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— Hé ! Dis donc, que fais-tu là ?

Elle reconnaissait la longue cape, le capuchon. L’enfant tournait le dos et Truc tirait le pan de tissu sombre entre ses mâchoires d’acier, s’arc-boutant dans la neige.

— Truc, veux-tu le lâcher ?

Le chien obéit mais l’enfant ne se retourna pas pour cela. Il restait étonnamment rigide et une pensée atroce la saisit. L’enfant était revenu dans la nuit et le froid l’avait frappé debout en pleine neige. Elle se précipita, enfonçant jusqu’à la taille, puis trouva un sol plus ferme. Un peu de vent avait soufflé la couche vers la maison, ce qui expliquait qu’il y en eût plus de deux mètres.

Enfin elle atteignit l’enfant, le contourna. Arracha avec colère la cape à un bonhomme de neige grotesque dont le nez était fait d’un cône de sapin, la bouche d’un bout de bois recourbé et les yeux de deux bouchons.

La cape à la main, elle regarda autour d’elle.

— Où es-tu ?

Truc fouillait la neige de sa truffe, se campait en direction de la petite construction protégeant le puits et la pompe immergée.

— Sors de là.

La porte s’ouvrit et l’enfant apparut. Elle eut un choc en découvrant son visage blanc et maigre.

— Vous trouvez qu’il est gentil, votre chien ? Un vrai fauve, oui. Je n’ai eu que le temps de m’enfermer là-dedans. Et il a bien failli déchirer ma cape avec ses dents.

CHAPITRE II

Comment pouvait-il être aussi maigre, aussi grêle ? En revanche ses cheveux assez longs descendaient presque jusqu’à ses épaules fluettes. Elle était fascinée comme par une apparition.

— Dites-lui de me laisser tranquille.

Charlotte tressaillit.

— Oui, bien sûr. Couché, Truc… Allons, couche-toi.

Le grand chien s’allongea dans la neige, le museau pointé vers l’enfant. Ce ne fut qu’alors qu’il s’approcha à grands pas pour se dégager de la neige. Elle avait l’impression que les bottes étaient trop grandes pour lui, comme le pantalon, le pull-over, la cape.

— Je venais de faire ce bonhomme quand il m’a surpris, dit-il.

— Mais il y a longtemps que tu es là ?

Dans la petite construction du puits il avait récupéré de la laine de verre et en faisait des moustaches à son bonhomme de neige.

— Est-ce que tes parents savent que tu es ici ?

Il y avait plus de deux kilomètres entre la ferme Lamy et La Rousse. Lui, tout occupé à son travail, ne répondait pas. Et comment était-il arrivé jusque-là sans enfoncer dans la neige jusqu’à la taille en certains endroits ? Sa présence était incompréhensible.

— Il vous plaît ?

Charlotte regarda le bonhomme de neige, lui trouva un air cynique qui la mit mal à l’aise.

— Oui, bien sûr. Veux-tu boire et manger quelque chose ?

Il tourna la tête sur le côté et elle remarqua son cou fragile d’oiseau.

— Oui, qu’avez-vous à me proposer ?

— Du café au lait, des tartines…

— Je préfère du chocolat et des brioches au beurre.

— Je n’ai pas de brioches mais des madeleines en paquet.

— Bien, allons-y. Vous n’avez pas de laisse pour votre chien ?

Charlotte en fut choquée.

— Une laisse ? Pour Truc ? Mais ici nous sommes loin du village et il ne peut rien commettre de regrettable. C’est pourquoi nous le laissons en liberté. Tu voudrais le voir en laisse ? Il ne serait pas heureux.

— Comme ça on pourrait l’attacher devant la porte. Mais puisque vous n’aimez pas ça…

Truc se leva et les suivit, le nez sur les talons de l’enfant. Ce dernier finit par s’en rendre compte et par trépigner d’impatience.

— Il va finir par me mordre.

— Mais non, rassure-toi. Il veut jouer. Il a l’habitude d’attraper les souliers des gens.

— S’il le fait je lui donne un coup de talon sur le museau.

— Oh ! Le ferais-tu vraiment ?

Il leva son visage vers elle. Charlotte lui trouva le regard fiévreux, enfoncé dans les orbites.

— Vous ne le frappez jamais, n’est-ce pas ? Vous lui tolérez n’importe quoi et un jour vous le regretterez.

Cette mise en garde la laissa pantoise. Grave et pompeux, même, le jeune garçon continuait de marcher. Il escalada la butte, s’enfonça avant d’atteindre la neige tassée à coups de pelle devant la maison.

— Je préférerais qu’il reste dehors.

— Oui, tu as raison, dit-elle. Lui salirait partout avec ses pattes. Viens, nous passons par la grange.

Il s’arrêta devant le scooter des neiges, le regarda comme s’il cherchait quelque chose sur le siège arrière. Elle se souvint de la grosse boule de glace durcie ayant une pierre comme noyau. Pourquoi la lui avait-il jetée alors qu’elle venait de le transporter ?

— Qu’y a-t-il ?

— Votre chien, vous pouvez donc l’emmener là-dedans ?

— Oui et il adore ça.

Une grimace déforma le petit visage comme s’il détestait que Truc apprécie le scooter.

— Vous le faites souvent ?

— Bien sûr, je vais me promener tous les après-midi et je l’emmène quand je vais dans des coins déserts. Dans le Mont-Noir ou sur le plateau.

— Vous m’emmènerez aujourd’hui ?

— Il faudrait d’abord demander à tes parents. Je te ramènerai chez toi et nous leur poserons la question. Viens déjeuner. Mais à quelle heure es-tu sorti pour arriver jusqu’ici, fabriquer ce bonhomme ?…

Dans le living, il regardait autour de lui avec soin, détaillait chaque meuble, chaque objet. Enfin il accepta de la suivre dans la cuisine, s’installa à la table de ferme tandis qu’elle préparait son chocolat, faisait réchauffer des madeleines, sortait du beurre, de la confiture.

— Tu ne m’as pas dit ton nom.

— Et le vôtre, c’est quoi ?

— Charlotte Berthod.

Il l’examina avec attention.

— Vous n’êtes pas vieille, n’est-ce pas ?

Elle se mit à rire.

— Pas trop. J’ai trente-trois ans.

— L’âge du Christ quand il est mort, dit-il.

Charlotte trouvait qu’il avait de curieuses réflexions. Certaines la mettaient mal à l’aise.

— C’est quelqu’un de ta famille qui dit cela ?

— Appelez-moi Pierre, déclara-t-il soudain.

— Mais ce n’est pas à moi de t’appeler. C’est bien ton nom au moins ?

— Il vous plaît ?

— Beaucoup. C’est un joli prénom. Pierre comment ?

— Pierre. Vous pouvez me servir le chocolat, maintenant.

Il ouvrit ses madeleines en deux, les bourra de beurre et de confiture, mangea à s’en étouffer. Jamais elle n’aurait cru qu’un enfant puisse dévorer une telle quantité de nourriture. Elle dut refaire du chocolat et il termina les madeleines.

— Où les as-tu mises ? dit-elle.

— Quoi donc ?

— Tes raquettes. Tu n’as pas pu venir ainsi jusqu’ici. Tu aurais enfoncé si profondément que tu aurais mis des heures.

— Je n’ai pas de raquettes mais j’ai traversé la forêt. Il y a moins de neige. Il suffit de suivre une petite crête entre deux pentes. Le plus dur a été tout autour de chez vous.

Elle savait qu’il mentait. Il n’avait pu traverser toute la forêt sans trouver de trous remplis de neige.

— Est-ce que c’est bon ?

— Oui, c’est parfait.

Comment ses parents avaient-ils pu le laisser sortir à jeun ? Jamais elle n’avait vu un enfant aussi amaigri, certainement par les privations. Elle soupçonna un scandale caché quelque part dans le pays, une famille trop pauvre ou trop négligente. Il lui fallait visiter les parents de Pierre, se rendre compte sur place de ce qu’elle avait à faire : aider ou mettre en garde.