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— Qu’est-ce qu’il va devenir ?

— Il sera pendu, répondit affablement Wigram. Mais ne vous en faites pas pour lui. C’est du passé. La question est plutôt de savoir ce que vous allez devenir. »

Après le départ de Wigram, Jericho resta longtemps éveillé, essayant de déterminer quels éléments de son récit étaient véridiques.

« Voici, je vous dis un mystère, dit Hester.

« Nous ne mourrons pas, mais tous nous serons changés.

« En un instant, en un clin d’œil, à la dernière trompette. La trompette sonnera, et les morts ressusciteront incorruptibles, et nous, nous serons changés.

« Car il faut que ce corps corruptible revête l’incorruptibilité, et que ce corps mortel revête l’immortalité.

« Lorsque ce corps corruptible aura revêtu l’incorruptibilité, et que ce corps mortel aura revêtu l’immortalité, alors s’accomplira la parole qui est écrite :

« La mort a été engloutie dans la victoire.

« Ô mort, où est ta victoire ?

« Ô mort, où est ton aiguillon ? »

Elle referma lentement sa bible et contempla l’assemblée d’un œil égal et sec. Elle parvint tout juste à apercevoir Jericho, pâle et le regard fixe, au dernier rang.

« Grâces soient rendues à Dieu. »

Elle le retrouva qui l’attendait à la sortie de l’église, les pétales blancs l’arrosant comme des confettis. Tout le monde était parti. Il avait le visage levé vers le soleil et, à la façon dont il semblait en boire la chaleur, elle devina qu’il ne l’avait pas vu depuis longtemps. Il se retourna en l’entendant approcher et lui sourit. Elle espéra que son propre sourire parviendrait à masquer le choc qu’elle éprouvait. Il avait les joues creuses et le teint aussi cireux que les cierges de l’église. Le col de sa chemise flottait sur son cou décharné.

« Salut, Hester.

— Salut, Tom. » Elle hésita, puis lui tendit sa main gantée.

— Extra, le service, intervint Wigram. Absolument extra. Tout le monde l’a dit, pas vrai, Tom ?

— Tout le monde, oui. » Jericho ferma les yeux un instant, et elle comprit immédiatement ce qu’il cherchait à lui dire : qu’il regrettait que Wigram soit là, mais qu’il ne pouvait absolument rien y faire. Il lui lâcha la main. « Je ne voulais pas partir sans vous demander comment vous alliez, dit-il.

— Oh, bien, répondit-elle avec une légèreté qu’elle n’éprouvait pas. On tient le coup, vous savez.

— De retour au travail ?

— Oui, oui. Des formulaires, encore des formulaires.

— Et toujours dans la chaumière ?

— Pour l’instant. Mais je crois que je déménagerai dès que je pourrai trouver un autre logement.

— Trop de fantômes ?

— Quelque chose comme ça. »

Elle se surprit soudain à détester la banalité de cette conversation, mais ne trouva rien d’autre à dire.

« Leveret attend, indiqua Wigram. Dans la voiture. Pour nous conduire à la gare. » Hester aperçut le long capot noir à travers la grille. Le chauffeur était appuyé dessus et les regardait en fumant une cigarette.

« Vous avez un train à prendre, monsieur Wigram ? demanda Hester.

— Moi, non, fit-il, comme si c’était un reproche. Mais Tom, oui. N’est-ce pas, Tom ?

— Je retourne à Cambridge, expliqua Jericho. Je vais me reposer quelques mois là-bas.

— En fait, nous devrions vraiment ne pas tarder, insista Wigram en consultant sa montre. On ne sait jamais — il y a toujours un risque que le train soit à l’heure. »

Jericho demanda alors, non sans irritation : « Vous voudrez bien nous excuser, pour une petite minute, monsieur Wigram ? » Sans attendre sa réponse, il entraîna Hester vers l’église pour s’écarter de l’importun. « Ce mec ne me décolle pas d’une seconde, chuchota-t-il. Écoutez, si cela ne vous est pas trop pénible, pouvez-vous m’embrasser ?

— Quoi ? » Elle n’était pas sûre d’avoir bien entendu.

— M’embrasser, vite ! S’il vous plaît.

— Bon, bon, ce n’est pas une si grande épreuve. »

Elle ôta son chapeau, se pencha et effleura des lèvres la joue maigre de Jericho. Il la retint par l’épaule et lui glissa à l’oreille : « Aviez-vous invité le père de Claire à la cérémonie ?

— Oui. » Il est devenu fou, pensa-t-elle. Le choc lui a troublé l’esprit. « Bien sûr que je l’ai invité.

— Que s’est-il passé ?

— Il n’a pas répondu.

— Je le savais », murmura-t-il. Elle sentit son étreinte se resserrer.

— Vous saviez quoi ?

— Elle n’est pas morte…

— Comme c’est touchant, commenta Wigram d’une voix forte en surgissant derrière eux, et j’ai horreur d’interrompre quoi que ce soit, mais vous allez rater votre train, Tom Jericho. »

Jericho lâcha Hester et recula d’un pas. « Faites attention à vous », dit-il.

Elle resta un instant sans pouvoir parler. « Vous aussi.

— J’écrirai.

— Oui, je vous en prie. Je compte sur vous. »

Wigram tira Jericho par la manche. Ce dernier adressa à Hester un dernier sourire, puis haussa les épaules et se laissa entraîner par Wigram.

Elle le regarda remonter péniblement l’allée jusqu’à la grille. Leveret lui ouvrit la portière de la voiture et Jericho en profita pour se retourner et la saluer. Elle aussi lui adressa un geste de la main et le vit prendre place avec raideur à l’arrière de l’auto. La portière claqua, Hester laissa retomber sa main.

Elle resta là plusieurs minutes encore, longtemps après que la grande voiture noire se fut éloignée, puis elle remit son chapeau et retourna dans l’église.

2

« J’allais oublier, fit Wigram au moment où la voiture s’engageait dans la descente. Je vous ai acheté le journal. Pour le voyage. »

Il ouvrit sa serviette, en sortit un exemplaire du Times, l’ouvrit à la troisième page et le tendit à Jericho. L’article consistait en cinq paragraphes seulement, flanqué d’une illustration représentant un bus de Londres et un appel à la Poor Clergy Relief Corporation :

OFFICIERS POLONAIS
DISPARUS
ALLÉGATIONS ALLEMANDES

Le ministre polonais de la Défense nationale, le lieutenant général Marjan Kukiel, a fait une déclaration concernant quelque 8 000 officiers polonais disparus après avoir été libérés des camps de prisonniers soviétiques au printemps 1940. Étant donné certaines allégations allemandes selon lesquelles on aurait retrouvé le corps de plusieurs milliers d’officiers polonais près de Smolensk et que ceux-ci auraient été assassinés par les Russes, le gouvernement polonais a décidé de demander à la Croix-Rouge internationale d’ouvrir une enquête…

« J’aime tout particulièrement l’expression “libérés des camps de prisonniers soviétiques”, fit Wigram, pas vous ?

— C’est une façon de présenter les choses, j’imagine. » Jericho voulut lui rendre le journal, mais Wigram le repoussa.

« Gardez-le. En souvenir.

— Merci. » Jericho plia le journal et le fourra dans sa poche puis se tourna résolument vers la fenêtre afin de couper court à plus ample conversation. Il en avait assez de Wigram et de ses mensonges. Lorsqu’ils passèrent pour la dernière fois sous le pont de chemin de fer noirci, il effleura subrepticement sa joue et regretta soudain de n’avoir pu emmener Hester avec lui pour le dernier acte.