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Liverpool ?

Liverpool. Et le ferry qui faisait la traversée de la mer d’Irlande.

Seigneur.

Il était frappé par le caractère irréel de la situation, et en même temps par sa simplicité, son évidence. Il y avait une sonnette d’alarme au-dessus de la rangée de sièges opposée. (« Amende pour tout usage abusif : 20 livres ») et sa première réaction fut de vouloir la tirer. Mais alors ? Réfléchis. Il serait là, pas rasé, sans billet, avec des yeux de drogué, en train d’essayer de convaincre un contrôleur sceptique qu’il y avait un traître à bord pendant que Puck… que ferait-il, Puck ? Il descendrait du train et s’évanouirait dans la nature, bien sûr. Jericho ressentit toute l’absurdité de sa situation. Il n’avait même pas assez d’argent sur lui pour acheter un billet. Il n’avait qu’une poche pleine de cryptogrammes.

Débarrasse-t’en.

Il les tira de sa poche et les déchira en mille morceaux, puis il pencha à nouveau la tête par la fenêtre et les lança dans la nature. Les fragments furent emportés puis soulevés et disparurent au-dessus de la voiture. Tendant le cou de l’autre côté, il essaya de deviner dans quelle voiture se trouvait Puck. Troisième ? Quatrième à partir de celle-ci ? Il rentra la tête à l’intérieur et ferma la vitre puis traversa le compartiment qui tanguait et ouvrit la porte du couloir.

Il jeta un coup d’œil prudent à droite et à gauche.

C’était du matériel roulant standard d’avant-guerre, sombre et malpropre. Le couloir, éclairé en fonction du couvre-feu par des ampoules bleues sans éclat, évoquait la couleur d’un flacon de poison. Quatre compartiments donnaient sur un côté. Une porte de communication, à l’avant et à l’arrière, ouvrait sur les voitures adjacentes.

Jericho se dirigea vers l’avant du train. Il jeta un coup d’œil dans chaque compartiment en passant devant. Il y avait là deux marins qui jouaient aux cartes, un jeune couple endormi dans les bras l’un de l’autre, une famille aussi — le père, la mère et le fils et la fille — qui se partageait des sandwiches et un thermos de thé. La mère donnait le sein à un bébé et se détourna, gênée, lorsqu’elle le vit regarder.

Il ouvrit la porte qui conduisait à la voiture suivante et pénétra d’abord dans un no man’s land.

Le plancher bougeait et se soulevait sous ses pieds comme une attraction de fête foraine. Il trébucha et se cogna le genou. Un interstice de près d’une dizaine de centimètres lui montrait les fixations qui s’agitaient et, en dessous, le sol qui défilait à toute vitesse. Il s’introduisit dans la voiture suivante juste à temps pour apercevoir la grande figure sévère d’un contrôleur qui sortait d’un compartiment. Jericho se glissa prestement dans les toilettes, et s’enferma à l’intérieur. Il crut un instant qu’un clochard ou un vagabond quelconque se trouvait déjà là, puis il s’aperçut que c’était son propre reflet qu’il contemplait dans la glace — le teint cireux, les yeux fiévreux et enfoncés, les cheveux hérissés par le vent et une barbe bleuâtre de deux jours. Les toilettes étaient bouchées et dégageaient une puanteur abominable. Une traînée de papier hygiénique trempé et souillé débordait de la cuvette pour se plaquer contre ses pieds tel un bandage défait.

« Votre billet, s’il vous plaît, lança le contrôleur d’une voix sonore. Glissez votre billet sous la porte, je vous prie.

— Il est dans mon compartiment.

— Oh, vraiment ? » La poignée s’agita. « Venez me le montrer alors.

— Je ne me sens pas très bien. » (Ce qui était vrai.) « Je l’ai laissé sorti à votre intention. » Il appuya son front brûlant contre le miroir froid. « Donnez-moi cinq minutes. »

Le contrôleur poussa un grognement. « Je reviens. » Jericho entendit le vacarme des roues pendant que l’on ouvrait la porte de communication, puis le fracas de cette même porte se refermant. Il attendit quelques secondes avant d’ouvrir le loquet.

Il n’y avait pas trace de Puck dans cette voiture, ni dans la suivante et, le temps qu’il franchisse les plaques mouvantes qui conduisaient à la troisième, il sentit le train qui commençait à ralentir. Il avança dans le couloir.

Deux compartiments remplis de soldats, six dans chaque, la mine morose, l’arme posée à leurs pieds.

Puis un compartiment vide.

Et enfin Puck.

Il était assis dans le sens contraire de la marche, penché en avant — ce bon vieux Puck, séduisant, concentré, les coudes appuyés sur les genoux, plongé dans une conversation avec quelqu’un qui n’entrait pas dans le champ de vision de Jericho. C’est Claire, pensa Jericho. Ce ne pouvait être que Claire. Il fallait que ce soit Claire. Puck l’emmenait avec lui. Jericho se plaça dos au compartiment et avança de côté, tel un crabe, feignant de regarder par la fenêtre poussiéreuse. Ses yeux enregistrèrent les abords d’une ville — terrains vagues, wagons de marchandises, entrepôts — puis un quai anonyme avec une pendule dont les aiguilles s’étaient figées sur midi moins dix et des affiches passées montrant de belles filles plantureuses qui vantaient les mérites de vacances depuis longtemps terminées à Bournemouth et Clacton-on-Sea.

Le train se traîna encore sur quelques mètres puis s’immobilisa abruptement devant le buffet de la gare.

« Northampton ! cria une voix masculine. Gare de Northampton ! »

Et si c’était Claire, qu’allait-il faire ?

Mais ce n’était pas elle. Il regarda et découvrit un homme, un homme jeune — soigné, brun, bronzé, le profil aquilin : profondément étranger —, mais il ne le vit que brièvement car l’étranger s’était déjà levé et lâchait la main de Puck après une double poignée de main. Le jeune homme sourit (il avait les dents très blanches) et hocha la tête — un marché venait d’être conclu — avant de quitter le compartiment pour s’éloigner rapidement sur le quai, l’épaule ferme, fendant la foule. Puck le regarda un moment puis ferma la portière et reprit sa place sur son siège, hors de vue.

Quels que fussent ses projets de fuite, ils ne semblaient pas inclure Claire Romilly.

Jericho détourna le regard.

Soudain, il eut la vision de ce qui avait dû se passer. Puck se rendant à bicyclette à la chaumière samedi soir pour récupérer les cryptogrammes… et trouvant Jericho à la place. Puck revenant plus tard dans la nuit mais s’apercevant que les cryptogrammes avaient disparu. Et Puck supposant, naturellement, que Jericho devait les avoir et ne manquerait pas d’agir comme le ferait n’importe quel serviteur loyal de l’État en pareille situation : courir livrer Claire aux autorités.

Il se retourna vers le compartiment. Puck semblait avoir allumé une cigarette. Des couches de fumée se superposaient en un épais nuage d’un bleu d’acier.