui revint. Sa main droite, sous le souvenir de la souffrance devint brûlante.

Etre le Kwisatz Haderach, c’est donc cela ?

« J’ai pensé pendant un temps que Hawat s’était encore trompé, dit Jessica. Je crois qu’il est possible que Yueh n’ait pas été docteur Suk. »

« Il était tout ce que nous pensions… et plus encore, dit Paul. (Il pensa : Pourquoi est-elle si lente à voir ces choses ?) Si Idaho ne parvient pas lusqu’à Kynes, nous serons… »

« C’est notre seul espoir », dit-elle.

« Ce n’est pas ce que je suggérais. »

Dans la voix de son fils, elle décela une dureté d’acier, une inflexion de commandemant et, dans l’ombre grise de l’abri-distille, elle le regarda. Il se silhouettait sur l’image claire des rochers givrés de lune.

« D’autres hommes de ton père ont dû réussir à fuir. Nous devons les regrouper, trouver… »

« Nous allons dépendre de nous-mêmes, dit-il. Notre premier souci devra être l’arsenal d’atomiques. Il faut l’atteindre avant que les Harkonnens ne se mettent en quête. »

« Il est pau probable qu’il le découvre là où il est caché. »

« Nous ne devons pas courir ce risque. »

Utiliser les atomiques de la famille pour menacer toute la planète et son épice. Voilà ce qu’il a en tête. Mais alors, il ne peut espérer survivre qu’en se réfugiant dans l’anonymat d’un renégat.

Les paroles de sa mère avaient déclenchée un nouveau flux de pensées dans l’esprit de Paul. En tant que Duc, il s’inquiétait du sort de ses gens perdus dans la nuit du désert. Les hommes sont la force véritable de toute Grande Maison, se dit-il.

A nouveau, lui revinrent des paroles de Hawat : « Il est triste d’être séparé de ses amis. Mais une demeure n’est jamais qu’une demeure. »

« Des Sardaukars sont avec eux, dit Jessica. Nous devrons attendre leur départ. »

« Ils nous croient pris entre le désert et les Sardaukars. Ils n’entendent pas laisser un seul Atréides en vie. L’extermination totale… N’espère pas en voir réchapper aucun de nos gens. »

« Mais ils ne pourront continuer sans cesse. Ils courraient le risque de révéler quel a été le rôle de l’empereur. »

« Le crois-tu ? »

« Quelques-uns de nos hommes parviendront à s’enfuir. »

« Vraiment ? »

Elle se détourna, effrayée par l’amertume et la dureté de la voix de son fils. Il avait calculé avec précision les chances. Elle le sentait dans ses paroles. C’était comme si l’esprit de Paul s’était brutalement éloigné du sien, comme s’il voyait plus loin qu’elle, maintenant. Elle avait participé à son éducatiob mais, à présent, elle avait peur du résultat. Ses pensées se tournèrent alors vers son Duc comme vers un sanctuaire perdu et les larmes vinrent lui brûler les yeux.

Il devait en être ainsi, Leto, pensa-t-elle. Un temps pour l’amour, un temps pour la peine. (Elle mit la main sur son ventre, consciente de la présence de l’embryon.) J’ai en moi cette fille des Atréides que l’on m’a ordonné d’engendrer. Mais la Révérende Mère s’est trompée : une fille n’aurait pas sauvé mon Leto. Cette enfant n’est qu’une vie qui tente d’atteindre l’avenir dans un présent de mort. Je l’ai conçue par l’instinct et non par obéissance.

« Vous devriez essayer à nouveau le communicateur », dit Paul.

L’esprit continue de fonctionner quoi que nous fassions pour l’en empêcher, se dit-elle.

Elle prit en main le minuscule appareil qu’Idaho leur avait laissé et mit le contact. Un voyant vert s’alluma. D’infimes grésillements sortirent du petit haut-parleur. Elle régla la fréquence et une voix retentit. Elle prononçait des mots dans le langage de bataille des Atréides.

« … retraite et regroupez-vous dans le massif. Rapport Fedor : pas de survivants à Carthag. La Banque de la Guilde a été pillée. »

Carthag ! songea Jessica. Un fief harkonnen !

« Des Sardaukars. Prenez garde aux Sardaukars ! Ils sont en uniforme Atréides. Ils… »

Un ronflement envahit le haut-parleur. Puis, plus rien.

« Essayez les autres fréquences », dit Paul.

« Comprends-tu ce que cela signifie ? »

« Je m’y attendais. Ils veulent que la Guilde rejette sur nous la responsabilité de la destruction de la banque. Avec la Guilde contre nous, nous sommes pris au piège sur Arrakis. Essayez les autres fréquences. »

Elle soupesa les mots qu’il venait de prononcer : « Je m’y attendais. » Que s’était-il passé en lui ? Lentement, elle revint au communicateur. Comme elle explorait la gamme des fréquences, elle accrochait des voix violentes : « … repliez… essayez de vous regrouper… prisonniers dans une grotte à… »

Aux voix Atréides se mêlaient des appels exultants en langage de combat harkonnen. Des ordres brefs, des rapports d’engagements. Tout était trop bref pour que Jessica pût enregistrer et découvrir le sens exact des mots, mais le ton était suffisant.

Il clamait avec éloquence la victoire des Harkonnens.

Paul secoua le paquet posé à côté de lui et entendit glouglouter l’eau des deux jolitres. Il inspira à fond et son regard se tourna vers l’extrémité transparente de l’abri, vers les rochers silhouettés sur le fond des étoiles. Sa main gauche se posa sur la fermeture du sphincter d’entrée.