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— Qu’est-ce que c’est ?

— C’est l’indicatif des quartiers généraux de la Gestapo à Berlin.

— La Gestapo ? » Jericho examina les feuilles de registre restantes. « Mais tous les messages à partir du 2 mars, dit-il, c’est-à-dire huit messages sur onze, tous les longs y compris les quatre de la chambre de Claire, tous sont adressés a cet indicatif. » Il lui tendit les formulaires afin qu’elle puisse vérifier par elle-même et se carra sur son siège.

Une rafale de vent agita les branches au-dessus d’eux, lâchant une pluie de gouttes qui crépita comme une salve sur le pare-brise.

« Essayons d’échafauder une thèse », proposa Jericho au bout d’une minute ou deux, tout autant pour entendre une voix humaine qu’autre chose. Le crépitement aléatoire de la pluie et la pénombre crépusculaire de la forêt commençaient à lui porter sur les nerfs. Hester avait ramené les pieds sur son siège et se tenait toute recroquevillée, les bras passés autour des genoux, se massant parfois les orteils à travers ses chaussettes mouillées et scrutant la forêt.

« Le jour important, c’est le 4 mars », poursuivit-il. (Où étais-je le 4 mars ? Dans un autre monde : en train de lire Sherlock Holmes devant un poêle à gaz de Cambridge, en train d’éviter M. Kite ou de réapprendre à marcher.) « Jusque-là, tout se passe normalement. Une unité de transmissions qui hiberne en Ukraine, qui tourne au ralenti tout l’hiver, se réveille au dégel. D’abord, quelques signaux envoyés au QG de Berlin, ensuite toute une série de transmissions plus longues adressées à la Gestapo…

— Ce n’est pas normal, coupa Hester avec virulence. Une unité de l’armée de terre qui transmet des rapports en clé d’Enigma du front russe au QG de la police secrète ? C’est normal, ça ? Je dirais, moi, que c’est sans précédent.

— Effectivement. » Cela ne le dérangeait pas d’être interrompu. Il était au contraire content d’avoir la preuve qu’elle écoutait. « En fait, c’est même tellement sans précédent que quelqu’un à Bletchley se rend compte de ce qui se passe et panique complètement. Tous les messages antérieurs sont retirés du Registre. Et le même jour, juste avant minuit, votre M. Mermagen téléphone à Beaumanor pour leur ordonner de cesser les interceptions. Cela s’est-il déjà produit auparavant ?

— Jamais. » Elle s’interrompit puis haussa légèrement une épaule en signe de concession. « Enfin, bon, peut-être, à un moment de programme trop chargé, on a pu laisser tomber un objectif non prioritaire pendant un jour ou deux. Mais vous avez vu la taille de Beaumanor. Et c’est plus petit que la station de la RAF de Chicksands. Et puis il doit y avoir encore une douzaine de lieux de moindre importance, peut-être davantage. Les gens comme vous nous ont toujours répété que l’essentiel de ce genre d’exercice, c’était de tout contrôler. »

Il acquiesça d’un hochement de tête. C’était vrai. Cela avait été leur philosophie depuis le début : tout englober, ne rien manquer. Ce ne sont pas les champions qui vont vous donner les cribles — ils sont trop forts. Ce sont les petits de rien du tout — les nuls oubliés, paumés dans des coins écartés, qui commencent toujours leurs messages par « Situation normale, rien à signaler » et utilisent toujours les mêmes zéros aux mêmes endroits, ou qui ont l’habitude de chiffrer leur propre indicatif ou qui positionnent les rotors chaque matin sur les initiales de leur petite amie…

Jericho demanda : « Donc, il ne leur aurait pas ordonné d’arrêter de son propre chef ?

— Miles ? Oh Seigneur, non !

— De qui reçoit-il ses ordres ?

— Ça dépend. Généralement de la salle des Machines de la Hutte 6. Parfois du poste de la Hutte 3. Ce sont eux qui décident des priorités.

— Aurait-il pu faire une erreur ?

— Dans quel sens ?

— Eh bien, Heaviside a dit que Miles avait appelé Beaumanor le 4 juste avant minuit et qu’il était complètement paniqué. Je me demandais : est-ce que Miles n’aurait pas reçu l’ordre de ne plus intercepter les transmissions de cette unité plus tôt dans la journée, et oublier de transmettre cet ordre ?

— Tout à fait possible. Probable même, connaissant Miles. Oui, oui, bien sûr.  » Hester se tourna pour le regarder. « Je vois où vous voulez en venir. Entre le moment où Miles a reçu l’ordre de stopper les interceptions et celui où cet ordre est arrivé à Beaumanor, quatre messages ont été interceptés.

— Exactement. Qui sont arrivés Hutte 6 tard dans la nuit du 4. Mais à ce moment-là, l’ordre avait déjà été donné de ne pas les décrypter.

— Ils ont donc simplement suivi la marche bureaucratique.

— Pour atterrir dans la bibliothèque allemande.

— Sous le nez de Claire.

— Non décryptés. »

Jericho hocha lentement la tête. Non décryptés. C’était le point crucial. Cela expliquait pourquoi les messages de la chambre de Claire ne présentaient aucune trace d’aucune sorte. Ils n’avaient jamais eu la moindre bande de décryptage Type-X collée au dos. Ils n’avaient jamais été lus. Il fixa les bois du regard mais ne vit aucun arbre. À leur place, il vit la bibliothèque allemande le matin suivant la nuit du 4 mars, à l’heure où les cryptogrammes arrivaient pour être classés et indexés.

Mlle Monk avait-elle appelé elle-même l’officier de service de la Hutte 6 ou avait-elle dépêché une de ses filles ? « Nous avons ici quatre messages orphelins, laissés sans solution. Que sommes-nous censées en faire, je vous prie ? » Et la réponse avait dû être : Quoi ? Oh bon Dieu ! Les classer ? Les oublier, les fourrer dans la poubelle indiquant : DÉCHETS CONFIDENTIELS ?

Seulement aucune de ces réponses n’avait été appliquée.

Parce que Claire avait subtilisé les documents.

« En théorie ? avait assuré Weitzman. Sur une journée ordinaire ? Une fille comme Claire doit probablement voir défiler plus d’informations opérationnelles sur les armées allemandes qu’Adolf Hitler lui-même. Absurde, n’est-ce pas ? »

Oui, mais elles n’étaient pas censées les lire, Walter, tout était là. Il ne viendrait même pas à l’esprit de jeunes demoiselles bien élevées de lire un courrier qui ne leur serait pas destiné, à moins d’en recevoir l’ordre au nom du roi et de la patrie. Mais elles ne le liraient pas pour elles-mêmes. C’était pour cela que Bletchley les employait.

Mais qu’avait dit Mlle Monk à propos de Claire, déjà ? «  Elle était plutôt devenue plus attentive, ces derniers temps…  » Évidemment. Elle avait commencé à lire ce qui lui passait entre les mains. Et puis, vers la fin février, début mars, elle avait vu quelque chose qui avait bouleversé son existence. Quelque chose qui avait à voir avec une unité de transmissions allemande de seconde zone dont le radio jouait du morse pour la Gestapo comme si c’était une sonate de Mozart. Quelque chose de tellement « anti-barbant, chéri », que quand Bletchley avait décidé qu’on ne pouvait se permettre de continuer à lire ces transmissions-là, elle s’était sentie contrainte de subtiliser elle-même les quatre messages.

Et pourquoi les avait-elle subtilisés ?

Il n’eut même pas besoin de poser la question. Hester était arrivée à la même conclusion que lui, même si sa voix était faible, incrédule et presque noyée par la pluie.