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Un son, un bruit de pas en bas le tira de sa rêverie et le fit se relever promptement.

Il fit « Oui ? » d’une voix qui suggérait plus de courage qu’il n’en éprouvait. Il s’éclaircit la gorge. « Oui ? » répéta-t-il. Alors il entendit à nouveau quelque chose, de toute évidence un bruit de pas qui, de toute évidence, venait maintenant du dehors et déclencha en lui une décharge d’adrénaline. Il se dirigea prestement vers la porte de la chambre et éteignit la lumière de sorte que le seul éclairage de la maison proviendrait du salon. Si quelqu’un s’avisait de monter, il distinguerait ainsi les silhouettes sans qu’on puisse le repérer. Mais rien ne se produisit. Peut-être essayait-on de s’introduire par l’arrière de la maison ? Il se sentit affreusement vulnérable. Il entreprit de descendre précautionneusement l’escalier, tressaillant au moindre grincement. Un courant d’air froid l’assaillit.

La porte d’entrée était grande ouverte.

Il dévala la demi-douzaine de marches et se précipita dehors, juste à temps pour voir le feu arrière rouge d’une bicyclette déboucher du sentier et disparaître sur la route.

Il se lança à la poursuite de l’intrus mais abandonna au bout d’une vingtaine de foulées. Il n’avait aucune chance de rattraper le cycliste.

Il gelait en profondeur. Partout, le sol brillait d’un éclat bleuté à la fois morne et lumineux. Les branches de l’arbre dénudé se dressaient contre le ciel comme autant de vaisseaux sanguins. Deux traces de pneus étaient imprimées sur la glace lisse, celle de l’aller et celle du retour. Il les suivit jusqu’à la porte, où elles s’achevaient dans une série d’empreintes de pas bien appuyées.

Des empreintes de pas larges et bien nettes, des empreintes masculines.

Jericho les examina pendant une trentaine de secondes, frissonnant en manches de chemise. Une chouette ulula dans le taillis voisin, et il sembla à Jericho que son cri avait le rythme du morse : ti-ti-ti-ta, ti-ti-ti-ta.

Il rentra en hâte dans la maison.

Là-haut, il roula les messages en un cylindre très serré. Puis, à coups de dents, il ménagea un petit trou dans la doublure de son pardessus et y introduisit les feuilles de papier. Ensuite il revissa rapidement la lame de parquet et replaça le tapis dessus. Puis il enfila sa veste et son manteau, éteignit les lumières, verrouilla la porte et remit la clé à sa place.

Sa bicyclette laissa une troisième empreinte de pneus sur la terre gelée.

À l’entrée de la route, il s’arrêta et regarda derrière lui, vers la chaumière obscure. Il avait l’impression étrange — stupide, se dit-il — d’être observé. Il jeta un coup d’œil alentour. Une rafale de vent secoua les branches ; des glaçons s’entrechoquèrent et tintèrent dans la haie d’aubépine, près de lui.

Jericho frissonna de nouveau, remonta à bicyclette et se dirigea du côté de la descente, vers le sud, en direction d’Orion, de Procyon, et de l’Hydre, qui restait suspendue dans le ciel nocturne, pareille à un couteau au-dessus de Bletchley Park.

4

BAISER

BAISER : la coïncidence de deux cryptogrammes différents, transmis chacun dans un chiffre différent mais tous les deux porteurs du même texte en clair, la résolution de l’un d’eux entraînant forcément la résolution du second.

Lexique de cryptographie
(Top secret, Bletchley Park, 1943)

1

Il ne sait pas ce qui le réveille — un bruit ténu, un mouvement dans l’espace qui le tire des profondeurs de son rêve et le propulse à la surface.

Au premier abord, la chambre obscure lui paraît tout à fait normale — la barre d’un noir de jais de la poutre basse en chêne, les étendues lisses et grises des murs et du plafond — puis il s’aperçoit soudain qu’une faible lueur remue au pied de son lit.

« Claire ? appelle-t-il en se redressant brusquement. Chérie ?

— Tout va bien chéri. Rendors-toi.

— Mais qu’est-ce que tu fabriques ?

— Je fouille juste dans tes affaires.

— Tu… quoi ? »

Il cherche à tâtons l’interrupteur sur la table de nuit et allume la lampe. Son réveil lui indique qu’il est trois heures et demie.

« C’est mieux comme ça, commente-t-elle en éteignant sa torche de black-out. Ça ne marche pas, de toute façon, ces trucs-là.

Et elle fait exactement ce qu’elle dit. Elle est nue, à l’exception d’une chemise qu’elle lui a empruntée, elle est à genoux et elle fouille son portefeuille. Elle en retire deux billets d’une livre, retourne complètement le portefeuille et se met à le secouer.

« Pas de photos ? demande-t-elle.

— Tu ne m’en as pas encore donné.

— Tom Jericho, dit-elle avec un sourire tout en remettant les billets en place. Je t’assure que tu es presque en train de devenir un beau parleur. »

Elle inspecte les poches de la veste et du pantalon puis se traîne à genoux jusqu’à la commode. Il noue ses mains sous la nuque et s’appuie contre la tête de lit en fer pour la regarder. Ce n’est que la deuxième fois qu’ils couchent ensemble — une semaine après la première — et elle a insisté pour que cela se passe non dans la chaumière, mais chez lui. Ils ont donc traversé subrepticement le bar de la White Hart Inn pour gravir l’escalier grinçant. La chambre de Jericho est assez écartée du reste de la maisonnée, aussi ne craignent-ils pas d’être surpris. Des livres sont alignés sur la commode et Claire les prend un par un, les retourne et en fait défiler les pages.

Trouve-t-il cela bizarre ? Non, pas vraiment. Cela lui paraît simplement amusant, flatteur même — une intimité de plus, une continuation du reste, une partie du rêve éveillé qu’est devenue sa vie, gouvernée par des règles oniriques. De plus, il n’a pas de secrets pour elle — ou du moins, il pense qu’il n’en a pas. Elle découvre l’article de Turing et l’examine attentivement.

« Et qu’est-ce que les nombres calculables avec une application au Entscheidungsproblem, quand ça reste chez nous ? »

Il remarque avec surprise qu’elle a une prononciation allemande impeccable.