Curieux de nature, et par ailleurs friand de ce genre de spectacle, je gravis les marches à mon tour.
J’avais aperçu juste.
Aperçu seulement car c’est à présent seulement que je VOIS juste.
Comment vous dire ? Le plus sobrement possible, n’est-il pas vrai ? La vérité n’a besoin que de simplicité pour être efficace.
Je me souviens d’une gravure illustrant un de mes tout premiers livres de lecture représentant un homme essayant de soustraire son petit enfant à la noire férocité d’un chien enragé.
Il se tenait de profil pour faire au lardon un rempart de son corps. De son bras libre, il bastonnait le chien écumant. La sauvagerie de la scène me foutait des cauchemars.
Or, voici que je la retrouve dans la chambre à coucher des Black.
Transposée, certes ; mais non moins cruelle et ardente.
Dans le rôle de l’homme : Bérurier.
Dans celui du bambin : Barbara.
Dans celui du chien hydrophobe : Black !
Les trois B, en somme !
Barbara se tient accoudée à une délicate coiffeuse vénitienne. Elle est à l’encan des sens. Ne se rend plus compte de rien, ou si se rend compte, ne peut réagir.
Bérurier, altier Casanova (complètement direct de la commode vénitienne) est profondément engagé dans cette personne pâmée. À tous deux, ils composent une espèce d’étrange centaure bicéphale inventé, dirait-on, par Pablo Picasso. Sans se disjoindre de sa partenaire, Alexandre-Benoît essaie d’endiguer la charge sauvage de Black.
Pas facile !
Il est dans une position arc-boutée dont l’équilibre est étudié en vue d’une action précise sans rapport (si je puis user de ce terme) avec la lutte gréco-romaine. Cet équilibre, il le maintient pauvrement, en prenant appui de la main gauche sur la hanche de Barbara. Mais l’impitoyable brute est forte, très forte…
Pis : elle est noire de courroux.
Aussi la tâche de Bérurier est-elle difficile. Défendre ses positions, en pareilles circonstances, relève de l’héroïsme. Le jaloux mailloche à bras rallongés. Béru pare de son mieux et contre même à l’occasion, sans arrêter pour autant le mouvement pendulaire dont est animée la partie inférieure de son individu, mouvement qui contribue fortement à la satisfaction pleine et entière de la dame où il s’est réfugié.
Quel tumulte ! Quelle ardeur !
Il fait penser à Ben Hur, mon pote ! La manière qu’il refoule de durs assauts sans ralentir l’allure de son char. Par moments, c’est plutôt un match de rugby qu’on évoque. Le Mastar s’en va à l’essai, en malmenant et en entraînant des humanités. Les instants les plus grandioses d’Interville ! Guy Lux voit ça, vite fait il l’engage pour une prochaine émission. De quoi en émietter les besicles du Gros Léon !
Seulement Black a trois atouts dans son jeu : sa force, sa veine de cocu, sa fureur de mari. Et puis quoi, merde, il a les deux mains libres, lui. N’est rivé à rien. Ne se soucie point de son équilibre. Il frappe en ahanant. Les gnons crépitent sur mon Béru comme une chute de pommes sur un toit de tôle. Alexandre-Benoît en vacille si durement que son aimable partenaire doit s’appliquer du bassin à épouser ses embardées. Sa Majesté serait contrainte à l’abdication si je n’intervenais opportunément. Car ce spectacle me révolte. Nul ne peut entraver un orgasme en cours, et l’époux moins que quiconque ! C’est là un crime de lèse-nature. L’amour qui va son train est sacré. On tue après, soit. Mais pendant on respecte l’acte. Sitôt qu’entamé, il appartient à Dieu. Paul VI me le disait encore y a pas si longtemps à la buvette du Vatican. Il me déclarait textuellement ceci : « L’extase est un don du ciel, et qui ose la troubler est passible de l’enfer et du retrait définitif du permis de copuler. » Vous voyez que je ne lui fais pas dire !
Donc, j’ai le bon droit pour moi.
Plus une bonne droite !
Je fais à Black la démonstration de l’un et de l’autre. Au menton.
Un pain complet, mes amis !
Black a le regard qui se brouille comme deux paysans lors d’une succession. Et il s’abat (s’il était israélite, bien entendu j’aurais écrit « il sabbat ») sur la moquette. Bloum !
À retardement ses deux talons ponctuent bloc, bloc ! Dès lors, jouissant de l’usage de ses deux paluches, Béru termine l’aimable femme dans un style époustouflant. Les clameurs de Barbara confirment ce que je pensais de celle-ci : elle n’est pas frigide.
On ne ramasse pas un billet de banque de la même manière qu’un verre cassé, mes frères, ni un gorille de Black comme une pucelle enceinte.
Cézigue, je le biche par les revers de son beau veston neuf et je le coltine dans la pièce voisine qui se trouve être la chambre de sa fille.
D’une secousse je le balance sur le pucier de cuivre. Rien de plus commode qu’un plumard à barreaux dans ces cas-là. Vous pouvez y attacher un gros vachard en « X » (ou croix de Saint-André) en moins de temps qu’il n’en faut à un boxeur pour reboutonner sa braguette sans ôter ses gants.
Bien entendu, en parfait auteur de romans policiers (mais pas policés) j’utilise pour ce faire les cordons des rideaux. Le cordon de rideau est un accessoire indispensable dans un ouvrage d’action, aussi je ne me déplace jamais sans en avoir pourvu les chambres de mes romans. Sitôt qu’il retrouve des bribes d’esprit, le vilain pas beau se met à ruer dans les brancards !
Je le regarde se démener en rigolant.
— Tu fais plus de raffut avec le sommier d’un plumard lorsque tu es seul que lorsque tu t’y trouves avec ta charmante femme, Black ! lui dis-je. Bousille pas ce pucier, c’est celui de ta fifille. Et tu sais que, privée de lit, Julia perd la plus grande partie de ses moyens ?
Une bordée d’injures agrémentées de postillons m’oblige à reculer.
— C’est ça : commence à te vider, mon chéri, je viendrai te refaire le plein tout à l’heure.
Là-dessus, je sors de la chambrette.
La cuisine…
Un seau de plastique bleu que je remplis d’eau fraîche. Trente-cinq secondes plus tard, Black déguste une trombe fraîche en pleine bouille. L’effet est radical. Il se tait pour mieux éructer.
— Tu vois, fais-je, ce sont les moyens les plus simples qui s’annoncent les meilleurs. Les mômes coléreux, tu les calmes avec un verre d’eau. Toi, comme tu es un grand goret, fatalement, tu as droit à la mesure d’exception. Si tu ne réponds pas gentiment à mes questions, je poursuis mon numéro de vaillant petit pompier. Compris ?
Il me répond que je suis un tas d’excréments nauséabonds et que je peux aller me faire sodomiser, ce qui procède d’une même démarche de la pensée sans doute, mais me paraît toutefois d’une réalisation délicate.
Un nouveau seau d’eau ne fait qu’accroître sa rogne. Il se contente de fermer les yeux et la bouche au moment où je le lui téléphone, pour les rouvrir aussitôt après, plus frénétique que jamais.
— Bon, à nous deux ! tonitrue Bérurier en déboulant. J’ai un compte à régler avec c’t’ouistiti.
— Après moi s’il en reste ! protesté-je. Je tiens à bavarder avec ce brave Black.
— C’est pour le faire causer que tu l’arroses ? fustige mon ami. Tu le prends pour une plante grimpante, ou quoi ? Si tu tiens à le dorloter, souate, mais si t’es pressé, faudrait p’t’être trouver mieux dans ta boîte à gamberge.
Tout en me blâmant, il s’active.
Et savez-vous ce qu’il maquille, le bon génie poulardier ? Il arrache le fil électrique de la lampe de chevet.
Le détortille sur une dizaine de centimètres.
Dénude les deux brins.
Les entortille aux barreaux de cuivre du plumard.
Ingénieux, non ? Il a tout de suite remarqué que le vigile avait les mains liées aux barreaux.