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— Le mien est très gentil. Il n’attaque que les gens suspects, mais s’il te voit avec moi tu deviendras son ami.

Soudain l’enfant grimpa derrière elle. Surprise elle se retourna, ne vit qu’une tache claire au fond du capuchon.

— Tu viens chez moi ?

— Laissez-moi en bas de chez Lamy.

— Ah bon ! C’est là que tu habites ? Il fallait le dire tout de suite.

Il lui faudrait faire un peu plus de chemin, un kilomètre aller et un autre pour le retour avant de quitter la petite route pour rentrer chez elle.

Le scooter faisait trop de bruit pour qu’elle puisse lui poser toutes les questions qui la brûlaient. Ces trois couples de la ferme Lamy l’intriguaient. Elle aurait aimé les connaître, être admise dans leur intimité. Souvent elle songeait à transformer La Rousse en une sorte de communauté mais ne savait quelle formule choisir. Elle en avait parlé à son mari qui avait paru se résigner à cette excentricité nouvelle. Oh ! Il ne se plaignait jamais mais la plaignait, elle, sans le montrer et c’était insupportable. Il la croyait à deux doigts de la folie. Son indulgence finissait par ressembler à de l’indifférence.

Elle dépassa l’embranchement conduisant à La Rousse. Le scooter marchait merveilleusement bien et ce crochet ne lui prendrait même pas dix minutes.

Malgré l’averse de neige elle aperçut les lumières de la ferme Lamy sur la hauteur proche d’un bois. Elle vira dans le chemin fortement en pente, bien décidée à aller jusque devant la maison. Le gosse lui frappait l’épaule avec force, lui faisant si mal qu’elle s’arrêta.

— Mais tu es fou ? Tu tapes comme un sourd.

Il sauta du scooter.

— Je monte à pied.

D’ailleurs il passait devant l’engin dans la lumière du phare comme pour lui barrer le chemin. Peut-être avait-il la consigne de ne jamais amener quelqu’un dans la maison. Ces trois couples vivaient étrangement, ne fréquentaient personne. Ils allaient juste acheter du fromage à la fruitière, très peu d’épicerie. On disait qu’ils faisaient leur pain, se nourrissaient surtout de pommes de terre, de lait et de fromage.

— Comment t’appelles-tu ?

Mais il ne répondit pas. Elle préféra tourner sur place tant qu’elle le pouvait. À peine avait-elle achevé son demi-tour qu’elle sentit un choc et une douleur entre ses épaules. Elle s’arrêta furieuse, se retourna :

— Espèce de sale voyou !

Sur le siège arrière il y avait la boule de glace presque intacte. Elle la saisit pour la jeter, fut intriguée par le corps noir qu’elle apercevait à l’intérieur. Un gros caillou. Voilà pourquoi elle avait si mal malgré l’épaisseur de la veste en peau retournée et celle du pull-over. S’il avait visé plus haut, entre le col et le casque, il aurait pu la blesser grièvement.

Il avait disparu dans la nuit, certainement en direction de la ferme Lamy. Sur le coup, furieuse, elle songea à monter là-haut se plaindre du gosse, mais il faisait nuit, la neige tombait de plus en plus fort. Elle devait rentrer vite.

Le scooter dévala la pente en quelques minutes, remonta ensuite vers La Rousse tapie à l’orée de la forêt du Mont-Noir. Enfin elle fut dans la grange. Truc, qui l’avait reconnue, gémissait de joie dans la cuisine.

Ayant bouclé la grange, elle ôta ses après-ski pour pénétrer dans la maison, le dos tourné, car Truc lui sautait dessus et manquait chaque fois de la renverser. Ainsi elle pouvait subir le choc, s’arc-bouter le temps de lui ordonner d’être sage.

Elle se déshabilla en partie dans la cuisine, continua dans sa chambre où elle enfila une chasuble de laine naturelle. Truc l’attendait devant la cheminée où ne subsistaient que quelques braises. Elle les souffla, posa du bois moyen, une grosse bûche, alla se préparer un whisky à l’eau, y ajouta le jus d’un citron et l’emporta dans le grand living confortable. Poutres apparentes, nombreux sièges bas recouverts de fourrures. Elle s’allongea à plat ventre devant le feu et Truc s’étendit de façon à loger sa tête dans les reins de sa maîtresse.

Plus tard elle prépara la pâtée du chien, grignota un morceau de viande froide, des cornichons, un reste de tarte aux myrtilles qu’elle avait ramassées à l’automne, mises en conserve. Ce qui amusait Guy. Enfin, il souriait avec indulgence.

Elle regarda le film du dimanche soir, mais comme elle faisait en même temps les mots croisés du Nouvel Observateur, elle n’y comprit bientôt plus rien, coupa le poste et préféra écouter de la musique classique en cassette. De temps en temps elle écartait les rideaux épais d’une fenêtre, regardait à travers le double vitrage. La neige tombait dur et elle se demandait comme elle ferait le lendemain matin. La couche serait plus haute que la porte certainement, occulterait les fenêtres. Elle ne songeait pas à téléphoner pour qu’on vienne la dégager. Elle s’arrangerait toute seule.

Avant de se coucher elle se servit un peu d’eau-de-vie de framboise distillée à Chapelle-des-Bois même. Elle en aimait le goût et cela l’aidait à trouver le sommeil.

Truc, la tête allongée sur les pattes, attendait que son sort soit fixé pour la nuit. En fin de semaine, Guy ne le voulait pas dans leur chambre à coucher, mais seule, Charlotte l’acceptait parfois.

— Tu viens ?

Il fut en haut des escaliers de bois avant elle, se coucha avec un soupir bienheureux sur le tapis au pied du lit. Charlotte passa dans la salle de bains, regarda une nouvelle fois par la fenêtre. Il neigeait toujours très fort.

Dans le lit elle se souvint qu’elle avait oublié de régler le thermostat du chauffage central sur quinze degrés. Il lui fallait économiser le mazout, le camion-citerne ne pourrait pas venir la ravitailler avant longtemps. Mais elle n’en eut pas le courage, se tourna sur le côté. Dans un cadre d’aluminium un enfant de dix ans, un garçon brun, au visage régulier lui souriait. Elle enfonça son visage dans le repli de son bras.

Ce furent les grognements de Truc qui la réveillèrent vers 8 heures du matin. Un peu de jour apparaissait entre les rideaux mal tirés. Elle se leva pour voir s’il neigeait encore mais le ciel s’était découvert en fin de nuit et un soleil rouge se levait à l’est tout au bout du plateau.

Truc grognait toujours en direction de la porte. Elle lui ouvrit et il dévala l’escalier, se précipita dans le hall pour aboyer derrière la porte donnant dehors.

— Si tu crois que je vais t’ouvrir, tu te trompes. Il rentrerait des tonnes de neige. Il faut que je sorte par la grange pour la pelleter. C’est quoi qui t’excite ? Un chien errant ? Un quelconque animal ? Tu me laisseras boire mon café, oui ?

Elle n’était pas inquiète. Surtout pas avec le jour. Mais il lui arrivait de décrocher le téléphone pour vérifier la tonalité. Parfois la ligne était coupée. Mais ce lundi matin là, tout marchait. Elle mangea même de bon appétit des toasts de pain beurré, but deux tasses de café avant de s’équiper pour pelleter la neige.

Déjà pour sortir de la grange elle dut creuser une sorte de tunnel qui, plus loin, s’effondra et la recouvrit de neige. Ce qui la mit de bonne humeur.

Truc l’avait suivie et se précipita au-dehors avec la neige jusqu’au poitrail. Il jappait d’une certaine façon en sautant régulièrement, ressemblant à un dauphin en pleine mer. Il disparut dans un creux et elle attaqua la neige accumulée devant les fenêtres et la porte principale.

Bientôt elle fut en transpiration, marqua une pause. Truc n’avait pas reparu et elle ne l’entendait plus. Elle reprit sa pelle, dégagea un passage pour aller voir ce qu’il fabriquait. Il chassait de petits animaux, parfois se roulait dans la neige interminablement.

Elle atteignit le haut d’une dénivellation de deux à trois mètres, resta interdite.