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Il sélectionna les rotors selon l’ordre du jour — III, V et IV — et les enfila sur la broche. Il fit tourner III et le positionna sur la lettre G, puis il mit V sur A et IV sur H, et referma le capot.

La machine était maintenant dans l’état exact où s’était trouvée sa jumelle à Smolensk, le soir du 4 mars.

Il effleura les touches.

Il était prêt.

L’Enigma fonctionnait selon un principe simple. Si, une fois la machine réglée d’une façon particulière, la touche A enclenchait un circuit qui allumait l’ampoule X, il s’ensuivait — à cause de la réciprocité du courant électrique — que la touche X allumait l’ampoule A. Le décodage devait donc être aussi simple que l’encodage.

Or, Jericho s’aperçut rapidement que quelque chose ne collait pas. Il tapait une lettre du cryptogramme avec son index de la main gauche et notait de la main droite la lettre qui s’allumait sur le panneau d’affichage. T lui donna H, R lui donna Y, X lui donna C… Cela ne ressemblait à aucun mot allemand qu’il pût identifier. Il continua cependant dans l’espoir de plus en plus fragile que quelque chose finirait par apparaître, et il n’y renonça qu’à la quarante-septième lettre.

HYCYKWPIOROKDZENAJEWICZJPTAKJHRUTBPYSJMOTYLPCIE

Il se passa la main dans les cheveux.

Il arrivait qu’un opérateur d’Enigma insère des groupes de lettres dépourvus de sens entre les mots pour déguiser le sens de son message, mais sûrement pas à ce point, si ? Jericho n’arrivait pas à retrouver le moindre mot caché quelque part dans ce charabia.

Il poussa un grognement, s’appuya contre le dossier de sa chaise et contempla le plafond dont le plâtre s’écaillait.

Deux possibilités, toutes deux aussi déplaisantes l’une que l’autre.

Un : le message avait été surchiffré. Le texte en clair avait été brouillé une première fois, puis une seconde, afin de rendre le message doublement obscur. Une technique longue, réservée généralement aux communications particulièrement confidentielles.

Deux : Hester avait commis une erreur de transcription — d’une seule lettre peut-être — auquel cas il pourrait rester là pour le restant de ses jours sans jamais faire rendre au cryptogramme son secret.

De ces deux explications, la seconde était la plus vraisemblable. Il arpenta sa cellule pendant un moment, pour essayer de faire circuler un peu le sang dans ses bras et ses jambes. Puis il positionna les rotors sur GAH et tenta de déchiffrer le deuxième message du 4 mars. Même résultat :

SZULCJK UKAH…

Il ne prit même pas la peine d’essayer avec le troisième et le quatrième mais préféra jouer avec les positions des rotors — GEH, GAN, CAH — dans l’espoir qu’Hester n’ait pu se tromper que d’une seule lettre. Mais l’Enigma ne lui clignota que du galimatias.

Quatre dans la voiture. Hester assise à l’arrière avec Wigram. Deux hommes à l’avant. Toutes portes fermées, le chauffage allumé, une odeur de cigarette et de sueur si puissante que Wigram tenait son écharpe de cachemire délicatement pressée contre son nez. Il se garda de regarder Hester pendant tout le trajet et ne prononça pas un mot tant qu’ils n’eurent pas rejoint la grand-route. Ils franchirent alors les lignes blanches pour doubler une autre voiture, et leur chauffeur déclencha la sirène de police.

« Oh, pour l’amour de Dieu, éteignez-moi ça, Leveret. »

Le bruit cessa. La voiture tourna à gauche, puis à droite. Ils passèrent sur une voie ferrée rouillée et Hester enfonça les doigts plus profondément encore dans le cuir de la banquette pour se retenir de tomber sur Wigram. Elle non plus n’avait pas prononcé un mot — ce silence constituait son seul mouvement significatif de défi. Elle n’allait sûrement pas lui montrer sa nervosité en papotant comme une femmelette.

Deux minutes plus tard, ils s’arrêtèrent quelque part et Wigram resta immobile, tel un homme d’État, pendant que ses acolytes assis à l’avant descendaient de voiture. L’un d’eux lui ouvrit la portière. Des torches s’allumèrent dans la nuit. Des ombres se dessinèrent. Un comité d’accueil.

« Vous avez encore de la lumière, inspecteur ? s’enquit Wigram.

— Oui, chef. » Une profonde voix masculine ; un accent des Midlands. « Mais pas mal de plaintes de la part des types des raids aériens.

— Qu’ils aillent se faire foutre. Si les Boches veulent bombarder ce coin-là, qu’ils ne se gênent surtout pas. Vous avez les plans ?

— Oui, chef.

— Parfait. » Wigram s’accrocha au toit et s’extirpa de la voiture. Il attendit une seconde ou deux, puis, voyant qu’Hester n’esquissait pas un mouvement, se pencha à l’intérieur et fit jouer ses doigts avec irritation. « Allons, allons. Vous attendez que je vous porte ou quoi ? »

Elle se laissa glisser de l’autre côté de la banquette.

Deux autres véhicules, non, trois autres, tous phares allumés, montraient les silhouettes découpées d’hommes en train de s’agiter, puis un petit camion militaire et une ambulance. Ce fut l’ambulance qui lui causa un choc. Les portières en étaient ouvertes et, tandis que Wigram la guidait, la main posée légèrement sur son coude, elle perçut une odeur de désinfectant et vit les bouteilles d’oxygène brun grisâtre, les civières et leurs grossières couvertures brunes, leurs sangles de cuir, leurs draps blancs et innocents. Deux hommes étaient assis sur le pare-chocs arrière, en train de fumer, jambes tendues devant eux.

« Vous êtes déjà venue ici ? demanda Wigram.

— Où sommes-nous ?

— Un rendez-vous d’amoureux. Pas tellement votre truc, j’imagine. »

Il tenait une lampe électrique et, lorsqu’il s’effaça pour lui faire franchir un portail, elle vit une pancarte indiquant : DANGER : FOSSE D’ARGILE INONDÉE — EAU TRÈS PROFONDE. Elle entendait un bruit de moteur guttural quelque part devant eux, et des cris d’oiseaux de mer. Elle se mit à trembler.

« La main du Seigneur était sur moi et m’emporta dans l’esprit du Seigneur, puis me posa au milieu d’une vallée remplie d’ossements. »

« Vous avez dit quelque chose ? demanda Wigram.

— Je ne crois pas, non. »

Claire, Oh, Claire, Claire…

Le bruit du moteur s’intensifiait et semblait venir de l’intérieur d’un bâtiment de brique, sur sa gauche. Une faible lueur blanche passait par les interstices du toit pour révéler une grande cheminée carrée dont la base était recouverte de lierre. Hester eut vaguement conscience d’être à la tête d’une sorte de procession. Derrière eux venaient Leveret, le chauffeur, puis l’autre homme de la voiture qui portait une gabardine fermée par une ceinture et enfin l’inspecteur de police.

« Faites attention ici », lui conseilla Wigram en essayant de lui reprendre le bras, mais elle le repoussa. Elle se fraya sans aide un chemin parmi les débris de briques et les hautes herbes, entendit des voix, tourna à un angle et fit face à une rangée éblouissante de lampes illuminant un chemin assez large. Six policiers le parcouraient de front, à quatre pattes dans un amas de verres brisés et de moellons. Derrière eux, un soldat s’occupait d’un générateur vrombissant ; un autre déroulait un rouleau de câble ; un troisième installait de nouveaux spots.

Wigram sourit et lui adressa un clin d’œil, comme pour dire : Voyez ce que je peux obtenir. Il enfilait une paire de gants en veau brun clair. « J’ai quelque chose à vous montrer. »

Dans un coin de la bâtisse, un sergent de police se tenait près d’un tas de sacs de jute. Hester dut se forcer à avancer. Seigneur, je Vous en prie, faites que ce ne soit pas elle.