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— Ah, vous voilà mes ravisseurs ! souffla-t-elle en se levant.

Mais en voyant la tête de Papa avec son collant dépecé elle le bombarda de chuchotis :

— Mais bon Dieu, Georges, qu’avez-vous fait à votre collant ? Vous avez une tête de lépreux ! Si quelqu’un vous voit comme ça, vous allez tout faire capoter !

— Mon nez m’a trahi, ma chérie ! Venez plutôt embrasser votre chevalier au lieu de rouspéter ! avait-il répondu avant de prendre la main de Maman pour l’attirer vers lui.

Moi, je ne voyais plus très bien, j’avais le hoquet, mes sourcils s’étaient mis à suer à grosses gouttes, j’en avais plein les yeux, et le collant me démangeait la peau des joues.

— Mais notre fils est complètement saoul ! déclara Maman, un peu effarée de me voir ainsi tituber.

Puis elle me prit dans ses bras pour me picorer en disant :

— Regardez-moi ça, ce magnifique petit voyou qui s’enivre pour venir kidnapper sa Maman, n’est-ce pas charmant !

— Il a été exemplaire, un vrai Arsène Lupin, du moins pour l’aller, car je pense qu’il va falloir le tenir par la main pour le retour, j’ai l’impression que le gin tonic lui joue un mauvais tour.

— Filons, la liberté est deux étages en dessous, susurra Maman en m’empoignant d’une main tandis que l’autre ouvrait la porte.

Mais derrière la porte, nous étions tombés nez à nez avec Sven qui faisait des signes de croix à toute vitesse. Alors Papa mit son doigt devant ses lèvres et Sven l’imita, en hochant la tête tout excité. Maman déposa un baiser sur son front, et il nous regarda partir en laissant son index sur sa dent. Nous avions dévalé les escaliers à toute vitesse ; arrivés à l’angle, nous nous étions encore plaqués contre le mur, et Papa avait recommencé à faire ses grands gestes du torse et de la tête, alors Maman lui avait soufflé :

— Georges, cessez donc de faire l’andouille ! J’ai envie de faire pipi, et si vous me faites rire, je vais finir par faire dans ma culotte.

Alors Papa avait fait un dernier grand geste du bras, pour nous indiquer que la voie était libre. Dans le couloir, mes parents m’avaient pris chacun par une main, et j’avais fait le reste du parcours jusqu’à la voiture en ne touchant presque plus terre.

Dans l’automobile en direction de chez nous, l’ambiance était dingue. Papa faisait du tam-tam sur le volant en chantant, Maman applaudissait en riant, et moi je regardais tout ça en me massant les tempes qui battaient violemment. Après avoir quitté le quartier de la clinique, Papa avait fait des zigzags sur la route, en faisant plusieurs fois le tour des ronds-points en klaxonnant, je glissais sur la banquette arrière comme un sac de pommes de terre, c’était vraiment du grand n’importe quoi. En arrivant à la maison, Papa avait sorti le champagne du frigo et l’avait ouvert en le secouant à grands coups pour en mettre partout. Maman avait trouvé que l’appartement était presque aussi déprimant que la clinique, en quand même plus charmant. Et en caressant la tête de Mademoiselle qui gonflait son cou, elle nous avait expliqué la suite de son plan, en buvant ses coupes à grandes gorgées pour se désaltérer.

— Je vais m’installer à l’hôtel, le temps que ça se calme. Ce serait vraiment bête qu’on voie la kidnappée sortir de chez elle comme si de rien n’était. Pendant ce temps-là vous, vous allez nous mitonner des mensonges de toute beauté, pour la police, pour la clinique, bref pour tous ceux qui vous poseront des questions, avait-elle expliqué avec un air sérieux, sa coupe tendue comme un calice vers la bouteille célébrée.

— Pour les mensonges vous pouvez nous faire confiance, vous avez devant vous des hommes d’expérience ! Mais après l’enquête, qu’allons-nous faire ? avait dit Papa en vidant la fin de la bouteille dans la coupe de Maman.

— Après ? L’aventure continue, mon cher ami ! L’enlèvement n’est pas fini. D’ici quelques jours, les recherches n’auront rien donné, enfin j’espère, et nous irons nous cacher dans notre maison en Espagne. Vous allez louer une automobile, impossible de prendre l’avion dans ces conditions, nous allons emprunter les petites routes jusqu’à la frontière, et ensuite nous allons rouler à tombeau ouvert jusqu’à notre planque dans les montagnes pour reprendre notre vie d’avant, tout simplement, avait dit Maman, qui tentait de se lever péniblement pour trinquer avec nous.

— Ah oui, vous avez réellement pensé à tout ! Je me demande vraiment ce que vous faisiez chez les fous ! avait répondu Papa en l’attirant vers lui pour l’enlacer.

Complètement catapulté vers le sommeil, par le champagne et les émotions de l’évasion, je m’étais endormi dans le canapé, en les regardant danser le slow des sentiments.

Pendant les recherches de Maman et de ses ravisseurs, entre les déclarations à la police et les passages à la clinique pour déménager ses affaires et montrer nos airs tristes, nous allions lui rendre visite dans un petit hôtel dégoûtant, habité par des putes qui criaient et riaient, parfois en même temps. Maman avait pris un faux nom pour réserver sa chambre.

— Liberty Bojangles, ce n’est pas très discret comme nom d’emprunt pour une personne recherchée partout ! avait dit Papa, un sourire taquin accroché aux joues.