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« Il fait froid ?

— Assez, oui. » Hester parvient à sourire et à hocher la tête. « J’ai des numéros à vérifier.

— Référence ou prêt ?

— Référence.

— Section ?

— Contrôle Hutte 6.

— Laissez-passer ? »

La femme prend la liste des numéros et disparaît dans la pièce du fond. Par la porte ouverte, Hester peut voir des piles de rayonnages métalliques, des rangées infinies de fichiers en carton. Un homme franchit la porte et prend une boîte. Il dévisage Hester, qui détourne les yeux. Sur le mur blanchi à la chaux, une affiche représente un dessin de Bateman montrant une femme en train d’éternuer, accompagnée par un crétin à la solde de Whitehall reconnaissable entre tous :

LE MINISTÈRE DE LA SANTÉ vous parle :
Tousser et éternuer propagent des maladies
Piégez les microbes en vous servant de vos mouchoirs
Aidez à garder sains les Combattants de la Nation

Il n’y a nulle part où s’asseoir. Derrière le comptoir, il y a une énorme pendule aux initiales de la RAF ; elle est si énorme qu’Hester arrive à voir la grande aiguille bouger. Quatre minutes passent. Cinq minutes. Il fait désagréablement chaud. Elle commence à transpirer. L’odeur de peinture devient écœurante. Sept minutes. Huit minutes. Elle voudrait s’enfuir, mais la caporal a pris sa carte d’identité. Mon Dieu, comment a-t-elle pu se montrer aussi stupide ? Et si l’employée est en train de téléphoner à la Hutte 6 pour vérifier ses dires ? Miles va débarquer à tout instant avec perte et fracas : « Qu’est-ce que c’est que ce bordel, fillette ? » Neuf minutes. Dix minutes. Essaye de te concentrer sur autre chose. Tousser et éternuer propagent des maladies…

Elle est dans un tel état qu’elle n’entend même pas l’employée arriver derrière elle.

« Je suis désolée de vous avoir fait attendre si longtemps, mais je n’ai jamais vu ça… »

La pauvre fille semble assez secouée. « Pourquoi ? demanda Jericho.

— Le dossier, répondit Hester. Le dossier que j’avais demandé ? Il était vide. »

Un grand craquement métallique retentit derrière eux, puis une série de petits crissements tandis qu’on ouvrait la porte de l’église. Hester ferma les yeux et se laissa tomber à genoux sur une soutane, tirant Jericho pour qu’il s’agenouille aussi. Elle pressa les mains l’une contre l’autre et baissa la tête. Jericho fit de même. Des pas remontèrent la moitié de l’allée, derrière eux, s’arrêtèrent, puis se remirent en marche doucement, sur la pointe des pieds. Jericho regarda à la dérobée sur la gauche et eut juste le temps d’apercevoir le vieux prêtre se pencher pour prendre son habit.

« Pardonnez-moi d’interrompre votre prière », murmura le curé. Il adressa un petit signe de la main et un salut de la tête à Hester. « Bonjour. Je suis désolé. Je vous laisse à Dieu. »

Ils écoutèrent son petit pas pressé s’évanouir vers le fond de l’église. La porte se referma et le loquet tomba avec fracas. Jericho se rassit sur le banc, posa la main sur son cœur et fut certain de le sentir battre à travers les quatre épaisseurs de tissu. Il regarda Hester — « Je vous laisse à Dieu ? » répéta-t-il — et elle sourit. Le changement que cela produisit sur sa physionomie fut remarquable. Ses yeux brillèrent, la dureté de son visage s’adoucit et, pour la première fois, Jericho comprit brièvement pourquoi Claire et elle avaient pu être amies.

Jericho contemplait le vitrail au-dessus de l’autel et joignit l’extrémité de ses doigts en une pyramide. « Que devons-nous déduire de cela ? Que Claire a dû voler tout le contenu de ce dossier ? Non… » Il se contredit immédiatement « … non, cela ne se peut pas, non, dans la mesure où ce qu’elle avait dans sa chambre étaient les cryptogrammes originaux et non la version décodée…

— Précisément, reprit Hester. Il y avait une fiche tapée à la machine dans le dossier du Registre, et l’employée me l’a montrée — cela donnait que les numéros de série du présent fichier avaient été reclassés et retirés, et que toute demande devrait être adressée au bureau du directeur général.

— Du directeur général ? Vous en êtes sûre ?

— Je sais lire, monsieur Jericho.

— De quand est datée la fiche ?

— Du 4 mars. »

Jericho se massa le front. C’était le truc le plus bizarre qu’il eût jamais entendu. « Que s’est-il passé, après le Registre ?

— Je suis retournée à la baraque et je vous ai écrit mon mot. Le temps d’aller le porter m’a pris le reste de la pause repas. Il me suffisait ensuite de retourner dans la salle d’index au plus tôt. Nous tenons un registre au jour le jour de tous les signaux interceptés à partir des blists. Un fichier par jour. » Une fois de plus, elle fouilla dans son sac et en sortit une petite carte portant une liste de dates et de chiffres. « Je ne savais pas trop par où commencer, alors je suis tout simplement remontée au début de l’année et j’ai avancé. Il n’y a rien d’enregistré avant le 6 février. Onze messages interceptés en tout seulement, dont quatre le dernier jour.

— Qui était ?

— Le 4 mars. Le jour même où l’on a vidé le dossier du Registre. Qu’en pensez-vous ?

— Rien. Tout. Je suis encore en train de me demander en quoi les propos d’une unité de transmission allemande mineure peuvent justifier le retrait de tout un fichier.

— D’ailleurs, qui est le directeur général ?

— C’est le patron des Services secrets de renseignements. “C.” Je ne connais pas son vrai nom. » Il se rappela l’homme qui lui avait remis le chèque, juste avant Noël. Un visage rubicond et du gros tweed campagnard. Il ressemblait davantage à un fermier qu’à un chef de réseau d’espionnage. « Vos notes ? demanda-t-il en tendant la main. Je peux ? »

Elle lui tendit à contrecœur la liste des interceptions. Il la présenta à la faible lumière. Cela donnait certainement quelque chose de curieux. Suivant la première interception, le 6 février, juste après midi, il y avait eu deux jours de silence. Puis un autre message avait été émis le 9 à 14 h 27.

Venait ensuite un trou de dix jours. Un signal était ensuite intercepté le 20 à 18 h 07, puis venait à nouveau un long silence, suivi par une activité soudaine : deux signaux le 2 mars (11 h 18 et 17 h 27), et enfin quatre émissions, en une rapide succession, dans la nuit du 4 mars. Il s’agissait là des cryptogrammes qu’il avait découverts dans la chambre de Claire. Les émissions avaient commencé exactement deux jours avant sa dernière conversation avec Claire devant la fosse argileuse inondée. Et elles s’étaient achevées un mois plus tard, alors qu’il se trouvait encore à Cambridge, moins d’une semaine avant le black-out de Shark.

Tout cela n’avait ni rime ni raison.

« En quelle clé d’Enigma ces messages ont-ils été transmis ? demanda-t-il. Car ils étaient chiffrés avec Enigma, si je comprends bien ?

— Dans l’index, ils étaient catalogués Vulture.

— Vulture ?

— La clé Enigma standard de la Wehrmacht pour le front russe.

— Régulièrement lue ?

— Tous les jours. Pour autant que je le sache.