Выбрать главу

Le chien aboyait de plaisir.

— À moins que notre ami Pierre ne vienne nous rendre visite, ce qui ne m’étonnerait pas.

Lorsqu’elle entra dans son living, il était allongé devant la cheminée où brûlait un énorme feu. Charlotte affolée se précipita :

— Mais tu es fou… Où as-tu trouvé le bois ?

— Dans la grange… Va-t’en !…

Truc approchait sa truffe de son cou et fut surpris par cette rebuffade. Il s’éloigna, se roula en boule sur son coussin préféré.

— Tu te rends compte… Ce brasier ? Il y a de quoi flanquer le feu, oui.

Il avait placé une demi-douzaine de bûches qui brûlaient toutes en même temps, dégageant une chaleur intense. Elle pensa que les briques réfractaires pouvaient éclater.

— Il y a longtemps que tu m’attends ?

— Depuis midi.

Effarée, elle calcula que cela faisait près de quatre heures.

— Mais tu as déjeuné au moins ?

— Non. Je n’ai pas voulu toucher au frigo. Juste au bois.

Elle se précipita :

— Je vais te faire un bifteck… Une purée toute prête… Tu aimes la salade ?

— Non. Mais je veux de la moutarde avec la viande.

— Tu en auras.

Elle s’affaira dans la cuisine et lorsque tout fut prêt elle l’appela.

— Tu m’as apporté un mot de tes parents ?

— Ils n’étaient pas là.

C’était fort possible. Sur les trois couples, il y en avait toujours un ou deux qui devaient ne pas se trouver à la ferme. Le hasard avait voulu que ce soient les parents de Pierre. Elle voulait bien accepter cette explication.

— Bien. Ils rentrent quand ?

— Je ne sais pas.

— Ils s’en vont souvent ?

— Oui, très souvent.

Il avalait de gros morceaux de viande et elle craignait qu’il ne s’étouffe.

— Ne mange pas si vite. Tu as tout le temps. Je vais te presser des oranges comme boisson.

— Dites, je pourrai coucher ici ce soir ?

CHAPITRE III

Il avait paru se résigner. Charlotte lui avait démontré que c’était impossible, que ses parents s’inquiéteraient. Que penseraient-ils d’une femme qui aurait si peu le sens des responsabilités au point d’accepter chez elle pour toute une nuit un enfant dont elle ignorait tout, sauf le prénom.

— Je vais te raccompagner. Peut-être que nous verrons tes parents. Et s’ils sont d’accord, la nuit prochaine tu pourras rester ici.

Un instant elle était remontée dans sa chambre. L’avait retrouvé à la même place à son retour. Près du feu qui rougeoyait de braises en couche épaisse. Truc avait demandé à sortir et il paraissait plus rassuré quand le chien n’était pas là.

Le scooter refusa de démarrer. Elle n’y comprenait rien et s’affolait car la nuit approchait et ce gosse ne pouvait rester là. Il la regardait s’énerver en silence et elle remarqua qu’il se tenait debout près de la porte donnant directement sur le living. Normalement il aurait dû l’attendre dehors.

Elle finit par comprendre :

— C’est toi qui as mis le moteur en panne. Peux-tu m’expliquer comment ?

Pierre levait vers elle des yeux indifférents. Comment un enfant aussi jeune aurait-il pu trafiquer efficacement l’engin ? Elle perdait la tête.

— Bon, on va aller à pied, fit-elle. J’ai des raquettes. Toi, tu t’installes sur la luge…

À peine dit qu’elle le regrettait. La luge était accrochée à un mur de la grange et elle n’y avait jamais plus touché. De même pour les skis d’enfant et les raquettes.

Cette fois il réagit avec une colère rentrée :

— Je vais prendre froid sur la luge, immobile. J’ai de la fièvre. Je voudrais me coucher.

Non, il ne l’aurait pas au sentiment. Elle savait bien qu’il n’était pas malade. Il avait dévoré comme un ogre et son regard n’était pas plus brillant que d’habitude.

— Ne t’inquiète pas. Je vais prendre une grosse fourrure. On attelle Truc. Il y a un harnais spécial pour cela. Il avait l’habitude avec Antoine.

Depuis des mois ce prénom n’était pas sorti de sa bouche et voilà qu’elle se croyait obligée de donner des explications.

— Je ne veux pas que le chien vienne avec nous.

— Pourtant il viendra, dit-elle avec colère. Je ne veux pas rentrer toute seule ensuite.

D’un pas décidé, elle alla décrocher la luge, chercha un moment le harnais. Il se composait de deux courroies. L’une pour le chien, l’autre pour une personne marchant à côté. Toujours appuyé contre le mur, il la regardait aller et venir d’un air sombre.

— Mais, dit-elle, ta cape ? Elle est restée sur le bonhomme de neige ? Veux-tu aller la chercher ?

— Non. Il y a le chien.

— Mais écoute, à la fin. Truc ne te mord pas. Il n’a jamais fait de mal à personne. Pourquoi ne veux-tu pas comprendre ça ? C’est la plus brave bête du monde.

— Pourquoi ne voulez-vous pas me garder ? Vous attendez quelqu’un ?

Il la cloua sur place. Pourquoi fallait-il qu’elle sous-entende une grande perfidie sous cette question.

— Non, je n’attends personne, répliqua-t-elle. Va chercher la cape. Je vais atteler Truc pendant ce temps. Tu vas voir comme il sera joyeux.

Truc se rua dans la grange, tourna comme un fou autour de la luge en aboyant très fort. De lui-même il happa le harnais dans sa gueule, se mit à tirer la luge en direction de l’ouverture de la grange.

— Tu vois… C’est une partie de plaisir pour lui, fit-elle des larmes aux yeux.

Truc se souvenait lui aussi des parties folles de l’hiver dernier aux vacances de Noël et durant le congé de février. Antoine et lui parcouraient des distances incroyables. L’enfant prétendait qu’il était un trappeur de l’Alaska, emportait toujours des provisions. Du lard salé qu’il s’efforçait de manger malgré son dégoût et un thermos de café au lait, ou de chocolat. Parfois sur le plateau elle apercevait une petite fumée, savait qu’Antoine et Truc bivouaquaient auprès d’un feu. Elle les rejoignait plus tard avec le scooter, à cause du feu, toujours inquiète, attelait la luge au snow-car. Antoine et Truc s’y installaient cramponnés l’un à l’autre.

— Viens ici, Truc. Je vais te passer le harnais. Allons, Pierre, va chercher la cape.

Traînant les pieds, il se dirigea vers la sortie. Elle pensa qu’elle avait des souliers de son fils, des après-ski, de belles bottes qui iraient très bien à l’enfant. Il était plus chétif qu’Antoine, devait avoir un petit pied. Et il y avait bien d’autres vêtements d’hiver en haut dans la chambre d’Antoine.

— Reste tranquille, Truc.

Il lui envoyait de grands coups de langue, tremblant d’impatience. Puis elle alla chercher la fourrure pour protéger Pierre du froid. La glace crissait lorsqu’elle fit sortir l’attelage. Le thermomètre extérieur marquait déjà moins six et sur le plateau la température pouvait devenir sibérienne en une nuit.

— Pierre ?

Que faisait-il encore ? Il aurait dû revenir avec sa cape recueillie sur le bonhomme de neige. Elle se dirigea vers l’endroit. Il restait suffisamment de jour pour qu’elle puisse espérer n’avoir la nuit qu’au retour.

— Mais où es-tu ?

Consternée, elle découvrait que le bonhomme de neige avait été renversé, piétiné rageusement. La cape avait disparu. La neige durcissait si vite qu’elle n’enfonçait presque plus. Elle eut rapidement visité l’abri du puits. Non, il n’y était pas caché. Elle releva des traces de pas en direction de la forêt.