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Pinaud, lui, se contente de murmurer :

— T’es rudement fort, San-Antonio.

Je lui souris.

Et c’est alors que ce même Pinaud, l’homme qui n’a pas plus de finesse qu’un limaçon africain ou une sauterelle brésilienne, me pose une question :

— Dis, San-A., et si ce n’était pas Réveillon ?

Avouez, les mecs, que ça ne tient pas debout. Et pourtant, ça me fait naître une sorte de court-circuit (au fait, pourquoi on ne parle jamais des longs ?) dans les méninges.

— Pourquoi tu dis ça !

— Une idée ! Tu sais, des fois, on parle pour rien dire. Et puis, ce monsieur, il a pas une gueule à s’appeler Réveillon.

S’il avait raison, ça serait la tuile. La tuile… la tuile… LATHUIL ? ? ? ? ? ?

Je regarde l’individu sur son pucier. Il m’a semblé qu’il tiquait en entendant les divagations pinesques.

Quant au Gros, il s’en fout. Il louche sur un petit flacon d’alcool à 90°, et finit quand même par s’en octroyer un gorgeon. Vous parlez d’une descente, c’est à peine s’il devient un peu plus rouge que d’habitude, et ses yeux ont presque une lueur d’intelligence.

Vous me connaissez, hein, mes joyeux enfants de troupe ? Le modèle des détecteurs, le flic superfin… n’en jetez plus, je finirais par le croire.

Je laisse mes deux puants monter la garde et je vais biniouter à Pantruche.

* * *

Vous le croirez si vous voulez, et même si vous ne voulez pas, ça m’est égal, je vous le dirai quand même.

Pinaud a droit à sa statue. Parole, je ne ferai plus d’enquête sans solliciter l’avis du cher débris. Jugez-en.

J’ai reçu les renseignements demandés ; tenez-vous bien.

Réveillon et Lathuil sont demi-frères. Oui, ils ont eu la même mère, mais la brave femme s’étant remariée après la naissance de Réveillon, elle a eu Lathuil trois ans après.

Et les deux demi-frères se ressemblent. Voilà où vous commencez à comprendre, hein, bande de futés ?

Le mort, l’homme en conserve, c’est Réveillon. Et le brave Lathuil avait jugé bon de prendre sa place, sa femme et sa fortune.

Car la belle Dora Réveillon est dans le coup. Elle a accepté de faire passer son beau-frère Lathuil pour son époux. Il faut dire qu’elle est sa maîtresse depuis quelques mois.

C’est Magnin qui m’a appris tout ça, et j’ai tout pigé en cinq sec.

Vous parlez d’un vice ! Et le gars ne risquait rien. Il s’installait dans le lit tout chaud de sa victime et à nous la belle existence.

Je viens de lui bonnir tout ça. Il essaie de nier, mais je l’achève :

— Dis, Toto, tu penses que si on compare tes empreintes avec celles qui sont sur la carte d’identité de Réveillon, ça va coller ?

Il est battu. Il baisse la tête, et je cueille les fruits de ma victoire. Pinaud est modeste, il a trouvé un litre de beaujolais et avec Béru ils sont en train de vérifier le principe des vases communicants.

Y a encore un petit machin qui me chagrine, mais on aura vite fait d’en avoir le cœur net, surtout si on tient compte de l’état de dégonflage de Lathuil.

— Dis donc, je commence, y a encore quelque chose qui me chiffonne. Tu t’y connais tant que ça pour mettre les gens en boîte ?

Il me regarde, inquiet, sentant l’épée de la dame au clebs suspendue sur ses frêles épaules.

— Tu n’étais pas versé dans la partie, continué-je, alors je suppose que quelqu’un a dû te donner un coup de main ?

Il baisse la tête. Cette fois, les carottes sont cuites.

— Et ce petit quelqu’un serait la propre femme de Réveillon, ça ne m’étonnerait pas outre mesure ?

Vous suivez ? La brave femme devait être au courant de beaucoup de choses. Je parierais qu’elle s’était fait donner des leçons particulières par son défunt de mari. Elle avait dû lui dire que ça l’intéressait, et lui, il avait accepté, trouvant sans doute la chose amusante.

Gagné sur toute la ligne.

On n’a plus qu’à embarquer le zigoto. Et puis moi, j’irai à Paris retrouver la belle Dora que garde Magnin. Ça va être mon tour de la mettre un peu en boîte. Avouez qu’elle ne l’a pas volé…

ÉPILOGUE

Lorsque j’entre dans mon bureau, Magnin est assis, bras croisés. Il met son doigt à la verticale devant ses lèvres et me désigne le fauteuil de cuir où Dora Réveillon dort provisoirement comme une bienheureuse, ses jupes relevées jusqu’au nombril.

Je m’assieds près de Magnin.

— Elle t’a dit pourquoi elle m’a faussé compagnie si rapidement ? je demande.

Il rougit.

— Heu…

— Oui ou non ?

— Oui.

— Pourquoi ?

— Il paraîtrait… Il paraîtrait que vous vous seriez envoyé la bonniche de l’hôtel dans la chambre à côté. Elle a tout entendu et ça l’a choquée…

Je me gondole (comme on dit place San Marco).

— C’était donc ça !

Magnin s’enhardit.

— Entre nous, patron, je comprends pas que vous ayez chargé une bonne alors que vous aviez une femme pareille à portée de… la main.

Je hausse les épaules.

— Elle m’intimidait, mens-je galamment. Mais rassure-toi, Magnin. En régalant la soubrette, c’est à elle que je pensais… à elle qui a mis son mari en boîte.

Magnin louche sur les admirables jambes que nous dévoile l’impudique dormeuse.

Et il rêve à des trucs…

À des machins…

À des choses…

Je tape doucement sur l’épaule de Dora. Elle s’éveille, me reconnaît, et comprend à mon air que je connais le rôle qu’elle a joué.

Allons-y ! C’est peut-être pas marrant, mais le métier a ses exigences. Alors, je commence à parler…

FIN